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Au bord du précipice ?

Abir Taleb , Mercredi, 10 janvier 2024

La guerre israélienne contre Gaza est entrée dans son 4e mois sans le moindre signe d’une fin prochaine. Les efforts diplomatiques américains se concentrent désormais uniquement sur les moyens d’éviter un élargissement du conflit. Décryptage.

Au bord du précipice ?
(Photo : AP)

Personne ne veut d’un élargissement du conflit, mais tous y contribuent. Alors que la guerre israélienne contre la bande de Gaza entre dans son quatrième mois sans qu’une fin prochaine semble se dessiner, tous les ingrédients sont là pour une extension du conflit : regain de violences à la frontière israélo-libanaise, tensions en mer Rouge, en Iraq et en Iran. Et pendant que les Etats-Unis s’activent diplomatiquement pour éviter un embrasement, les mises en garde des acteurs sur le terrain se multiplient. Les tensions aussi.

Dans sa quatrième tournée régionale depuis le début du conflit, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a atterri lundi 8 janvier au soir à Tel-Aviv où il a eu le lendemain des discussions avec les autorités israéliennes, avant de se rendre en Cisjordanie. Il est d’abord passé par Riyad, Doha, Abu-Dhabi, Amman, Athènes et Ankara. Il doit ensuite venir au Caire. Objectif : éviter le pire. Pour reprendre les termes de Blinken lui-même, prononcés lors de son escale qatarie, la guerre actuelle « pourrait aisément se métastaser ».

Or, le ton est donné depuis le départ : les Etats-Unis veulent éviter une guerre régionale, mais pas arrêter celle à Gaza. Pas question de demander aux Israéliens de stopper leur offensive destructrice contre Gaza. Blinken entend tout juste défendre auprès d’eux « l’impératif absolu » d’épargner les civils, tant la situation humanitaire est horrible. Bref, le message américain aux Israéliens serait en quelque sorte : frappez, mais frappez doucement !

Mais comment donc éviter l’embrasement alors que la guerre contre Gaza ne baisse pas d’intensité ? Car, comme l’indique Dr Mona Soliman, professeure de sciences politiques, « trois indices en ce début d’année laissent présager un élargissement du conflit : l’assassinat du numéro deux du Hamas, la poursuite des attaques houthies en mer Rouge et l’annonce américaine d’une éventuelle riposte à ces attaques, ainsi que la poursuite des attaques réciproques entre les milices chiites et les Américains en Iraq. Si ces trois points restent chauds en plus de la guerre à Gaza, le risque d’un élargissement est réel. D’où la quatrième tournée de Blinken ». Selon l’analyste, la probabilité est de 50-50. « Le facteur le plus à même de provoquer une plus grande escalade est qu’il y ait de nouveaux assassinats de leaders du Hamas dans des pays tiers, comme l’a promis Israël, ce qui donnera lieu à des tensions avec ces pays. Ceci est d’autant plus probable qu’Israël, après trois mois de guerre, n’a rien fait. Il a détruit Gaza mais n’est arrivé, ni à la contrôler ni à détruire les réseaux de tunnels, ni à neutraliser les chefs du Hamas sur place ».

D’où la réitération par le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, avant l’arrivée de Blinken, que la guerre se poursuivra « jusqu’à ce que tous les objectifs soient atteints », à savoir « l’élimination du Hamas et la libération des otages ». « Israël poursuit son génocide à Gaza et tout porte à croire qu’il continue sa politique qui vise à déporter les Palestiniens malgré le refus international. La guerre ne risque pas de prendre fin de sitôt malgré les différentes tentatives de médiation, malgré la pression interne, malgré le changement de ton de la part de la communauté internationale », prévoit Ali Atef, chercheur au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS).

Netanyahu n’a pas non plus manqué de lancer une mise en garde au Hezbollah. « Ne nous cherchez pas », a-t-il dit, affirmant que le groupe devrait « apprendre ce que le Hamas a déjà appris au cours des mois précédents ». Un ton menaçant de mauvais augure. Aussitôt dit, aussitôt fait, une frappe israélienne a visé, lundi 8 janvier, au Sud-Liban, le commandant Wissam Hassan Tawil, le plus haut responsable militaire du Hezbollah tué depuis que les accrochages ont repris entre les deux parties.

Enchevêtrement de crises

Un assassinat qui intervient quelques jours après un autre, non moins important, de celui du numéro deux du Hamas, Saleh Al-Arouri, et de six autres responsables et cadres du mouvement, dans une frappe attribuée à Israël le 2 janvier et qui a visé un bureau du mouvement dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah. Ce dernier a annoncé avoir, en représailles, lancé, samedi 6 janvier, 62 roquettes sur une base militaire dans le nord d’Israël. « Pour le moment, nous combattons sur le front de façon calculée (…), mais si l’ennemi pense lancer une guerre contre le Liban, nous combattrons sans limites, sans restrictions, sans frontières », a dit le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah.

Or, le message porté par l’assassinat d’Al-Arouri est d’autant plus fort que cette liquidation est intervenue à la veille de l’anniversaire de la mort de Qassem Soleimani, général iranien tué en Iraq par une frappe américaine il y a quatre ans. D’autant plus que la tension est également palpable en Iraq, où deux membres du Hachd Al-Chaabi, coalition de groupes armés proches de l’Iran, ont été tués jeudi 4 janvier par une frappe de drone à Bagdad, à quelques centaines de mètres du ministère iraqien de l’Intérieur, alors que ces dernières semaines, les attaques menées par les milices chiites contre les intérêts américains se sont multipliées.

 La frappe du 4 janvier a été menée par la coalition internationale anti-djihadiste, emmenée par Washington, qui y voit un « acte de légitime défense », alors que le gouvernement iraqien de Mohamed Chia Al-Soudani la qualifie d’« escalade et d’agression dangereuses ». De quoi pousser Al-Soudani, porté au pouvoir par une majorité parlementaire pro-Iran, à se livrer à un délicat exercice d’équilibriste pour préserver les liens stratégiques unissant son pays à Washington et à réitérer sa « ferme » détermination à mettre un terme à la présence de la coalition internationale dans son pays, car « les justifications de son existence ont pris fin ».

Et les regards se tournent aussi vers l’Iran où 91 personnes ont été tuées dans un double attentat le 3 janvier à Kerman. Bien que l’attentat soit revendiqué par Daech, Téhéran y voit l’ombre des Etats-Unis et d’Israël. « Vous n’êtes que les agents du régime sioniste et des Etats-Unis », a dit le chef des Gardiens de la Révolution lors des funérailles des victimes, s’adressant à Daech, tout en ajoutant que la mort de ces personnes avait été vengée par avance avec l’aide apportée aux différents groupes qui combattent actuellement Israël à Gaza, mais aussi à travers les actions du Hezbollah, des Houthis au Yémen ou encore des groupes chiites en Iraq et en Syrie.

Souffler sur les braises

Est-on donc en train de souffler sur les braises ? Pour Ali Atef, « si l’on n’en est pas encore dans un scénario de guerre totale de grande envergure, il est certain que le conflit s’est déjà élargi et qu’il est déjà devenu régional ». Pour preuve, explique-t-il, les accrochages entre l’armée israélienne et le Hezbollah, les attaques des Houthis et l’assassinat d’un proche compagnon du général Qassem Soleimani, Seyed Razi Mousavi, conseiller du Corps des Gardiens de la Révolution en Syrie, lors d’une frappe aérienne israélienne, fin décembre, dans un quartier de Damas, ainsi que le meurtre de deux autres généraux début décembre en Syrie. « Ceci est déjà une riposte à l’attaque de navires israéliens en mer Rouge et plusieurs responsables iraniens ont promis d’y répondre », explique Ali Atef. Nous sommes donc déjà dans la logique du cercle vicieux de l’attaque et de la contre-attaque. « On n’en parle pas beaucoup, mais la Syrie est le front dormant du conflit d’autant qu’il y existe une importante présence de milices pro-iraniennes en Syrie depuis 2011 de temps à autre visées par Israël. L’assassinat de Mousavi à Damas est un signal que la Syrie peut devenir le théâtre de plus d’opérations de vengeance de ce type », ajoute Atef.

De son côté, Mona Soliman prévoit trois scénarios possibles : « Un : un statu quo, c’est-à-dire la poursuite de la guerre à Gaza pour plusieurs mois avec au maximum quelques trêves et le maintien des tensions en mer Rouge et avec le Hezbollah au même stade ; deux : une guerre totale ; trois : un arrêt des hostilités qui ne peut être possible qu’avec le départ de Netanyahu ». Or, malgré les appels à sa démission et les multiples différends internes, le premier ministre israélien, afin de sauver sa peau, n’entend pas partir.

L’escalade est-elle donc inévitable ? D’après Atef, pas forcément. « Parce que ni l’Iran, ni les Etats-Unis ne veulent pas aller plus loin. Seul Israël se dirige vers l’escalade », dit-il. Car, tout simplement, Netanyahu ne doit son maintien au pouvoir qu’à la continuation de la guerre.

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