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De la souffrance naît l’espoir

Dina Bakr , Mercredi, 03 janvier 2024

La seconde phase de l’initiative Hayah Gadida, exécutée par l’Association des enfants des prisonnières, vient de prendre fin. Cette ONG continue de mener des actions de sensibilisation et de formation destinées à lutter contre l’endettement des femmes.

De la souffrance naît l’espoir

Ne signe pas. Pas de signature sur une feuille blanche. Tel est le titre d’un livret qui sensibilise les femmes qui ont échappé de justesse à des peines de prison ou celles qui ont été incarcérées après une condamnation pour non-paiement de dettes. Car c’est l’objectif de Hayah Gadida (nouvelle vie), une initiative menée par l’ONG l’Association des enfants des prisonnières depuis l’année 2014 jusqu’à ce jour. « Neuf ans de travail de longue haleine, de formation et de sensibilisation. Ces deux facteurs importants sont les outils utilisés à Hayah Gadida pour prévenir les femmes déjà condamnées d’éviter de retomber dans ce piège sous prétexte de subvenir aux besoins de la famille », explique Nawal Moustafa, présidente de l’Association des enfants des prisonnières. Hayah Gadida avait d’abord commencé par organiser des formations pour les ex-prisonnières dont le nombre au départ s’élevait à 172. Elles ont appris à coudre, à broder, à confectionner des articles en cuir et à fabriquer des détergents. 90 petits projets ont été lancés et ce, grâce aux ateliers d’initiation à la gestion des petites entreprises, de formation en marketing et en stratégies de distribution, dont 115 femmes ont bénéficié. Et pour l’intégration sociale des 220 enfants de prisonnières, plusieurs activités sont organisées, ainsi que des séances de narration, de dessin, d’apprentissage de l’anglais et de participation à des excursions.

Hayah Gadida a fait un pas en avant en présentant un projet de loi au parlement qui appelle à l’exécution d’une peine de détention sous une autre forme, comme un travail d’intérêt général en dehors de la prison. Une réforme législative pourrait être salutaire pour atténuer l’impact traumatique lié à l’endettement.

Mais en attendant une telle loi, l’ONG s’attèle à sensibiliser les femmes pour ne pas s’endetter et à aider celles qui ont déjà connu la prison. « J’ai vécu une véritable tragédie : la honte face aux voisins, l’inquiétude pour le sort de mes enfants et les conséquences qui peuvent découler après cette condamnation à la peine de prison », raconte Hala, professeure de dessin. Elle a contracté des dettes afin de préparer le trousseau de sa soeur et elle avait fait d’autres emprunts pour pouvoir rembourser quelques créanciers. Hala a vécu une période d’angoisse et d’insécurité. « Durant ma détention, les membres de ma famille se sont éloignés de moi, y compris ma soeur, la cause du problème. Elle ne m’a pas rendu visite et n’a même pas appelé pour avoir des nouvelles de mes enfants », dit Hala dont le montant total de la dette s’est chiffré à 150 000 L.E. Seul, son conjoint a fait preuve de fidélité et de soutien à son égard. Il a vendu sa voiture et son employeur lui a accordé un prêt dont le remboursement s’effectuerait par des retenues successives sur son salaire mensuel. Lorsqu’elle a perdu sa fonction de professeur, l’Association des enfants des prisonnières l’a soutenue grâce à l’initiative Hayah Gadida. Hala a bénéficié de séances d’accompagnement psychologique qui l’ont aidée à surmonter cette expérience difficile tout en participant à des sorties et à des activités de divertissement pour mettre fin à son isolement.

« Le soutien psychologique a été très bénéfique pour moi, car, à la fin des poursuites judiciaires, on se tient en retrait de la société et on n’a plus envie de communiquer avec les autres », précise Azza, une ex-prisonnière. Durant sa détention, son fils, un adolescent, est mort d’une crise cardiaque. Après sa sortie de prison, elle a mis six mois pour se débarrasser de ce sentiment de culpabilité qui la rongeait pensant qu’elle était la cause du décès de son fils. Elle se disait que, si elle avait été à ses côtés, il aurait pu être encore en vie. Un tel soutien psychologique est salutaire et aide à surmonter les différentes étapes difficiles subies par les femmes endettées comme la prison, la perte d’un être cher, le divorce ou d’autres problèmes.

Une assistance adaptée aux différents besoins

Hayah Gadida choisit des programmes flexibles qui s’adaptent aux besoins des ex-prisonnières tout en étudiant chaque cas et l’environnement dans lequel elles évoluent pour les autonomiser financièrement. Chadia a suivi une formation en couture qui a duré trois mois et elle a appris à broder des draps et des taies d’oreiller. « L’association offre le matériel nécessaire et participe à des foires comme celles de Turathna (notre patrimoine) et Diarna (nos domiciles) pour vendre notre production et nous donner notre part de bénéfices », précise-t-elle. Son gagne-pain n’est pas encore rentable puisque le projet est nouveau. Elle pense qu’en possédant un magasin, elle pourrait avoir plus de clients. Et quand elle a voulu changer d’activité commerciale en nettoyant des légumes pour les femmes actives, elle n’a pas pu continuer à cause de l’instabilité des prix. Il était difficile pour elle de fixer une marge bénéficiaire stable.

A Hayah Gadida, l’espoir est le fil conducteur permettant aux femmes de devenir productives et autonomes financièrement. « Ma vie a changé. Je suis devenue une autre personne. J’ai reçu des certificats de mérite dans la gestion des projets et dans l’entrepreneuriat », dit Fadia qui vit dans un quartier populaire. A ce temps-là, les habitants lui jetaient des regards de mépris lorsqu’elle passait dans la rue car elle était recherchée par la police et même les gens à qui elle devait de l’argent. Aujourd’hui, et après sa remise en liberté et sa réhabilitation, elle vend des articles brodés, ainsi que des robes et des foulards à paillettes, qu’elle expose sur deux tables installées devant sa maison. Rien n’est laissé au hasard, elle sait comment faire ses calculs, mettre de l’argent de côté pour rembourser sa dette tout en subvenant aux besoins de sa famille.


La formation des prisonnières commence dès leur détention à la prison d’Al-Qanater.

Saisir sa chance n’est pas seulement la préoccupation de la société civile mais aussi celle de l’Etat qui cherche à améliorer la vie des nécessiteux. « La Banque Nasser fournit des crédits aux personnes endettées avec un taux d’intérêt bas », précise Nevine El-Kabbaj, ministre de la Solidarité sociale. Elle souligne qu’en cas d’emprisonnement de la mère et de la disparition du père, l’enfant est considéré comme orphelin et perçoit une pension alimentaire. Par ailleurs, l’Association des enfants des prisonnières essaye de développer les talents des enfants des ex-prisonnières en les intégrant dans des ateliers d’écriture, de théâtre et de dessin. « Nous avons la chance d’avoir une maison d’édition qui a imprimé gratuitement le roman rédigé par ma fille et qui sera en vente lors de la prochaine Foire du livre », dit Nadia fièrement. Elle espère que sa fille développera sa passion pour l’écriture pour en faire un métier d’avenir et ce, en participant à d’autres ateliers organisés hors de l’association. Chadia accorde beaucoup d’intérêt à cette formation continue dont bénéficient ses enfants. « L’éducation et le travail sont des facteurs essentiels dans la vie des enfants. Ni le mari, ni les proches ne peuvent compenser ces éléments indispensables pour garantir une vie paisible, sans avoir besoin d’emprunter de l’argent pour pouvoir joindre les deux bouts », conclut-elle.

Un dernier souhait auquel aspirent celles qui ont été poursuivies en justice pour endettement, c’est celui d’avoir un casier judiciaire vierge pour pouvoir trouver du travail, percevoir un salaire fixe et commencer une nouvelle vie.

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