En point rouge, le port de Berbera, au Somaliland, région de Somalie autoproclamée indépendante. Photo: Google Maps
Depuis l’indépendance de l’Erythrée en 1993, l’Ethiopie a perdu son accès direct à la mer Rouge. Lundi 1er janvier, le pays décide de signer un accord avec le Somaliland (République autoproclamée indépendante de la Somalie en 1991). Cet accord est une étape importante pour l’Ethiopie puisqu’elle lui redonne un accès direct à la mer Rouge alors que jusque-là l’Ethiopie dépendait principalement du port de Djibouti pour ses échanges commerciaux.
L’accord prévoit l’acquisition d’une part de « 20 kilomètres sur le port de Berbera en mer rouge » selon Muse Bihi Abdi, président de la république autoproclamée du Somaliland. Il est prévu qu’en échange l’Ethiopie reconnaîtrait l’indépendance du Somaliland, un tournant historique pour ce dernier puisque le territoire n’a été reconnu par aucun Etat dans le monde. Redwan Hussein, conseiller à la sécurité nationale du Premier ministre éthiopien avait précisé que l’accord donnerait également l’accès à une base militaire sur la mer Rouge.
Le gouvernement somalien n’est pas resté sans voix et a rapidement réagi en rappelant que « le Somaliland fait partie de la Somalie en vertu de la constitution somalienne (...) ». Mogadiscio considère cette mesure comme « une violation flagrante de sa souveraineté et de son unité » et a décidé, en signe de contestation, de rappeler son ambassadeur en Ethiopie pour consultation.
La Somalie a également appelé l'ONU, l'Union africaine, la Ligue arabe, la communauté d'Afrique de l'Est, l’autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) « à défendre le droit de la Somalie de protéger sa souveraineté et forcer l'Ethiopie à respecter les lois internationales ».
De son côté, le Président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi a souhaité affirmer le soutien de l’Egypte pour la sécurité et l’intégrité de la Somalie, lors d’un appel téléphonique avec le président somalien Hassan Sheikh Mohamud, mardi 2 janvier.
Mohamed Abdel Wahed, expert des questions sécuritaires en Afrique a révélé à Ahraminfo les effets éventuels de cet accord indiquant qu’il pourrait affecter indirectement l’Egypte « l’accord permet à l'Ethiopie d'acquérir une part du port de Berbera, au bord de la mer Rouge, qui est proche du détroit de Bab El Mandab ce qui pourrait influencer le Canal du suez en cas de déclenchement de tensions » craint l’expert sécuritaire tout en ajoutant que le fait d’annoncer la signature d’un accord avec le Somaliland, république non reconnue par la communauté internationale « pourrait encourager les mouvements de démembrement des États et la sécession de leurs régions », ajoute Abdel Wahed.
Un accord ayant une portée stratégique et économique pour l’Ethiopie
L’amiral Pascal Ausseur, directeur de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) révèle à Ahraminfo que cet accord est avant tout d’ordre stratégique et économique, « Jusque-là Djibouti était la seule voie pour l’Ethiopie mais, c’est un pays fragile qui est pris dans le jeu de puissance entre la Chine et les Etats-Unis et donc qui n’est pas un moyen sûr sur le long terme », il ajoute que « l’Ethiopie possède divers partenariats commerciaux avec des acteurs présents dans la région dont la Chine, l’accès assuré et garanti à la mer rouge est donc une préoccupation stratégique ».
Selon l’amiral, plusieurs acteurs régionaux et internationaux seront gagnants de ce deal principalement les partenaires commerciaux de l'Ethiopie qui n'auront plus à passer par le Djibouti. « Pas mal d'acteurs trouveront leur intérêt à cette nouveauté dans la région ». Mais il faudra attendre les réactions des pays voisins, puisque jusqu’ici, seule l’Egypte a réagi à la signature de l’accord exprimant son soutien à la souveraineté de la Somalie.
Cet accord inattendu vient dans un contexte très tendu, de nombreux pays de la région sont préoccupés par la guerre à Gaza. Selon l’amiral, le choix que fait l’Ethiopie dans ce contexte régional en tension « n’est pas vraiment mal choisi puisque les pays voisins sont occupés par d’autres questions ». Il ajoute qu’à travers cela « l’Ethiopie prend des risques en faisant ce pari » et que la réponse à cet accord « dépendra de la volonté et la capacité de la Somalie à contrer cet acte ».
De l’autre côté, nul doute sur le caractère inédit de cet accord qui représente une étape nouvelle pour le pays. Le Somaliland sort également gagnant de ce deal, selon l’amiral. « Le Somaliland gagnerait sur deux plans : d’un point de vue politique, la reconnaissance de son existence par un pays membre des BRICS + ; et d’un point de vue économique, il y aura certainement une rente financière non négligeable pour un territoire comme le Somaliland ».
L’amiral finit par évoquer le fait que cet événement comme plein d’autres dans le monde conforte « une tendance révisionniste du monde qui ne cesse de changer passant outre les droits internationaux ». Selon lui, « l’Ethiopie essaye de mettre tout le monde devant le fait accompli comme l’a fait plusieurs pays dans le cadre d’autres conflits ».
Le directeur de la Fondation méditerranéenne pour les études stratégiques fait état d’un monde dans lequel les pays du sud émergent en nouveaux acteurs, « Je vois derrière cela, l’illustration de l’émancipation stratégique de pays du sud qui essaye de développer leurs stratégies et se donner les moyens. Et c’est également le moment, pour certains territoires non reconnus, de se faire une place ».
Sonia Le Gouriellec, spécialiste de la région Corne Afrique au sein de la Fondation pour la recherche et la stratégie, avait rapporté à la radio française RFI que l’accord entre l’Ethiopie et le Somaliland constitue « un véritable tremblement de terre dans la Corne de l’Afrique ».
L’Ethiopie est en tension avec de nombreux pays de la région notamment l’Egypte et le Soudan sur l’affaire du Barrage de la Renaissance en construction sur le Nil. Ailleurs, les tensions persistent également au Tigré ou les troupes érythréennes sont toujours présentes et l’Ethiopie fait aussi face à des problèmes économiques en interne.
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