Douze jours d’enfer. Le monde entier a les yeux rivés sur la bande de Gaza où l’offensive israélienne « Epées de fer » se poursuit sans relâche. Gaza est au bord de l’implosion. Les bombardements par milliers pleuvent sur l’enclave palestinienne en proie à un siège total, illégal du point de vue du droit international, au bord de la catastrophe humanitaire. Plus de 2 800 Palestiniens morts et un million de civils déplacés vers le sud. Les dirigeants du monde multiplient leurs concertations, avec d’incessants va-et-vient de hauts responsables dans la région. La multiplicité des échanges est à la hauteur du danger, celui d’un embrasement général. Le président américain, Joe Biden, après avoir dépêché son secrétaire d’Etat, Antony Blinken, en Israël et dans plusieurs capitales arabes, dont Le Caire, vient en personne ce mercredi en Israël, puis à Amman, en Jordanie, où il rencontrera le roi Abdallah II, le président Abdel-Fattah Al-Sissi et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas (voir page 5). Blinken, lui, après 8 heures d’entretiens avec le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a parlé d’un plan pour permettre à l’aide humanitaire internationale d’entrer dans la bande de Gaza (voir page 5). C’est tout au plus ce que l’on espère aujourd’hui, l’acheminement de l’aide, pas même une trêve humanitaire, tant Israël s’obstine à aller jusqu’au bout de sa logique de guerre.
Et pendant ce temps, Gaza retient son souffle. L’armée israélienne se prépare à la nouvelle étape. Elle mobilise ses troupes. S’appuie sur un redoutable arsenal. Des dizaines de milliers de soldats, de chars et de pièces d’artillerie sont massés à la périphérie du territoire. Quelque 300 000 réservistes ont été rappelés, aux côtés d’une force permanente de plus de 160 000 hommes.
Mais à quand une attaque terrestre israélienne contre Gaza et comment se déroulerait-elle ? De quelle ampleur serait-elle et quelles seront ses conséquences ? Pour répondre à ces questions, il faut d’abord revenir sur les objectifs des Israéliens, à savoir détruire le Hamas. « Israël l’a clairement dit, il veut sécuriser son propre territoire et faire en sorte que la bande de Gaza ne soit plus une source de menace sécuritaire, et donc, anéantir l’infrastructure du Hamas. Or, cela ne peut passer que de deux manières : ou bien détruire la bande de Gaza entièrement ou bien l’évacuer. Ce qui est extrêmement risqué », estime Mohamed Mansour, expert militaire au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ESCC).
Une opération terrestre aux contours flous
Mais est-il possible de réduire à néant un groupe comme le Hamas qui, au-delà de sa branche armée, représente une idéologie ? Tous les analystes s’accordent à répondre « non ». « Par ses frappes, Israël peut limiter les capacités militaires du Hamas, mais pas l’exterminer. De son côté, le Hamas table sur une intervention terrestre qui ferait d’énormes pertes humaines et qui devrait, à terme, s’arrêter ». La menace de « lancer une offensive terrestre contre notre peuple ne nous fait pas peur et nous y sommes prêts », a d’ailleurs déclaré le porte-parole de la branche armée du Hamas, Abou Obeida, dans un enregistrement audio publié lundi 16 octobre.
Les contours d’une incursion terrestre restent encore flous. L’envoi de forces terrestres dans les zones urbaines densément peuplées de Gaza est une opération périlleuse. La portée d’un éventuel assaut terrestre n’est pas non plus claire : jusqu’où irait l’incursion et combien de temps durerait-elle ? « La guerre sera longue », reconnaît Netanyahu. Mais qu’entend-il exactement ? « La première probabilité est celle d’une incursion partielle dans le nord de Gaza, d’où l’appel des autorités israéliennes aux Gazaouis de se diriger vers le sud. La deuxième est celle d’une incursion totale. C’est le scénario le moins probable, car il présente de nombreux risques, notamment en matière de pertes humaines, et le moins désiré par les Etats de la région et par la communauté internationale en raison de la possibilité de l’entrée en jeu d’autres parties régionales comme le Hezbollah et les factions pro-iraniennes. En plus, il pose le problème de la question des Israéliens pris en captivité par le Hamas. Tous ces facteurs éloignent cette hypothèse », estime Mansour, d’autant plus que le Hamas a annoncé en détenir entre 200 et 250. Et d’ajouter : « Il reste deux probabilités : des opérations spéciales menées par Israël, terrestres, aériennes et maritimes, sur le long terme qui visent les capacités militaires du Hamas et des factions palestiniennes, une sorte de guerre d’usure, des opérations spéciales sur le long terme, et la poursuite des raids, ainsi que du blocus et des actions punitives ».
« Une grave erreur »
Autre point important. Alors qu’actuellement, en Israël, les débats se concentrent largement sur les aspects tactiques de l’opération terrestre en préparation, l’« après » offensive ne semble pas autant préoccuper les esprits. « Chaque homme du Hamas est un homme mort », promet Netanyahu. Pris dans une logique de vengeance, le premier ministre israélien joue le tout pour le tout. Il tente de sauver sa peau, alors que son gouvernement et ses renseignements sont pointés du doigt après l’opération menée par le Hamas le 7 octobre. Or, en plaçant la barre trop haut auprès de son peuple, c’est-à-dire en promettant d’éradiquer le Hamas, Netanyahu peut-il faire marche arrière ? Peut-il être suffisamment rationnel pour ne pas risquer un embrasement ? Là, entre en jeu un facteur important, la position américaine. Avant d’arriver dans la région, Joe Biden a tenu à mettre en garde Israël, dimanche 15 octobre, contre la perspective d’une nouvelle occupation totale de la bande de Gaza à l’issue de l’opération militaire terrestre. Ce serait « une grave erreur », a-t-il dit. C’est la première fois que les Etats-Unis tentent ainsi de « poser une limite à l’opération envisagée par Israël », comme le dit le Washington Post.
Malgré le soutien inconditionnel et indéfectible à nouveau affiché par les Américains aux Israéliens, Washington redoute le pire : un enlisement dans l’ensemble de la région. « Ni Washington, ni l’ensemble de la communauté internationale ne soutiendront une opération militaire d’envergure ou une réoccupation de Gaza. Même s’ils soutiennent ce qu’ils appellent le droit d’Israël à se défendre, les Etats-Unis ne veulent surtout pas entraîner la région dans une guerre plus globale d’autant plus que la tension est aussi à son comble à la frontière israélo-libanaise entre le Hezbollah et Israël », estime Mansour, pointant du doigt la possibilité de l’implication d’autres parties pro-Iran comme les Houthis ou encoure le risque d’une intifada globale dans tous les territoires. « Washington va donc tenter de freiner la réaction militaire israélienne pour éviter le pire, car il n’est pas dans son intérêt que le Moyen-Orient s’embrase alors que la guerre en Ukraine n’est pas finie. Il sera alors difficile pour les Etats-Unis de contrôler la situation sur tous les fronts ».
Mais Washington semble se préparer à tous les scénarios : selon CNN, les Etats-Unis vont déployer une force de réponse rapide de 2 000 marines en Méditerranée, qui se tiendront prêts à être déployés en Israël en cas de besoin afin d’assister l’Etat hébreu pour un support logistique et médical si le conflit s’élargit.
Comment éviter l’embrasement ?
Or, le prix d’une opération terrestre israélienne à Gaza de grande ampleur dépasse de loin le risque — du reste à prendre au sérieux — d’énormes pertes humaines. Il y va aussi de la sécurité régionale et des alliances internationales. La guerre entre le Hamas et Israël accentue encore plus la polarisation. Pékin et Moscou se positionnent plutôt du côté des Palestiniens. Le président russe, Vladimir Poutine, s’est inquiété de l’« augmentation catastrophique » du nombre de victimes civiles à Gaza et d’une éventuelle escalade du conflit entre Israël et le Hamas palestinien en une « guerre régionale ». Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a fustigé Israël, qu’il accuse d’avoir dépassé « le domaine de l’autodéfense » et appelle l’Etat hébreu à cesser de « punir collectivement » Gaza. Tous deux, opposés aux Etats-Unis chacun à sa manière, ont leurs propres intérêts …
Mais il y a aussi l’Iran, qui a averti d’une possible « action préventive » contre Israël et qui a mis en garde contre le fait qu’une invasion terrestre de la bande de Gaza entraînerait une riposte sur d’autres fronts, ce qui fait craindre un embrasement régional. Alors que la situation est déjà extrêmement tendue à la frontière israélo-libanaise, avec des échanges de tirs entre le Hezbollah, pro-Iran, et l’armée israélienne.
La communauté internationale redoute que le conflit n’embrase la région mais reste impuissante. Le secrétaire général de l’Onu avertit que le Moyen-Orient est « au bord de l’abîme », mais le Conseil de sécurité rejette une proposition de résolution russe appelant à un cessez-le-feu immédiat dans la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza.
Bref, tout le monde mesure le danger qui se présente. Mais personne n’est sûr de pouvoir l’arrêter.
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