Al-Ahram Hebdo : Israël a appelé à un transfert de la population palestinienne de Gaza vers l’Egypte et certains analystes estiment qu’il voudrait éventuellement transférer les Palestiniens de Cisjordanie vers la Jordanie. Comment Amman perçoit-elle une telle proposition et quelle en serait la conséquence ?
Nayef Saoud Al-Kadi : La Jordanie et l’Egypte, en totale coordination et plein accord, rejettent catégoriquement un déplacement des Palestiniens, que ce soit vers la Jordanie ou l’Egypte. Un tel transfert constituerait une déclaration de guerre et il est important que le peuple palestinien maintienne sa volonté de demeurer en terre palestinienne et de refuser tout déplacement qui a pour but de liquider la cause palestinienne.
— Comment évaluez-vous la réaction de la communauté internationale face à cette crise ?
— La communauté internationale fait preuve d’une absence totale face aux événements actuels et au développement de la question palestinienne. Les divergences qui sont apparues au cours des réunions du Conseil de sécurité reflètent, d’une part, une division de la communauté internationale et, d’autre part, un mépris de la part des grandes puissances envers les droits des Palestiniens depuis plus de 70 ans.
— Quels sont les facteurs qui ont conduit à la situation actuelle ?
— Les principaux facteurs qui ont mené à cette crise incluent l’absence totale de la justice et la longue attente du peuple palestinien pour réaliser ses aspirations, en premier lieu le retrait d’Israël des territoires palestiniens et l’établissement d’un Etat palestinien. Un autre facteur est le fait qu’Israël ignore totalement toutes les résolutions internationales et poursuit ses violations contre toutes les lois et les coutumes internationales et humanitaires.
— La Jordanie a récemment rappelé son ambassadeur. Quelles répercussions l’offensive israélienne a-t-elle sur les relations entre Israël et la Jordanie ?
— La position jordanienne demeure inchangée. Elle est pour le soutien de la cause palestinienne et la nécessité de résoudre le conflit selon les résolutions arabes et internationales. Ces dernières incluent le retrait d’Israël de tous les territoires arabes occupés, ainsi que l’établissement d’un Etat palestinien indépendant sur la terre palestinienne avec Jérusalem-Est comme capitale.
— Que pensez-vous de la position d’Israël selon laquelle la guerre contre Gaza relèverait de la « légitime défense » suite à l’attaque du Hamas le 7 octobre ?
— Israël, avant et après le 7 octobre, est une entité raciste et illégitime qui a été implantée en Palestine aux dépens du peuple palestinien. Ce qui se passe aujourd’hui est un conflit entre, d’une part, une entité fortement armée qui sert comme base pour les intérêts occidentaux dans la région et, d’autre part, une partie palestinienne qui essaye de regagner une partie de la terre palestinienne.
— Qu’en est-il de la position des pays arabes vis-à-vis de cette guerre ?
— A l’heure actuelle, il est crucial que les pays arabes adoptent une position unifiée et en coordination avec les Palestiniens, afin de mettre en avant une position palestinienne unique en Cisjordanie et à Gaza avec les mêmes revendications, à savoir la création d’un Etat palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale.
— Mais ont-ils des leviers d’action pour avoir un impact sur la situation ?
— Les pays arabes, ensemble, possèdent une force suffisante pour faire face aux défis actuels. Il y a de récentes mesures qui soulignent l’unité arabe, entreprises par la Jordanie qui a rappelé son ambassadeur d’Israël et qui a renvoyé l’ambassadeur israélien de la Jordanie. Bahreïn a également fait pareil.
— Quel est l’impact de l’offensive militaire israélienne contre Gaza du point de vue régional ?
— La guerre que mène Israël est injuste et il s’agit d’une guerre génocidaire qui vise à transférer les Palestiniens de leurs terres. Car elle est menée par une armée d’Etat organisée face à une faction qui ne possède pas d’armes adéquates. Ce qu’il faut mettre en place dans l’immédiat est tout d’abord la constitution d’une position unique palestinienne et, ensuite, une position unifiée des Arabes pour soutenir ces derniers. C’est une mission difficile mais qui n’est pas impossible.
— Certains analystes pensent que le but d’Israël serait géopolitique …
— Israël représente la base des intérêts occidentaux et américains au Moyen-Orient. Nous assistons aujourd’hui à une guerre qui a pour but non pas de vaincre le Hamas, mais qui va au-delà de l’occupation de Gaza pour étendre le cercle d’influence d’Israël dans la région et mettre la main sur les ressources des pays arabes voisins, surtout l’eau et le pétrole.
— Et quelle serait donc l’issue de cette crise ?
— Une solution militaire n’a pas lieu d’être à l’heure actuelle. Il faut consolider le front de la paix dans la région arabe et profiter de la division internationale pour l’intérêt de la cause palestinienne qui est la cause principale.
— Est-ce que la guerre contre Gaza pourrait devenir régionale ?
— Israël n’agit pas seul dans la région et a toujours opéré au sein d’une coalition internationale qui regroupe les Etats-Unis et les Etats de l’Otan. Cela fut déjà le cas en 1956 lors de l’agression tripartite contre l’Egypte, mais également au cours des guerres de 1967 et de 1973. Israël est un instrument des puissances occidentales, il agit pour les intérêts des Etats-Unis et de l’Occident dans la région arabe. Et il n’y a pas de limite à ses convoitises, surtout envers les pays voisins. Toutefois, je ne pense pas que cette guerre donne lieu à une guerre régionale pour l’heure actuelle. Les Etats-Unis sont le principal partenaire d’Israël dans cette guerre et ils ne veulent pas d’un conflit régional qui pourrait avoir des effets néfastes sur leurs vastes intérêts dans la région.
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