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Déportation des Palestiniens : L’autre crime d’Israël

Nada Al-Hagrassy , Mercredi, 10 janvier 2024

Israël ne le cache plus, il entend réaliser, malgré le tollé international qu’il provoque, son projet de vider la bande de Gaza de ses habitants. Qu’on le nomme « déplacement forcé » ou « déplacement volontaire », tous les ingrédients du crime de guerre sont là. Décryptage.

Déportation des Palestiniens : L’autre crime d’Israël

Alors que les frappes meurtrières israéliennes contre la bande de Gaza se poursuivent sans relâche depuis trois mois, causant le déplacement interne et forcé de 90 % de la population de l’enclave, Israël insiste sur le fait de réaliser son plan de déportation massif en tentant cette fois-ci d’introduire une nouvelle notion : « l’émigration volontaire ». « Israël devrait encourager les quelques 2,4 millions de Palestiniens de Gaza à quitter le territoire vers d’autres pays », a déclaré le leader du Parti d’extrême droite et ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, à la radio militaire israélienne le 31 décembre 2023, avant d’ajouter que « pour avoir la sécurité, nous devons contrôler le territoire, et pour cela, nous avons besoin d’une présence civile sur place ». Le lendemain, Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale, a exprimé lui aussi son soutien à « l’émigration volontaire et la réinstallation des Palestiniens de la bande de Gaza à l’étranger », déclarant qu’une telle politique « faciliterait le retour des habitants des communautés israéliennes situées à la frontière de Gaza, ainsi que des implantations israéliennes à Gaza, évacuées en 2005, et constitue une solution correcte, juste, morale et humaine ».

Des déclarations-chocs qui illustrent les objectifs réels d’Israël. Afin d’atteindre ces objectifs, les forces d’occupation détruisent tout : les immeubles, l’infrastructure, les hôpitaux, les écoles et même les sièges de l’UNRWA. Le message lancé aux Gazaouis est clair : la bande de Gaza est devenue un lieu invivable et il est préférable pour eux de chercher refuge ailleurs.

Toutefois, les Palestiniens sont les premiers à rejeter catégoriquement l’idée de déportation dite « volontaire » proposée par l’Etat hébreu. « Tout parti, Etat ou institution qui soutient la soi-disant déportation volontaire de la bande de Gaza est complice de l’occupation israélienne dans ses crimes de guerre », a déclaré l’OLP dans un communiqué. Ce dernier met en garde contre les concepts de « migration volontaire sous des arguments d’humanité et de justice, parce qu’il s’agit de concepts qui cherchent à dissimiler le crime de l’occupation qui n’est autre qu’une déportation forcée coercitive et obligatoire et non en aucun cas volontaire ».

« Non » général et démenti africain

Les déclarations des ministres israéliens, qui reflètent la vision de l’extrême droite, ont réussi là où d’autres ont échoué. Le refus est unanime auprès des pays de la région et de la communauté internationale. L’Egypte a catégoriquement refusé cette idée et elle a rejeté toute tentative de déplacement forcé des Palestiniens dès le déclenchement de la crise, « afin de préserver la cause des Palestiniens et de les aider à obtenir leurs droits légitimes à l’autodétermination », a déclaré à plusieurs reprises le président Abdel Fattah Al-Sissi. Le Royaume hachémite a pris la même position tranchante. En effet, le roi Abdallah II de la Jordanie a tenu à réaffirmer au secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, lors de sa visite au Royaume le dimanche 7 janvier, le refus quasi catégorique du Royaume pour toute déportation « forcée ou volontaire » des Palestiniens. Quant aux réactions internationales, elles se sont alignées sur celles régionales. Le ministère allemand des Affaires étrangères a rejeté d’aplomb les déclarations des ministres israéliens les qualifiant d’inutiles. « Les Palestiniens ne doivent pas être déportés de Gaza et la superficie de l’enclave ne doit pas être réduite », a déclaré le porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères, Sebastian Fischer, soulignant l’engagement de son pays en faveur de la solution de deux Etats, car « c’est le seul modèle durable de coexistence entre Palestiniens et Israéliens ». La réponse de la France est elle aussi tant négative que ferme : Le Quai d’Orsay les a qualifiées de déclarations irresponsables et provocantes qui attisent les tensions déjà tendues. Tandis que Washington, l’allié incontestable et éternel de Tel-Aviv et son principal soutien dans sa guerre contre Gaza, a déclaré par la voix du porte-parole du Département d’Etat américain, Matthew Miller : « Nous avons été absolument clairs et cohérents. Il n’y a aucune ambiguïté à dire que Gaza est une terre palestinienne et restera une terre palestinienne ».

Quant aux instances internationales, elles ont eu la même réaction de dénégation. Le Haut-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a réitéré qu’« en vertu du droit international humanitaire, le transfert forcé de personnes protégées vers ou depuis les territoires occupés est interdit », tandis que le chef de la diplomatie européenne a dénoncé les propos incendiaires des deux ministres : « Je condamne fermement les déclarations incendiaires et irresponsables des ministres israéliens Ben Gvir et Smotrich insultant la population de Gaza et appelant à son départ massif ».

Cette unanimité a poussé Israël à se retourner vers le continent noir. Selon le journal israélien Zaman Israël, des responsables israéliens ont mené des négociations secrètes avec la République Démocratique du Congo (RDC) pour qu’elle accueille les réfugiés de la bande de Gaza. D’autres médias israéliens ont rapporté que Tel-Aviv menait des pourparlers avec le Tchad et le Rwanda pour la même raison.

 Des nouvelles qui ont été catégoriquement niées par les pays dits approchés par Israël, aussi bien que par la Commission de l’Union africaine qui a refusé toute déportation des Gazaouis. Les trois pays africains, la RDC, le Rwanda et le Tchad, ont démenti, dans des communiqués séparés, les allégations rapportées par les médias israéliens.

En effet, l’idée de la déportation forcée des Palestiniens n’est pas une idée née de la guerre actuelle à Gaza. « Cette notion est au centre de la pensée sioniste avant même la création de l’Etat hébreu », explique Myriam Salah, chercheuse au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS). Selon elle, cette idée trouve ses racines dans l’idéologie sioniste originelle. « Au début, ces propositions n’étaient que des idées, mais avec la création de l’Etat d’Israël, l’idée d’expulser les Palestiniens vers d’autres terres a été présentée lors de conférences officielles, notamment la conférence d’Herzliya à laquelle ont assisté de hauts responsables des Etats-Unis et des Nations-Unies ».

Certains analystes estiment que le qualificatif « volontaire » est une désignation « politiquement correcte » pour ce qui est considéré comme un crime par le droit international. En effet, toutes les conventions internationales et les principes du droit international garantissent le droit naturel de l’Homme à résider sur sa terre, et le fait de le forcer à quitter cette terre est considéré comme un crime contre l’humanité.

Force est de constater qu’en remettant ouvertement sur la table l’idée d’un déplacement des Palestiniens, les Israéliens reviennent aussi avec leur idée du Grand Israël, du Nil à l’Euphrate, un projet de colonisation par définition. Et pour que ce projet réussisse, il faut vider la population autochtone et la remplacer par de colons israéliens. Pour ce, l’évacuation s’effectue sous plusieurs formes : tantôt par l’achat des terres, tantôt par leur saisie par la force de l’arme, tantôt par la promulgation de législations autorisant l’annexion et toujours par des opérations militaires qui modifient la géographie et la démographie comme ce qui se passe actuellement à Gaza en rendant la vie normale quasi impossible pour la population.

Par ailleurs, si le projet de déplacement des Palestiniens est la colonne vertébrale du projet sioniste, le changement du discours médiatique officiel israélien en utilisant l’expression d’émigration volontaire au lieu de forcée, selon l’ambassadeur Mohamad Hégazi, ancien vice-ministre des Affaires étrangères, « reflète l’échec militaire et politique d’Israël, en dépit des atrocités commises, à atteindre ses objectifs déclarés par la guerre contre la bande de Gaza, à savoir l’éradication de la résistance, la libération des otages israéliens et les plans visant à déplacer les Palestiniens hors de la bande de Gaza ».

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