Louer ses qualités alors qu’elle était « ministre » est assez normal. Mais continuer à le faire tout en applaudissant ses efforts, suite à son départ du ministère, c’est plus rare. Ce fut le cas avec Naglaa El Ehwany, dont les efforts et la personnalité ont été salués par son entourage. De l’amour et du respect qui ne passent pas inaperçus. Les raisons ? « Parler de soi, c’est se vanter, et c’est une chose que je n’aime pas. Je préfère plutôt laisser mon travail parler pour moi », dit-elle modestement. En effet, elle n’est que le fruit d’un foyer où certaines valeurs ont été déjà enracinées depuis belle lurette.
Fille d’un avocat qui ne veut toujours que ce qui est juste, El Ehwany trouve en lui un modèle de vie. « Il était directeur du département juridique de la Banque Misr. Le jour de son décès, on a reçu une foule de personnes qui n’était ni de la famille, ni des amis : c’étaient des employés à qui il avait rendu justice. Certains d’entre eux ne l’avaient même pas rencontré face à face, mais lui étaient très reconnaissants parce que c’est grâce à lui que leurs droits leur ont été restaurés », raconte Naglaa. « Pour lui, être correct et exigeant étaient indispensables au travail comme dans la vie », poursuit Naglaa qui a hérité ces deux qualités. Sa mère, quant à elle, douce et classe, avait une santé fragile ; ce qui a fait que la petite Naglaa a pris la responsabilité, très tôt, de veiller sur sa mère, avec son père. « Au foyer, mon père était l’incarnation de la tendresse. Il se réveillait dès l’aube et nous apportait le plateau du petit-déjeuner jusqu’au lit ».
Une fois le bac en poche, Naglaa, classée première au niveau de la République, décide de s’inscrire en sciences po, et non pas en droit. Une décision qui a choqué son père, étant baignée dans une famille où il va de soi de faire des études de droit : son père, ainsi que ses oncles travaillaient tous dans ce domaine. « A l’époque, la faculté des sciences politiques était nouvelle, et on parlait souvent de l’importance des modules qu’elle proposait dans le contexte politique de l’Egypte. En outre, j’ai senti que j’avais besoin de me lancer dans un monde différent », explique-t-elle, et d’ajouter en souriant : « Sur la fiche où je devais formuler une vingtaine de choix, j’ai écrit comme premier et seul voeu : sciences po. Mon père, fâché, me disait qu’il fallait absolument remplir la fiche, et que je devais peut-être quand même mettre en deuxième choix, la faculté de droit. Or, je lui ai répondu que je ne suis pas obligée : je suis la première de la République ! ».
En sciences po, Naglaa était toujours cette étudiante distinguée et ayant de la rigueur. Première de sa promotion, elle était nommée pour se lancer dans la carrière académique. « Quelque temps après, j’avais ce désir de faire des études de droit, que je trouve d’un certain poids pour tout ce qui est dans le domaine économique. Mais malheureusement, je n’ai pas eu le temps ».
En effet, le droit ne l’avait pas lâché : elle s’est mariée avec un avocat à l’image de son père. Titulaire d’un doctorat en droit de Harvard, Hassan Réda était l’homme de sa vie. « Nous nous sommes connus grâce à une proche qui avait fait sa connaissance au Koweït où il travaillait comme directeur du département juridique dans une firme de pétrole koweïtienne. Il avait une personnalité unique ; une combinaison entre le fait d’être à la fois profondément religieux et très ouvert. Certains étaient surpris de ce mélange en cohérence. Or, je leur disais souvent qu’il savait appréhender la vie correctement », raconte-t-elle en regardant une photo en noir et blanc déposée sur la table du coin. Un regard portant un amour profond. « Toujours à mes côtés, il m’avait encouragée pour poursuivre mes études supérieures. Quand je ne me sentais pas bien, il me soutenait pour surmonter les difficultés. On partageait les détails de notre quotidien. Parfois même il me demandait de lire un rapport qu’il avait écrit. Je lui disais que c’était juridique, il me répondait que c’était du sens commun », raconte-t-elle sans cacher sa reconnaissance et sa gratitude pour l’homme à qui elle doit une grande partie de son succès. « On me demandait souvent si j’aurais été capable de faire tous les efforts que j’avais déployés lors de mon poste de ministre s’il avait été vivant ? Je leur réponds sans aucun doute. Je suis tout à fait certaine que sa présence aurait un impact positif ».
Ce n’est qu’après la Révolution du 25 Janvier 2011 que le politique a commencé petit à petit à s’infiltrer dans la vie de la professeure. Elle a été déjà, quelques mois avant, perturbée par la mort soudaine de son mari bien aimé. Des moments difficiles et un deuil éprouvant. Mais elle a décidé de remonter avec la force des choses. « Un jour, j’ai reçu un appel : c’était une convocation au Conseil des ministres présidé par Essam Charaf pour me nommer conseillère économique. J’ai senti que c’était un message divin. Et que cela tombe à un moment où j’avais vraiment besoin de faire un changement dans ma vie ». C’était le début d’un grand changement, puisqu’elle est nommée conseillère deux autres fois dans le gouvernement présidé par Kamal Al-Ganzoury, puis dans celui présidé par Ibrahim Mahlab. Et en 2014, ce dernier l’a choisie pour devenir ministre de la Coopération internationale. Un grand défi dans un moment critique traversé par le pays. « Toute difficulté qu’on affronte n’est qu’une expérience et un savoir-faire qu’on acquiert ».
Mais y a-t-il une certaine opposition entre le politique et l’académique ? L’académique étant une affaire de raison, de logique, d’objectivité, et le politique de pouvoir, d’autorité et de subjectivité ? « Je considère que les deux doctrines sont plutôt complémentaires : le travail académique est théorique, le politique plus pratique. Dans ce dernier, je me suis servie de mes connaissances, de l’analyse et du raisonnement scientifiques. Mes décisions étaient surtout construites sur une base méthodique », explique El Ehwany sur un ton calme qui redessine vite le profil d’une professeure qui tient les choses en main. En effet, elle est toujours fière de l’être. « J’adore enseigner. Et je me retrouve dans la recherche scientifique », dit-elle. Et d’ajouter : « Lorsque j’ai quitté le ministère, cela ne m’a pas déséquilibrée. J’avais toujours en tête que c’était une phase temporaire et que je suis à l’origine professeure. Je vois que ma valeur authentique est celle d’être professeure ». Et comment la ministre a eu un impact sur la professeure ? « J’ai acquis une vision multidimensionnelle en prenant en considération les interférences entre les différents secteurs. A titre d’exemple : dans les problèmes abordant les comptes nationaux, je fais très bien attention aux chiffres avancés de sorte qu’ils soient véridiques. En outre, j’ai des exemples concrets à souligner pour éclaircir mes explications à moins qu’ils ne soient pas confidentiels, bien sûr ! ».
En 2015, El Ehwany a brillamment organisé la conférence économique, sans compter encore le rôle qu’elle avait joué dans la refondation de l’Université française d’Egypte, le déploiement de MSMEDA (Micro, Small and Medium Enterprises Development Agency) … Des efforts qui lui ont fait mériter la Légion d’honneur de la République française. Aujourd’hui, elle est toujours prise entre les thèses qu’elle dirige, les conseils académiques et économiques dont elle est membre. « Occupée ? Oui, mais c’est ce que je veux. L’autre alternative, l’oisiveté, je ne la supporterais pas », conclut-elle.
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