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Amal Al-Agha : Le rêve du retour

Lamiaa Alsadaty , Samedi, 25 novembre 2023

Elle a passé toute sa vie en Egypte, mais elle garde en son âme une identité purement palestinienne. Amal Al-Agha, présidente de l’Union des femmes palestiniennes au Caire, poursuit sans relâche sa mission de soutenir les familles palestiniennes ici comme ailleurs.

Amal Al-Agha

Une grande photo de Yasser Arafat, une carte de la Palestine, une photo de la militante et écrivaine Samira Abou-Ghazala et de grandes armoires dont les portes en verre laissent paraître des « thobs » (robes palestiniennes amples dont le buste, les manches et les manchettes sont recouverts de broderies). Que reste-t-il de plus pour dévoiler l’identité du lieu ? Au siège de l’Union des femmes palestiniennes, au centre-ville du Caire, Amal Al-Agha reçoit « Al-Akhawat » (les consoeurs) qui viennent chercher de l’aide ou proposer leur soutien. « La situation est à la fois catastrophique et horrifique. Chacune de nous a une famille, des amis avec qui toute communication est interrompue. On ne sait plus rien de leur sort », lance Al-Agha, vêtue en noir et portant autour du cou le keffieh (écharpe à carreaux noir et blanc, symbole du nationalisme palestinien), en nous présentant un groupe de filles coincées au Caire depuis le déclenchement de la guerre à Gaza.

D’un petit sourire enveloppé d’une tristesse profonde, elles n’hésitent pas à afficher leur reconnaissance à Amal Al-Agha, mais aussi à l’Egypte qui les a bien reçues. Mais le rêve du retour fait, malgré tout, vibrer le coeur. « C’est le cas de tout(e) Palestinien(ne) dans la diaspora », affirme Al-Agha dont la famille a été obligée de quitter la Palestine en 1948. « Avec la Nakba (la catastrophe), notamment les massacres de Deir Yassine, mes grands-parents ont décidé de quitter Jaffa et de se sauver. Encouragé par son ami égyptien commerçant, mon grand-père a opté pour l’Egypte. La famille a pris tout ce qui est léger, facile à emporter et précieux tels le contrat de la maison, la clé et les journaux dans lesquels sont mentionnés les massacres perpétrés contre les Palestiniens. Bref, des documents qui prouvent qu’ils ont vécu là-bas », raconte Amal, s’étalant sur l’histoire de sa famille, qui passe de génération en génération. Elle ajoute : « Ils ont pris le bus avec beaucoup d’autres familles, de Jaffa passant à Gaza, puis à Al-Qantara (au nord-est de l’Egypte) où se sont installées certaines familles, qui vont plus tard retourner à Gaza. Mes grands-parents étaient déterminés à résider au Caire, dans le quartier de Abbassiya qui abritait une large communauté originaire de Jaffa ». Car depuis les années 1930, le roi Fouad, ayant refusé d’installer des camps de réfugiés pour les Palestiniens en Egypte, avait autorisé l’entrée de familles entières, à condition qu’elles aient des parrains et de quoi vivre.

C’est donc dans le quartier de Abbassiya que la petite Amal, née en Arabie saoudite, a grandi dans la maison parentale, où elle est arrivée à l’âge de 4 ans, à la suite de la mort de son père. Dans ce quartier, elle a appris comment être une Palestinienne teintée d’égyptianité. « A l’école, je saluais, chaque matin, le drapeau égyptien. Et je partageais mes sandwichs de zeit wa zaatar (thym à l’huile d’olive) avec mes copines. Je me souviens toujours de l’année 1973, lorsque je suis allée avec mes collègues à l’hôpital Al-Hilal Al-Ahmar (le Croissant-Rouge) afin de rendre visite aux soldats blessés. Je leur avais offert en cadeau du kahk et des biscuits faits maison », raconte-t-elle avec son accent palestinien. Un accent qui persiste encore, malgré toutes ces années. « Chez soi, on ne parlait qu’en palestinien, on continue à manger mejaddara, maloubeh … (des plats palestiniens populaires). Et toutes les fois qu’on termine de boire sa tasse de café, on dit fil bilad inchallah (c’est-à-dire dans l’espoir de boire ce café dans notre pays). D’ailleurs, on organise depuis toujours ce qu’on appelle Istiqbal : une femme palestinienne reçoit chez elle, une fois par semaine, des compatriotes pour échanger, partager un repas, ou boire un café … ».

Autant de choses qui ont permis de préserver l’identité palestinienne et de la transmettre de génération en génération, au sein d’une société égyptienne ouverte à la diversité.

Toutefois, en 1978, avec les accords de Camp David, le ministre égyptien de la Culture à l’époque, Youssef Al-Sébaï, a été assassiné par un Palestinien, et la presse égyptienne a accusé l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) d’en être le commanditaire. Un incident qui a changé le cours des choses et a poussé la jeune Amal vers le politique, pour concevoir autrement la cause palestinienne. « Au niveau sociétal, l’indignation a été rapidement palliée. Par ailleurs, j’ai ressenti que je devrais jouer un rôle quant à la cause palestinienne, ma propre cause : j’ai adhéré à l’Union des étudiants palestiniens, puis après à l’Union des femmes palestiniennes ».

L’engagement des Palestiniennes date depuis les années 1920-1930. Avec Matiel Mogannam, Khadija Husseini, Mélia Sakakini et Tarab Abdel-Hadi est née l’Association des femmes arabes, la plus importante association de femmes de l’époque en Palestine. Ses membres multipliaient les contacts avec d’autres militantes arabes, comme l’Egyptienne Hoda Chaarawi, et des organisations de femmes syriennes, libanaises ou encore iraqiennes.

En 1938 se tient au Caire, sous la direction de Hoda Chaarawi, la Conférence des femmes orientales sur la défense de la Palestine. Traitant de questions liées à la situation politique en Palestine, la conférence avait comme conséquence la création de comités féminins pour la défense de la Palestine dans leurs différents pays, coordonnés par le comité égyptien, afin de garantir la mise en oeuvre des résolutions adoptées. Parmi celles-ci figuraient l’abolition du mandat britannique, l’annulation de la Déclaration Balfour, le frein à l’immigration juive et l’interdiction de vendre les terres aux juifs … Or, vu une situation politique qui ne cesse de se compliquer, il y a eu une scission entre les membres de l’association.

« En 1963, l’Union des femmes palestiniennes voit le jour au Caire. Elle visait à soutenir les Palestiniennes et à mobiliser tous les efforts possibles pour défendre la cause palestinienne. A savoir venir en aide aux familles défavorisées, payer les frais de scolarité des élèves et des étudiants dans le besoin, ou collecter des dons, des médicaments, des couvertures, des vêtements, etc. pour les envoyer en Palestine via le Croissant-Rouge », affirme Amal, dont les yeux ne cessent de briller, empêchant cependant ses larmes de couler. « La vie continue. Il faut persévérer. Un jour, on va y retourner. J’en suis sûre ».

Attachée à la mémoire du pays, elle passait les vacances chaque été avec son mari et ses enfants à la ville d’Al-Arich, dans le Sinaï. « Nous disions à nos enfants que la plage, chez nous, ressemble beaucoup à celle d’Al-Arich. Nous pointions du doigt ce là-bas, leur disant que c’est le bled, notre pays. Et, mon mari nous amenait tous les ans à Cheikh Zowayed (dans le nord du Sinaï) où il y a des sycomores comme en Palestine ».

Elle se souvient encore même du jour où ils se sont mis d’accord avec les membres de leur famille, habitant de l’autre côté de la frontière, pour se voir. « Nous sommes allés à Rafah, près des fils barbelés, pour leur dire bonjour ».

Son mari faisait des études d’agronomie à l’Université d’Assiout, lorsqu’Israël s’est emparé de Gaza. Peu après, il a adhéré au mouvement Fatah et était donc interdit d’entrer en Palestine. Ce n’est qu’après les accords d’Oslo qu’on a permis aux Palestiniens d’entrer à Gaza et Jéricho.

« En l’an 2000, pour la première fois, j’ai senti l’odeur du pays, une très bonne odeur, et bien que la superficie de la bande de Gaza soit de 356 km2, j’ai eu l’impression qu’elle était si vaste qu’elle pouvait nous réunir facilement », décrit Amal Al-Agha avec beaucoup d’émotion. Et d’ajouter : « On a dû prendre l’autorisation pour visiter le reste du pays. A Bab Al-Amoud (porte de Damas), je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer en voyant la mosquée d’Al-Aqsa contrôlée par les forces de l’occupation ». De cette première visite, elle est retournée avec tant de choses du pays : beaucoup de photos, du sable de Jaffa, du thym de Tulkarm et de la sauge de montagne. Amal ne cesse de rêver encore d’y retourner un jour : « Nous avons fait des économies pour pouvoir bâtir une grande maison avec un grand jardin ». Mais si cela arrivait, qu’emporterait-elle de l’Egypte ? « L’Egypte m’habite. Je répète souvent les mots d’Abou-Ammar (Yasser Arafat) : Ana Falastini Masriyou Al-Hawa (je suis palestinien passionné de l’Egypte). Je ferai certainement des allers-retours entre les deux pays », conclut-elle.

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