Al-Ahram Hebdo : « Déluge d’Al-Aqsa » contre « Epées de fer ». Sommes-nous face à un affrontement militaire de courte durée ou à une guerre sur plusieurs fronts ? En quoi est-il différent des confrontations militaires précédentes entre les deux camps ?
Mohamed Mansour : Les évolutions successives récentes en Palestine occupée et leur développement laissent présager une escalade imminente d’une ampleur imprévue, dont l’épicentre est la bande de Gaza. L’opération « Déluge d’Al-Aqsa » renferme nombre de surprises tactiques sur le terrain, conférant à cette confrontation entre les factions de la résistance palestinienne et l’armée israélienne des dimensions qualitatives différentes aux niveaux militaire et stratégique.
La frontière séparant la bande de Gaza des colonies israéliennes adjacentes est soumise à un système de surveillance et de sécurité strict et généralisé, qui comprend des centaines de caméras de surveillance, des dizaines de postes de garde et de sécurité, en plus d’une surveillance aérienne continue, que ce soit au moyen de montgolfières ou de drones. La manière dont cette attaque a été menée a eu l’effet d’une « stupéfaction » qui a frappé les unités de garde israéliennes stationnées aux frontières de la bande de Gaza ; c’était l’une des surprises les plus importantes de cette opération. Ce qui a incité — aux côtés des opérations terrestres — le commandement militaire israélien à déclarer l’état d’urgence, à appeler des forces de réserve, à déclarer l’état d’urgence dans un rayon de 80 kilomètres de la frontière de la bande de Gaza et à lancer des opérations aériennes et terrestres sous le nom d’« Epées de fer », visant à frapper les positions des factions dans la bande de Gaza et à sécuriser les colonies qui ont été pénétrées.
— L’opération « Déluge d’Al-Aqsa » a englobé des attaques terrestres, maritimes et aériennes. Comment la situation a-t-elle évolué sur le terrain et sur le plan militaire ?
— Pour ce qui est de la forme, l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », lancée par les Brigades Al-Qassam — la branche militaire du mouvement Hamas —, n’était pas seulement une opération d’affrontements de missiles semblable aux affrontements précédents qui duraient des heures, voire des jours entre les factions de Gaza et l’armée israélienne. Elle peut plutôt être décrite comme une « opération conjointe et complexe », dans laquelle des unités spéciales appartenant aux Brigades Al-Qassam ont attaqué la plupart des colonies adjacentes à la bande de Gaza, de façon simultanée et coordonnée, par voies terrestre, maritime et aérienne, non seulement pour lancer un « raid » soudain contre les colonies et retourner de nouveau dans la bande de Gaza, mais aussi pour prendre le contrôle sur le terrain, pendant une courte durée, des parties importantes des colonies et détruire des équipements, des postes de sécurité et des sites militaires. En outre, le ciblage d’un plus grand nombre possible d’Israéliens — notamment des soldats — que ce soit en les neutralisant par des affrontements directs, ou en les arrêtant et en les transférant immédiatement dans la bande de Gaza.
— Concernant l’attaque terrestre, les éléments offensifs ont pu — avec une apparente simplicité — pénétrer dans toutes ces colonies. Comment voyez-vous l’élément de surprise dans cette attaque ?
— Concernant le côté terrestre de cette attaque, des éléments spéciaux des Brigades Al-Qassam ont attaqué 21 points de la barrière frontalière, puis ont traversé 7 colonies israéliennes, toutes situées au sud de la bande de Gaza, dont les colonies de Bat Hefer, Be’eri, Sdérot et Netivot, outre l’attaque contre le site militaire Kerem Shalom et le poste-frontière portant le même nom, situé à l’est de la ville de Rafah.
Ils ont pu facilement pénétrer dans toutes ces colonies et ont même procédé à des assauts et à des arrestations contre les Israéliens rencontrés, qui étaient visiblement complètement surpris par la présence de combattants palestiniens au sein des colonies. L’élément de surprise dans cette attaque était frappant.
— Pensez-vous que le but premier de cette attaque soit la capture du plus grand nombre possible d’Israéliens ?
— La surprise n’a pas touché seulement les habitants des colonies, mais aussi les soldats israéliens présents à l’intérieur du site de garde militaire le long de la barrière frontalière, ainsi que ceux présents à l’intérieur du site de Kerem Shalom, dont la plupart n’ont pas fait preuve de résistance de façon significative. Il semble que la plupart d’entre eux aient été surpris, à tel point que plusieurs chars israéliens Merkava Mk. 4 — les plus récents de l’arsenal israélien — qui devaient être stationnés en plusieurs points le long de la barrière frontalière avec la bande de Gaza, ont été incendiés sans que leurs équipages réagissent sur le terrain.
Il est clairement apparu que ces équipages n’étaient pas informés d’une éventuelle attaque palestinienne et se sont retrouvés en dehors des chars et rapidement emmenés à la bande de Gaza, à l’instar d’un nombre encore indéterminé de soldats et de civils israéliens qui ont été transportés dans la bande de Gaza de manière coordonnée. Cela suggère que l’objectif principal de cette attaque était de capturer le plus grand nombre possible d’Israéliens, et il est fort probable que parmi eux se trouve le général de division Nimrod Aloni, ancien commandant de la division de Gaza, qui est actuellement commandant du Corps de profondeur de l’armée israélienne. Les membres de la résistance palestinienne ont également réussi à contrôler nombre de véhicules militaires légers israéliens et à les transporter dans la bande de Gaza. Les séquences de vidéo disponibles montrent un nombre indéterminé de morts parmi l’armée israélienne, ainsi que plusieurs colons, dont le chef du conseil régional de la colonie Sha’ar Hanegev. Cela a été un choc pour les habitants des colonies attaquées.
— Qu’en est-il des opérations aériennes palestiniennes ?
— L’attaque terrestre palestinienne s’est accompagnée de mouvements aériens et maritimes, à savoir l’action de l’unité « Saqr », qui est une unité de parachutistes affiliée aux Brigades Al-Qassam, qui s’appuie sur le vol à voile en utilisant un paramoteur, ce qui a contribué à l’accession rapide des combattants à la colonie de Netivot et a également eu un impact psychologique important, car l’utilisation de cette technologie et la présence de bateaux légers appartenant aux factions palestiniennes sur la côte nord de la bande de Gaza représentent en elles-mêmes une répétition de scènes antérieures représentant l’une des opérations palestiniennes les plus réussies, notamment l’opération « Qibya » en 1987, dans laquelle des planeurs ont été utilisés, ou l’attaque de l’hôtel Savoy en 1975, qui a mené le groupe à utiliser un bateau léger pour atteindre la plage de Tel-Aviv. Les mouvements aériens palestiniens comprenaient également l’utilisation de drones, dont un a été manié pour détruire l’un des chars Merkava Mk. 4, en jetant une charge tandem antichar PG-7VR, en plus de l’utilisation d’autres avions pour cibler des rassemblements de soldats israéliens autour des colonies de la bande de Gaza, en les attaquant directement par des lance-grenades.
Les mouvements palestiniens ne se sont pas contentés de cela. Simultanément à l’attaque des colonies, les factions palestiniennes ont lancé, en peu de temps, environ des milliers de roquettes ciblant l’ensemble des zones nord de la bande de Gaza, depuis Ashkelon au sud jusqu’à Tel-Aviv au nord, en passant par des zones entourant la ville de Jérusalem.
— Selon vous, pourquoi les systèmes d’alerte et de surveillance israéliens n’ont-ils pas pris en compte l’éventualité d’une telle opération terrestre soudaine contre les colonies entourant la bande de Gaza ?
— On peut dire que le système d’alerte et de surveillance israélien est confronté à un échec complexe, qu’on peut objectivement comparer à l’échec qui l’a frappé au cours des quelques jours précédant la guerre d’Octobre 1973. Il s’agit d’un échec qui montre une incompétence flagrante des équipes israéliennes sur le terrain, en particulier celles travaillant dans le corps des blindés.
Israël se trouve également confronté à une situation dangereuse concernant l’action sur le terrain, mais aussi au niveau de la gestion future du dossier des prisonniers israéliens, dont le nombre est estimé à plusieurs dizaines. Cette situation pourrait contraindre Tel-Aviv à faire des concessions majeures, qui vont envenimer davantage la colère au sein d’Israël aux niveaux politique et sociétal. Cela s’ajouterait à une révolte interne liée à la mauvaise performance de l’armée israélienne dans cette confrontation, qui graverait davantage le « complexe du mois d’octobre » et exacerberait « l’état de rébellion » qui prévaut depuis des mois au sein de l’institution militaire israélienne.
— Quels sont les scénarios possibles ?
— C’est l’issue de la situation sur le terrain qui déterminera si cet affrontement se transforme en une bataille plus grande ou s’il sert ou non d’étincelle pour une nouvelle intifada. Au cas où Israël choisirait de mener une opération terrestre à Gaza, les chances que tout ce qui précède se réalise seront très grandes. C’est-à-dire qu’une éventuelle opération terrestre israélienne peut mener à un conflit d’une plus grande échelle. De même, les efforts d’apaisement pourraient réussir à mettre fin aux accrochages et à commencer à trouver des arrangements pour le statut futur de la bande de Gaza à la lumière de la présence de dizaines de prisonniers israéliens entre les mains des factions palestiniennes, ce qui constitue une carte qui déterminera non seulement la forme des actions israéliennes sur le terrain, mais aussi la marge de l’action du gouvernement israélien actuel, que ce soit lors des négociations avec le Hamas, ou même dans son interaction avec la société politique israélienne.
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