Suivre les écrans reportant le génocide de Gaza depuis environ deux mois ne peut provoquer que la détresse. Les images d’enfants, leurs jouets ensevelis sous les décombres, et l’humiliation de l’exclusion de leurs territoires ne peuvent pas passer sous silence. C’est quelque chose plus fort que la dépression, on se sent inclus, on se sent coupables. Coupables de se voir entourés de ses enfants, chez eux ou à l’école, tandis que les autres sont tués. A chaque instant, il est difficile d’effacer les images de l’atrocité israélienne contre tout un peuple, dans les moindres actes du quotidien.
On sent son impuissance totale. « Je suis chez moi, je mange, je dors et je suis entouré de ma famille, tandis qu’eux, ils meurent ». C’est le credo qui s’étend du quotidien de l’individu vers le cercle plus large dans la société, que ce soit au travail ou dans les différentes activités. L’exemple le plus criard était le festival artistique de la Saison de Riyad qui tombait en pleine période d’attaques meurtrières et de bombardements contre les hôpitaux à Gaza. Ce qui a enflammé les réactions sur les réseaux sociaux : comment faire la fête tandis que nos confrères confrontent un sort meurtrier ? D’autant plus que la réaction des artistes participant à cette festivité s’est divisée dramatiquement. tandis que le comédien Mohamad Sallam s’est retiré de jouer un rôle dans une pièce de théâtre en signe de solidarité avec les Palestiniens, Bayoumi Fouad, quant à lui, a signé présent, mais a aussi ouvert le feu sur son collègue en essayant de se disculper des accusations de manque de compassion et de solidarité avec le peuple palestinien à un moment très délicat.
D’autres événements culturels, festivals et colloques, ont en revanche été reportés. La question persécutait tout un chacun : A quoi sert de regarder un film, d’écouter un concert de musique ou d’assister à une table ronde ? Face à la guerre, tout est insignifiant. Sur la toile, un chat entre deux jeunes poétesses sur leurs pages Facebook reste très significatif. La première, Esraa El Nemr, exprime sur son mur Facebook son incapacité, non pas d’écrire, mais de remémorer certains vers ou de savourer certains autres. Elle partage sa stupéfaction : « Est-ce que je suis devenue prématurément vieillarde ou est-ce que mes sentiments se sont pétrifiés ? ». Alors, son amie Nahed El-Sayed déduit : « Point de poésie lorsqu’il est question de sang ».
A chacun sa méthode
Dans les différents cas de sentiment de culpabilité passés dans votre vie, vous avez tendance à revivre sans cesse les situations négatives et à se laisser au remords de « j’aurai dû faire cela ». Mais que faire face à une crise existentielle, ou dans le cas où tout le monde vit aujourd’hui ? Dans une guerre où l’occupant agresse l’occupé et qui se transforme en un génocide tandis que la communauté internationale reste immobile. La première chose recommandée est de travailler sur soi au niveau des sentiments : se débarrasser du négatif et télécharger le positif. Les thérapeutes recommandent un exercice simple qui consiste à dédier 15 minutes aux pensées négatives. Rester dans un endroit calme, fermer les yeux et commencer à retourner le sujet d’une perspective constructive, en se disant que « je pourrais être plus positive ». Ecrire sur papier les pensées négatives, les laisser dans une boîte et n’y plus penser.
Puis, télécharger le positif au fond de soi-même, c’est-à-dire chercher au plus profond et se laisser à ses émotions spontanées. Chacun révèle sa positivité selon ses capacités : il existe ceux qui plongent dans le spirituel, se concentrent sur les enfants victimes de Gaza et prient pour eux jour et nuit, ceux qui recourent à la technique libératrice de l’écriture pour envoyer des messages, des dessins, des mots de solidarité juste pour dire que de l’autre côté, « nous pensons à vous ». Ou encore ceux et celles qui consacrent leurs aptitudes créatrices et artistiques pour afficher leur solidarité avec les enfants palestiniens. C’est le cas de l’artiste Heba Helmi qui s’est affectée des enfants-martyrs et a décidé de leur consacrer son exposition intitulée « Baqaa » (survivre). Sur une longue toile, une banderole, elle écrit en calligraphie arabe les noms des enfants martyrs dont les aînés ne dépassent pas les 17 ans. Ce projet individuel est basé sur la collectivité, un travail artistique en progression, puisque l’artiste invite les enfants égyptiens et leurs familles à écrire par leurs propres mains les noms de leurs homologues palestiniens sous les décombres. Un procédé qui fait fondre le coeur, mais qui en même temps aide à envoyer un message collectif de solidarité qui défie l’oubli : la survie à Gaza et à la résistance.
Quatre moyens de dépasser le sentiment de culpabilité
1. Les premières étapes d’éliminer le sentiment de culpabilité seraient de se fondre dans la collectivité. Puisqu’on est conscient de l’impossibilité de sortir sa colère et d’exprimer sa compassion, on reste ancré derrière la télé ou les appareils smart. Regardons, donc, la colère des autres et identifions-nous avec eux sur les écrans.
2. Retour aux archives et au répertoire palestiniens : la compassion avec la cause palestinienne se traduit par une attitude rétro qui consiste à faire revivre le passé glorieux des propriétaires des territoires palestiniens. Par exemple : remonter à la carte originelle des villes palestiniennes, celle qui a été défigurée par l’ennemi et rectifier son image. L’afficher sur les comptes des réseaux sociaux, la léguer et l’apprendre à ses enfants sans plus jamais accepter de répéter les noms falsifiés d’Israël. Rappeler l’histoire des 75 ans d’occupation et l’historique de la transgression des droits internationaux qui gèrent la relation avec les citoyens propriétaires de la terre.
3. Préserver l’histoire vivante de la Palestine. Tout le patrimoine oral est aujourd’hui partagé et repartagé en vidéos et reels sur les médias sociaux. D’innombrables sites s’installent ou se développent pour préserver les chansons, les histoires des anciens, les témoignages de l’agresseur qui sont des aveux de crimes de guerre et les témoignages des Palestiniens qui remémorent l’expulsion de 1948 de leurs demeures. Exemples de sites Palestinian Museum Digital Archive : http://www.palarchive.org
4. Penser à la philanthropie. En dépit des difficultés de faire passer les aides humanitaires par le point de Rafah en Egypte, la contribution des Egyptiens aux produits, soins médicaux ou nourriture est une petite victoire qui remonte le moral du destinateur et donne ses effets directs de solidarité humaine. Des comités populaires de solidarité se perpètrent comme le Comité populaire de la solidarité avec les Palestiniens qui s’est revivifié récemment, mais aussi de nombreuses organisations caritatives luttent pour pouvoir passer les aides. Parmi les initiatives signifiantes, celle de Jouet et conte, lancée par des individus tous azimuts, qui consiste à rassembler des jouets, des cahiers de dessin et des crayons de coloriage de différents types pour les enfants gazaouis de moins de 8 ans. Certains enfants égyptiens n’ont pas manqué l’occasion pour écrire à leurs frères palestiniens des lettres et faire de petits dessins qui disent : « N’oubliez pas qu’il y a des enfants de l’autre côté du mur qui vous aiment et pensent à vous ».
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