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Houria Bouteldja : Une indigène de souche

Houda Belabd, Mardi, 29 octobre 2013

Militante politique franco-algérienne, porte-parole du Parti des Indigènes de la République Française, fervente défenseuse de la liberté de culte, Houria Bouteldja est pour le droit au port du voile dans les universités de France. Car dix ans après la promulgation de la loi sur les signes religieux, la question se débat encore.

Houria Bouteldja
Houria Bouteldja.

Une décennie vient de s’écouler sur la loi interdisant le port du voile dans les lieux publics en France. Cependant, le débat continue sa trajectoire de plus belle. Parmi les défenseuses de cette question, pour le moins épineuse, il y a lieu de mentionner Houria Bouteldja. Une mili­tante politique franco-algérienne qui multiplie ses sorties médiatiques dans le but de « pousser le débat plus loin ». Cette jeune femme au par­cours surprenant est, par la même occasion, porte-parole du Parti des Indigènes de la République. Fondé en 2005 par son mari Youssef Boussoumah et ses compères, le parti défend, entre autres, les droits des minorités ethno-religieuses en France.

C’est avec ferveur que Houria tient les rênes de cette cause. Selon ses termes, « les lois fran­çaises s’accordent à dire qu’est Français celui qui détient le droit du territoire de par sa nais­sance, et surtout de par son éducation. Les croyances religieuses, elles, restent person­nelles, mais nul ne possède le droit d’inciter autrui à cesser de pratiquer sa religion. Voici ce qui pousse notre parti à dire que la loi qui inter­dit les musulmanes de se voiler en France est anticonstitutionnelle ». Ces propos exempts de toute ambiguïté nous renvoient à l’été 2003, à une époque où, en France, une émission télévi­sée sur deux débattait du port du voile dans les endroits publics, de la liberté de le porter et de son rejet par le FN et l’UMP. « La droite fran­çaise devrait faire davantage d’efforts en matière de liberté et de fraternité, car la laïcité sépare le culte de la politique, sans pour autant bannir le premier ou glorifier la deuxième », ajoute-t-elle. Et c’est en partie pour cela que le Parti des Indigènes de la République est né.

Téméraire. C’est le moins que l’on puisse dire d’elle. Pour beaucoup, elle est même aventu­reuse. Ses premiers pas dans la vie politique, elle les a entamés en 2003. Depuis cette date, elle participe, non sans attachement, aux activi­tés de la Fondation du collectif des Blédardes. « En tant qu’organisations politiques, le collec­tif des Blédardes et le Parti des Indigènes de la République doivent penser à la condition des populations françaises. Celles-ci constituent notre base sociale potentielle. Parmi les indigènes, la moitié sont des femmes, et il y a une oppression de genre. La majorité est pauvre et discriminée, et il y a une oppression de classe », témoigne-t-elle.

Et de poursuivre : « Ce genre d’organisation politique doit exister parce que les femmes arabes, noires, musulmanes, pour ne prendre que l’exemple du genre, subissent l’oppression de deux patriarcats : celui des Blancs, à travers les institutions et le pouvoir, celui des indigènes, à travers le maintien et/ou la recomposition des structures patriarcales traditionnelles. Les deux patriarcats ont de nombreux traits en commun, mais ils ont aussi des intérêts contradictoires ». Cependant, ses premières années dans la scène politique ne se sont pas limitées à des discours en faveur des droits des minorités oppressées. Elle devient, de fil en aiguille, une adepte des tribunes et articles de presse. « S’exprimer dans les supports de presse ou dans les médias de masse en général, cela devient un devoir et non plus un droit, lorsqu’on fait partie de la sphère politique », rappelle-t-elle. Aussi a-t-elle participé à de nom­breuses conférences internationales tenues sur les questions d’islamophobie, de race et du féminisme. Des questions qui requièrent une bonne dose de diplomatie. Seul hic, Houria n’aime pas tellement cette tactique. Elle s’en sort très bien avec son franc-parler.

Sa mission sur terre ? Unir les minorités fran­çaises dans l’optique d’en faire une force à part entière. Selon ses mots : « Que nous soyons originaires d’Afrique, du monde arabo-musulman, des Caraïbes, habi­tants des cités ou tout simplement anticolonialistes, nous devons nous unir dans ce combat com­mun au nom de notre dignité en France. Nous devons nous unir pour exprimer ensemble notre solidarité avec tous les peuples en lutte. Nous devons nous unir pour apporter notre soutien inconditionnel à la lutte du peuple palestinien pour retrouver sa terre. Et aucun chantage à l’antisémitisme ne nous fera recu­ler ».

Etant également signataire au MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples), elle a publié diverses tribunes et chroniques pour dénoncer le racisme sous toutes ses formes en France. Malgré cela, un tollé, grand comme une gigue, l’a mise à l’épreuve il y a quelques années. En effet, par un bel après-midi de juin 2007, la militante a pris la direction des locaux de l’émission de télévision française « Ce soir ou jamais ». Elle devait, comme elle le faisait depuis ses premiers pas dans la vie politique, débattre de la question du racisme qui sévit dans les ban­lieues. Sa faute ? Elle a commis un lapsus, ou presque. En fait, elle a prononcé un terme et d’autres ont cru en avoir entendu un autre. Il s’est, effectivement, agi d’un malentendu, mais pas de n’importe lequel. « On met tou­jours la focale sur les quartiers populaires en déficit de connais­sances, de conscience politique, et on occulte complètement le reste de la société et ses privilèges (…) et moi, j’ai envie de dire que c’est le reste de la société qu’il faut éduquer. C’est le reste de la société occidentale, de ce qu’on appelle, nous, les souchiens, parce qu’il faut leur donner un nom … », a-t-elle témoigné. « Souchien ». Un mot composé de huit lettres. Un mot qui n’existe même pas dans le diction­naire de la langue de Molière, mais que beau­coup de Maghrébins de France emploient pour désigner les Français de souche.

Pour l’hebdomadaire français Marianne, qui a lancé la polémique dans un article intitulé « Une petite leçon de racisme », l’orthographe propo­sée a été « sous-chien ». Un terme que certains ont pris pour une insulte masquée par l’homo­phonie … « Certains », ce sont l’Agrif, (l’Al­liance générale contre le racisme et pour le res­pect de l’identité française). Une entité qui lui intente un procès devant le tribunal de Toulouse, causant sa mise en examen en mai 2010. Mais entre juin 2007 et mai 2010, « souchien » et « sous-chiens » remplissaient les colonnes de la presse locale. Le procès joue les prolongations. La controverse, elle, continue d’être nourrie d’accusations mensongères. Le 25 janvier 2012, l’Agrif perd son procès. Houria, elle, est relaxée.

Au lieu de l’abaisser, cette expérience dans la vie lui a donné envie de se surpasser. Suite à cela, elle a décidé de continuer son bonheur de chemin, non sans témérité. Car Houria ne lâche pas prise et ne retourne pas en arrière. De même, elle ne recule pas devant les défis, aussi lourds soient-ils. Fille d’ouvrier immigré, elle a grandi dans un quartier populaire. Les personnes comme elle savent pertinemment que les droits ne s’offrent pas, mais s’arrachent. Pour cela, il faut parler vaille que vaille.

Chose qu’elle a faite. En 2012, elle a sorti « Nous sommes les indigènes de la République », co-écrit avec Sadri Khiari, en collaboration avec Félix Boggio Ewanjé-Epée et Stella Magliani-Belkacem. Publié aux éditions Amsterdam, l’ouvrage traite du racisme et antiracisme, des luttes de l’immigration et du vécu des quartiers populaires.

De même, il braque les lumières sur l’Appel des Indigènes de la République. Lancée et signée par de nombreux militants politiques et associatifs ainsi que des intellectuels, cette union a réussi, aujourd’hui, à se faire entendre en France et ailleurs. Structurés en mouvement puis en parti, les Indigènes de la République proposent depuis 2005 une réinterprétation radi­cale, à travers les catégories de colonialité et de races sociales, des problématiques et des conflits qui traversent la société française.

En 2013, plusieurs journaux français et uni­versités européennes ont repris la tribune de Houria, intitulée « L’islamophobie est un racisme ». La tribune met en avant que les indigènes de la République réfutent unanime­ment l’islamophobie comme « nouveau système de domina­tion qui oppose certains Blancs à certains indigènes au travers du clivage de race ». Un clivage qui fournit, selon Houria Bouteldja, « des privilèges poli­tiques, économiques et symbo­liques aux Blancs au détriment des indigènes qui sont les sujets postcoloniaux. Le racisme est un système qui a pour fonction de maintenir les sujets postcoloniaux au bas de l’échelle sociale et dans un état d’illégitimité citoyenne par rap­port à la population dite de souche, qui est à la fois, et de manière indissociable, blanche, euro­péenne et chrétienne — de culture. Les indi­gènes sont systématiquement considérés comme étant en déficit d’intégration et de civilisation ». Et d’ajouter que le racisme structurel de la société française provoque « un conflit d’inté­rêts entre les classes populaires indigènes et les classes populaires blanches. Les premières se battant pour l’égalité des droits et pour le res­pect, les autres — bien sûr — pour préserver leurs acquis ou gagner des droits, mais aussi pour maintenir leurs privilèges vis-à-vis des premiers ».

Jalons :

1973 : Naissance à Constantine en Algérie.

2003 : Participation à la Fondation du collectif des Blédardes, en réaction au collectif Ni Putes Ni Soumises.

2005 : Devient la porte-parole du Parti des Indigènes de la République (PIR).

2007 : Co-auteur avec Philippe Lemoine, Pierre Bellanger et Gabriel Auxemery de La Révolution en 2010.

2010 : Mise en examen par le tribunal de Toulouse.

2012 : Gain du procès qui lui a été intenté par l’Agrif.

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