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Les cris de détresse des Gazaouis

Hanaa Al-Mekkawi , Vendredi, 27 octobre 2023

Victimes collatérales de la guerre, les Palestiniens de Gaza sont pris au piège. Al-Ahram Hebdo a contacté des Gazaouis qui racontent leur quotidien sous les bombes. Témoignages.

Les cris de détresse des Gazaouis
Les habitants essaient de trouver des survivants sous les décombres d’un immeuble.

Olfat a miraculeusement survécu au bombardement qui a détruit sa maison. Elle a été retirée des décombres après avoir passé plusieurs heures sous un amas de ruines avec environ 200 autres personnes, dont la plupart sont mortes. Aucun membre de sa famille n’a survécu. Après avoir été secourue, elle s’est rendue dans l’une des écoles de l’UNRWA transformées en abris d’urgence, comme beaucoup de Palestiniens dont les maisons ont été bombardées. Malheureusement, elle n’a pas trouvé de place parce qu’elle n’avait pas enregistré son nom suffisamment tôt. N’ayant pas trouvé de refuge, elle est restée dans la rue à côté des décombres, entourée de quelques enfants qui ont survécu au raid aérien et ont perdu leurs familles. Privée d’eau potable comme tous les Gazaouis, Olfat a décidé d’aller chercher de l’eau de plus en plus loin, pour aider les autres à étancher leur soif. Elle n’a pas beaucoup pleuré lorsque les membres de sa famille ont péri. Pour elle, ils sont des martyrs. Elle s’y attendait tout comme ceux qui vivent dans la bande de Gaza, et qui savent que la mort peut les surprendre à chaque instant.

En effet, il s’agit là d’un tout petit détail de la vie quotidienne à Gaza ces deux dernières semaines,

 depuis qu’Israël a lancé son offensive contre cette enclave en proie à un siège total, après que le Hamas avait lancé son opération « Déluge d’Al-Aqsa ». « En effet, la situation à Gaza a toujours été instable. Nos vies sont constamment menacées et c’est difficile à vivre au quotidien. Mais ce qui se passe aujourd’hui est bien plus grave, nous sommes systématiquement soumis à un blocus total et nous subissons un génocide », s’exprime le journaliste Sami Abou-Salem, joint par téléphone.

Les écoles de l’UNRWA comme seul refuge

Sami parle difficilement, et sa voix est à peine audible à cause des bruits de détonation. Lui-même ne sait même pas s’il va survivre à ces raids. Les journalistes ne sont pas protégés et certains d’entre eux ont été ciblés. Mais son devoir est de continuer à essayer de transmettre au monde une image de ce qui se passe dans sa ville jusqu’à son dernier souffle de vie. Sami poursuit en disant que les seuls endroits qui sont peut-être un peu sécurisés, ce sont les écoles de l’UNRWA qui dressent l’emblème et le drapeau de l’Onu, pour éviter d’être bombardées. « Mais ce n’est même pas sûr », dit-il. Un très grand nombre de femmes, d’enfants et de vieillards ont trouvé refuge dans ces écoles. Le chiffre est exorbitant. Les salles, les couloirs et les cours de récréation sont pleins à craquer.

Sami ne pouvait continuer à parler au téléphone plus longtemps craignant que la batterie ne s’épuise, car il risque de ne pas pouvoir la recharger. L’Etat d’Israël a coupé l’électricité dans la bande de Gaza et le secteur de l’énergie a été affecté par l’escalade militaire et la fermeture des points de passage frontaliers, ce qui a entraîné l’épuisement du carburant nécessaire pour faire fonctionner la seule centrale électrique de Gaza, privant ainsi la ville de courant pendant plus de 20 heures par jour et provoquant la paralysie de tous les secteurs de service, en particulier ceux liés à la santé : hôpitaux et cliniques, en plus du secteur des services liés à l’eau et à l’assainissement. « Au début, nous avons essayé de faire face à cette situation avec difficulté en utilisant des groupes électrogènes et des chauffe-eau qui fonctionnent à l’énergie solaire. Mais cela n’a pas duré, car cela fonctionne avec du carburant comme le gasoil, et le stock interne commence à s’épuiser et ne suffit plus », explique Sami.


Les rescapés sont accueillis dans une école de l’UNRWA à Gaza.

Ville fantôme

Pas d’électricité, mais aussi pas d’eau. Plus de 2 millions de Gazaouis sont privés du minimum. Après avoir épuisé tous les réservoirs, ils utilisent maintenant de l’eau salée, ou contaminée, non potable comme l’affirme Rami Ayech. « Nous n’avons accès ni aux légumes ni aux fruits parce qu’ils nous ont interdit de nous rendre dans les fermes qui en produisent, alors nous tirons sur nos provisions en nourriture qui commencent à s’épuiser et il est devenu difficile d’en acheter en raison des bombardements qui ont touché les magasins. Nous avons l’habitude de faire du pain à la maison, chose que nous ne pouvons plus nous permettre, car il n’y a pas d’électricité pour allumer les fours, en plus, il y a un manque de farine et de semoule. A présent, les Gazaouis partagent leur nourriture ensemble et éliminent les portions », raconte-t-il. Rami, blessé, a perdu sa femme, ses enfants, ses parents, ses beaux-parents et ses belles-soeurs dans un bombardement qui a détruit la maison familiale. S’il survit, c’est parce qu’il aidait à évacuer des blessés à l’hôpital. Il se déplace maintenant entre les écoles et les hôpitaux pour offrir son aide sans craindre de mourir.

Les raids israéliens ont transformé Gaza en une zone sinistrée comme si un tremblement de terre dévastateur l’avait anéanti. D’importants dégâts ont été causés aux réseaux d’égouts et les services de communication et d’Internet ont été affectés. Les équipes d’entretien technique disent qu’elles ne sont pas en mesure de réparer les dégâts ou de rétablir les services aux citoyens. La bande de Gaza est devenue une ville fantôme.

« Je n’aime pas quand la nuit tombe car le bruit des bombardements est strident à cause du silence », dit Soha, un enfant de 9 ans accrochée au cou de son père dans la cour d’une école. « J’ai embrassé les murs avant de quitter ma maison », dit Karem Al-Abdallah, alors qu’il marche dans la rue avec 10 autres membres de sa famille, portant des valises tout en cherchant un endroit qui leur servira d’abri. Après que tous les bâtiments autour d’eux avaient été bombardés, ils ont décidé de fuir et rejoindre des milliers d’autres personnes qui ont trouvé refuge dans une école où l’état des toilettes laisse à désirer, avec absence de vie privée, mais l’endroit est plus sécurisé. A l’exception de certains, comme Karem, qui descend dans la rue en cas d’extrême nécessité, les rues sont complètement vides, sauf parfois on voit une charrette tirée par un âne qui passe transportant les corps des martyrs ou une ambulance essayant de se frayer un chemin pour atteindre des blessés en espérant qu’elle ne sera pas touchée par les bombardements. Beaucoup de victimes sont parmi les ambulanciers eux-mêmes car les ambulances sont ciblées par l’armée israélienne.

Rendez-vous avec la mort

Bien qu’Israël possède des armes dotées d’une technologie très avancée lui permettant d’identifier ses cibles avec grande précision, l’armée ne fait pas de distinction. Les cibles, ce sont des quartiers entiers, les victimes des familles entières. « Cette fois, on veut nous exterminer », dit Manal. Cette dernière et ses proches n’ont pas quitté la maison familiale dont les portes et les fenêtres ont été arrachées à cause de la force du bombardement. Et comme le groupe électrogène fonctionne toujours, ils ont au moins la possibilité de charger leurs téléphones pour communiquer avec les autres.


Le désespoir.

Dans les 8 hôpitaux de Gaza, la situation est catastrophique. Du jamais-vu auparavant, malgré toutes les guerres que la ville avait traversées. D’après les rapports officiels palestiniens, les hôpitaux souffrent de graves pénuries de médicaments, de fournitures médicales de base, d’équipements des appareils de radiologie, de matériel opératoire et de lits, compte tenu du grand nombre de blessés. « Nous avons l’habitude de recevoir des blessés graves tout le temps à cause des bombardements aveugles sur Gaza de temps en temps au fil des années, et nous avions soigné leurs blessures jusqu’à ce qu’elles aient guéri. Maintenant, nous n’avons ni le temps ni les médicaments nécessaires pour soigner. Alors, dans les cas graves, nous amputons immédiatement les organes, sans essayer de les traiter », dit le médecin Fahd Saad. Il ajoute que l’équipe médicale ne garde à l’hôpital que les cas très critiques, tandis que pour des blessures moins graves, on fournit des soins rapides et les blessés quittent immédiatement l’hôpital. Il n’y a même plus de place dans les morgues qui sont remplies de cadavres.

Même les morts n’ont pas de place. Même les morts attendent d’être identifiés. Piégés, ceux qui sont encore en vie marquent leur nom sur leurs bras afin qu’ils puissent être facilement identifiés en cas de bombardement. Et Sami de conclure : « Aujourd’hui, Gaza est une prison à ciel ouvert où attendre la mort est notre seule réalité ».

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