Depuis le début de la guerre à Gaza, c’est la catastrophe humanitaire qui, plus que tout, a été au centre des préoccupations. Gaza est au bord de la famine. Un désastre humanitaire d’une ampleur inédite. Une catastrophe sanitaire sans précédent. Depuis le 7 octobre dernier, la situation ne cesse de se détériorer et les cris d’alerte de résonner. Et pourtant, à Gaza, la crise ne date pas d’hier.
A quoi ressemblait donc Gaza avant le 7 octobre ? Avant même de mesurer les conséquences de la guerre en cours, de nombreuses statistiques socio-économiques montrent les difficultés que subissent, depuis des années, les 2,3 millions de personnes qui vivent dans la bande de Gaza. Avant cette guerre, notamment depuis 2007, la situation était déjà critique. En 2012, un rapport de l’ONU prévoyait que Gaza deviendrait un lieu « invivable » à l’horizon de 2020, un pronostic sans cesse confirmé depuis …
Territoire amputé de son arrière-pays palestinien lors de la Nakba en 1948, puis occupé par Israël après 1967, la bande de Gaza est soumise à un embargo presque total depuis 2007, année de l’arrivée au pouvoir du Hamas. Dès lors, ce petit territoire de 365 km2, long de 41 km et large de 6 à 12 km, fait l’objet d’un blocus terrestre, maritime et aérien qui a pour conséquence que 80 % de la population palestinienne dépendent de l’aide internationale et que les deux tiers vivent en dessous du seuil de pauvreté. Un blocus complet « qui a vidé » l’économie de Gaza « de toute substance », comme le résume la Conférence des Nations-Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), dans un rapport rendu public durant les premières semaines de la guerre, fin octobre. Les trois premières années du blocus sont particulièrement sévères : seuls les produits humanitaires de base sont autorisés à entrer. Les exportations, elles, sont complètement interdites. L’agriculture est gravement touchée en raison de l’interdiction d’importer des engrais, des pesticides ou encore des pièces de rechange pour les machines agricoles. La situation s’aggrave à chaque offensive militaire lancée par Israël contre la bande de Gaza, en 2009, 2012, 2014 et 2021. Des guerres qui détruisent en grande partie les infrastructures. Et, bien que les accords de cessez-le-feu négociés après chaque offensive aient abouti à un assouplissement de certaines restrictions, le volume et la variété des marchandises autorisées à entrer n’ont jamais retrouvé le niveau d’avant-2007.
Des années d’« anti-développement »
Le blocus a ainsi conduit à « une baisse de 2,5 % par an du PIB par habitant depuis 2007 », comme l’a indiqué, début décembre, la directrice de la communication du Fonds Monétaire International (FMI), Julie Kozack. Le rapport de la CNUCED dresse un triste constat : la bande de Gaza n’a cessé de voir son développement reculer depuis plus de 15 ans. Elle a connu « 16 années d’anti-développement », estime la CNUCED, jugeant que les conséquences économiques de la présente guerre étaient « impossibles à définir ».
Pauvreté et chômage sont le lot quotidien des habitants de Gaza. Entre 2006 et 2022, note la CNUCED, la population active a augmenté de 112 %, le nombre de chômeurs de 157 % et le taux de chômage est passé de 34,8 à 45,3 %, il est de 75 % chez les moins de 30 ans. « Plus de 50 % des jeunes diplômés sont sans emploi, le revenu palestinien par habitant dans la bande de Gaza équivaut à la moitié du revenu palestinien par habitant en Cisjordanie », avance de son côté le Bureau central palestinien des statistiques (PCBS). En comparaison avec l’année 2000, avant l’imposition du blocus, le taux de chômage à Gaza était de 18,9 %.
Mais il y a aussi la donne démographique. La bande de Gaza concentre l’une des plus fortes densités de population au monde avec 6 000 habitants par km2. Les jeunes constituent les trois quarts de la population, les enfants, la moitié. L’âge médian est de 18 ans. 70 % de la population, soit quelque 1,5 million, sont des réfugiés. Ce chiffre comprend les personnes expulsées de Palestine lors de la Nakba en 1948 et leurs descendants. Un élément central qui explique en partie les dynamiques sociales et politiques à Gaza.
La bande de Gaza manque cruellement d’eau. Selon l’UNRWA, 70 % des Gazaouis n’ont pas accès à l’eau potable et environ 90 % de l’eau présente sur le territoire est impropre à la consommation. La seule source d’eau douce est une réserve souterraine en bord de mer, un aquifère côtier, particulièrement sensible aux infiltrations d’eau de mer et aux pollutions. L’eau qui en est issue est ainsi quasi continuellement saumâtre et polluée. Depuis le début de la guerre, la situation n’a fait qu’empirer : L’OMS a déclaré à la mi-octobre que les Gazaouis ne disposaient que de trois litres d’eau par personne et par jour pour boire, cuisiner et se laver. Le minimum requis — décrit comme le seuil d’urgence — est de 15 litres.
Idem pour l’électricité qui n’était déjà disponible que quelques heures par jour avant la guerre. La pénurie de carburant, due à ses coûts élevés, ainsi qu’aux restrictions imposées par Israël aggrave la situation. En 2023, plus de la moitié des demandes en électricité sont restées insatisfaites. Selon l’OCHA, le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, en 2023, plus de 55 % des besoins en électricité des Gazaouis n’étaient pas couverts, alors que 28 % de l’approvisionnement en électricité de l’enclave dépendaient d’Israël et 17 % seulement de la centrale de Gaza. Or, celle-ci s’est arrêtée de fonctionner dès les premiers jours de la guerre actuelle, faute de carburant.
Une économie liée à Israël
Sans base productive significative, l’économie de Gaza dépend fortement des importations en provenance et à travers Israël. « 80 % de nos exportations sont destinées à Israël et 60 % de nos importations proviennent d’Israël », affirme le PCBS. Dans son dernier rapport, la CNUCED souligne également la dépendance forcée de l’économie palestinienne à l’égard d’Israël. Les coûts de production et de transaction excessifs et les obstacles au commerce avec le reste du monde ont entraîné un déficit commercial chronique et une dépendance généralisée et déséquilibrée à l’égard d’Israël. Et, avant le déclenchement de la guerre, la Banque mondiale craignait les conséquences d’une escalade : « L’interconnexion des deux économies expose la partie palestinienne à des risques supplémentaires de détérioration qui pourraient être exacerbés si la récente escalade des affrontements se prolongeait pendant plusieurs mois et entraînait un durcissement des restrictions, notamment en ce qui concerne les mouvements transfrontaliers des travailleurs ».
En effet, le chômage oblige de nombreux Palestiniens à chercher du travail en Israël. Mais les habitants de Gaza ont besoin de permis — difficiles à obtenir — pour entrer et sortir de la bande en passant par deux points de passage terrestres contrôlés par Israël, lequel délivre ces permis par le biais d’un système de quotas. Ceux qui l’obtiennent sont confrontés à des défis quotidiens, notamment de longues attentes aux postes-frontières, des contrôles de sécurité stricts et des trajets épuisants. Et ces permis sont conditionnés au fait que les Palestiniens travaillent dans des secteurs spécifiques où il n’y a pas de main-d’oeuvre israélienne, comme la construction, l’agriculture et l’industrie manufacturière. Or, dès le 10 octobre, soit trois jours après le début de la guerre, Israël a annulé les 18 500 permis de travail délivrés aux Palestiniens de Gaza.
C’est dire qu’avant même cette guerre, la bande de Gaza était, pour reprendre les termes de l’ONG Human Rights Watch, une « prison à ciel ouvert ».
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