Al-Ahram Hebdo : Le dialogue national a-t-il une chance de relancer l’économie ?
Sonia Naccache : Honnêtement, nous sommes sur le fil du rasoir. Le dialogue national peut basculer à tout moment et tout pourrait être bloqué si les choses ne vont pas dans le bon sens. Le fait qu’un dialogue a commencé est positif, mais le fait qu’il a traîné 3 mois est inacceptable.
Cela dénote un manque de responsabilité. Ce que je reproche à tout ce processus c’est la négligence de la situation économique. Elle devient de plus en plus grave et cela ne semble pas préoccuper suffisamment les personnes qui participent au dialogue national. La Tunisie a des difficultés pour boucler le budget 2013, parce que les prêts promis par la Banque mondiale, la Banque africaine du développement et le FMI n’arrivent pas. Et ils n’arriveront pas en l’absence d’un calendrier politique clair.
C’est la même chose pour le budget 2014 qui doit, en temps normal, être débattu au niveau du Parlement. Et on ne peut pas s’adresser aux institutions qui n’ont pas honoré leurs engagements en 2013.
— Quels impacts auront les prévisions de la baisse de la croissance sur le budget de l’Etat ?
— Les estimations de la croissance ont été ramenées un point plus bas, à moins de 3 %, ce qui pose un problème, car le budget de l’Etat reposait au départ sur un taux de croissance de 4 à 4,5 %. Les recettes seront donc plus limitées que prévu, alors que les dépenses resteront les mêmes. 2014 sera une année électorale. On ne sait pas encore la date exacte.
Si les élections sont reportées à la fin de l’année, on passera toute l’année dans l’incertitude. Les investissements ne démarreront pas. On ne peut plus tabler sur la consommation. Nos exportations sont volatiles. Les exportations agricoles et agro-alimentaires dépendront du climat. Le tourisme dépend surtout du contexte sécuritaire. Le tourisme a été considérablement affecté par les alertes que lancent les ambassades étrangères et les agences de tourisme. Beaucoup de vols vers la Tunisie sont supprimés. Reste le secteur du phosphate qui est sinistré depuis la révolution et qui n’arrive pas à exporter le quart de sa production, à cause des troubles sociaux dans les mines, mais aussi à cause de la gestion politisée de la compagnie.
Cette dernière versait chaque année 1,8 milliard de dollars au budget de l’Etat, ce qui équivaut au prêt du FMI. Si on avait laissé fonctionner le secteur du phosphate correctement, on n’aurait jamais eu recours au FMI, ni subi son diktat en termes de réforme. Le secteur est en train de récupérer, mais il est difficile de retrouver les niveaux de 2010.
— Aujourd’hui, faut-il miser sur un budget expansionniste ou sur l’austérité ?
— Le déficit budgétaire va tourner autour de 7,4 %. Et si les réformes ne sont pas engagées par rapport notamment aux subventions, il pourra atteindre plus de 8 % l’année prochaine. Actuellement, je ne crois pas qu’on puisse parler de budget expansionniste ou d’austérité. Les marges budgétaires se sont considérablement réduites. Il est difficile de parler d’austérité, mais une rationalisation est plutôt demandée.
Il faut réviser les subventions des hydrocarbures et pas celles des produits de base, sinon, il faudra fixer un salaire minimum. C’est la classe moyenne qui bénéficie des subventions à l’énergie, mais il faut étudier cela de façon rationnelle. Il y a des économies d’énergie à faire.
En outre, le gouvernement doit donner l’exemple. Les hauts fonctionnaires, les ministres, les secrétaires d’Etat, les directeurs et les sous-directeurs dans les administrations ont droit à 800 litres d’essence par mois par véhicule sous forme de bons d’essences gratuits. Certains ont 2 véhicules. Le Maroc par exemple a supprimé le véhicule de service et ne donne plus de voitures aux cadres. C’est la fiscalité sur les personnes physiques qui pose problème, car une partie des contribuables paye un impôt forfaitaire.
Ainsi, un médecin en plein centre-ville paye une somme dérisoire. Il faut réformer le système. Un café sur un grand boulevard ne doit pas payer la même somme qu’un petit café dans un village. Il faut adopter le zoning, car il est difficile pour ces commerces d’avoir une comptabilité.
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