Rencontre-débat avec Alaa Khaled autour du livre.
N’importe quelle oeuvre est le miroir de son écrivain. La subjectivité y est par conséquent inhérente. Et si l’objectivité est par définition le fait de porter des jugements sans faire intervenir des préférences ou des convictions personnelles, le premier pas vers l’objectivité, qui n’est jamais absolue, c’est justement ce passage conscient par la subjectivité. C’est ce qu’a tenté de faire Alaa Khaled dans son ouvrage Daoud Abdel-Sayed, Cinema Al-Homoum Al-Chakhsiya (Daoud Abdel-Sayed, le cinéma des préoccupations personnelles).
Par soucis d’objectivité, Alaa Khaled, écrivain et poète alexandrin né en 1960, a instauré une stratégie à laquelle il a été fidèle tout au long des deux parties de son ouvrage. Cette stratégie consiste à prendre du recul par rapport à Daoud Abdel-Sayed, son réalisateur favori qui appartient à la génération de cinéastes des années 1980 appelés « les cinéastes du nouveau réalisme ». Ces derniers avaient l’habitude d’esquisser les détails des personnes ordinaires. Ils critiquaient le réalisme ancien qui a contribué à la défaite de 1967, ainsi qu’à une série de malheurs économiques et intellectuels. Ce recul se fait, dans la première partie du livre, en mettant en place des critères d’après lesquels l’auteur justifie son intérêt pour les oeuvres du réalisateur-scénariste Daoud Abdel-Sayed. Parmi ces critères, il y a le fait que Daoud Abdel-Sayed appartient à la dernière génération qui regroupe, entre autres, Mohamed Khan, Atef Al-Tayeb et Khaïry Bichara. Cette génération partage un dénominateur commun avec la société, mais pas avec la communauté élitiste dotée d’une culture particulière.
En effet, Khaled aborde les oeuvres de Abdel-Sayed en tant que textes narratifs et non pas en tant qu’oeuvres cinématographiques. A travers ses analyses, il montre comment le cinéaste-auteur a toujours adopté une sorte d’écriture objective qui ne valorise ni ne dévalorise les faits racontés. Une écriture qui va au-delà des frontières entre l’intime et le social. Ce concept a toujours été lié aux héros de Abdel-Sayed et est l’une de ses spécificités qui ne passent pas inaperçues. Selon l’auteur du livre, le dénominateur commun à toutes les oeuvres de Abdel-Sayed est la présence d’un héros qui, après avoir traversé une expérience donnée, devient plus éclairé et plus apte à dévoiler son réel et à changer son mode de vie. Khaled affirme avoir une certaine liaison avec les héros de Abdel-Sayed, ayant lui-même vécu cet état, non pas par rapport à la classe sociale à laquelle il appartient, mais à sa propre quête d’une illumination représentant ses priorités dans la vie, afin d’atteindre un avenir loin du désespoir qu’il a hérité, selon ses termes. Cette illumination et cet espoir étaient présents dans plusieurs oeuvres de Abdel-Sayed, dont par exemple son long métrage Al-Kit- Kat (nom d’un quartier populaire du Caire), incarné par le cheikh Hosni, cet aveugle dont la perspicacité a fait de lui le héros-symbole de la hara (ruelle) égyptienne.
Alaa Khaled a eu recours à plusieurs points de repères en élaborant l’analyse littéraire des textes de Daoud Abdel-Sayed, dont la présence du narrateur sous différentes formes : la voix intérieure révélatrice des pensées, l’histoire des protagonistes comme ce fut le cas avec la voix de Narguès dans Ard Al-Ahlam (la terre des rêves), ou celle de Nora dans Rassaël Al-Bahr (les messages de la mer). Il cite aussi la présence du narrateur extérieur qui voit et juge les héros et commente les faits comme s’il y avait un autre texte parallèle au texte initial du récit. Le recours au sexe fait également partie de la liste des repères. Son omniprésence dans les oeuvres de Abdel-Sayed étant une requête fondamentale de l’individu et un tabou qui devrait être brisé.
Regard personnel
Dans la deuxième partie du livre, l’auteur expose une série d’entrevues qu’il avait effectuées avec Daoud Abdel-Sayed à partir de 1993. Et ce, après avoir visionné les films Al-Kit- Kat et Al-Bahs Ann Sayed Marzouq (à la recherche de Sayed Marzouq). Le côté biographique des héros, ainsi que leurs voyages éparpillés, étaient le noyau autour duquel gravitent les discussions, outre le parcours personnel et professionnel du grand cinéaste.
Ce n’est qu’en 2016 que Alaa Khaled commence à travailler sérieusement sur son ouvrage dans l’optique d’un lecteur-spectateur intéressé par les oeuvres de Daoud Abdel-Sayed. Il a procédé à une sorte de « lecture personnelle » de sa filmographie. Et pour l’approfondir, il a rassemblé tous les entretiens qu’il a effectués pendant 20 ans en une seule longue entrevue dans le but d’esquisser les côtés personnel et identitaire de Daoud Abdel-Sayed.
Afin de dresser un schéma qui soit le plus juste et le plus objectif possible, l’auteur a doté son ouvrage d’une série d’interviews avec les coéquipiers réguliers de Abdel- Sayed qui font partie intégrante de son expérience, à savoir Onsy Abou- Seif, le chef décorateur et collègue de Abdel-Sayed à l’Institut du cinéma, et Ragueh Daoud, le compositeur de renom qui a collaboré dans tous ses films.
A l’instar du grand cinéaste, Alaa Khaled lui-même a élaboré une écriture qui cherche à dépasser la singularité de l’expérience, se caractérisant par une tentative de réduire la subjectivité individuelle et de mettre l’accent sur la valeur collective du « je ».
Daoud Abdel-Sayed, Cinema Al-Homoum Al-Chakhsiya (Daoud Abdel-Sayed, le cinéma des préoccupations personnelles), d’Alaa Khaled, éditions Al-Maraya, 2023.
Lien court: