« Oum Al-Aroussa fadiya we machghoula » (la mère de la mariée est libre et occupée), dit le proverbe égyptien. Dès le lendemain des fiançailles commence un long périple pour préparer le mariage. Et c’est la mère de la mariée qui est au centre de ce tourbillon qu’est terminer le trousseau et organiser le mariage. Il faut penser aux meubles, aux tapis, aux tableaux, compléter les éléments de literie et la liste de lingerie, sans oublier de choisir la robe de mariée, la couronne, le coiffeur et la maquilleuse pour le jour J, un nombre d’heures consacrées par jour pour faire le tour des magasins et organiser le mariage. Les préparatifs commencent quelques mois à l’avance avant ce grand événement, et ce, pour meubler l’appartement. Chahira, 52 ans, journaliste et mère d’une jeune fille qui s’apprête à se marier, confie avoir fait le tour de tous les magasins du Caire durant un mois pour pouvoir choisir les meubles de l’appartement. Accompagnée de sa fille, elle sillonne les rues, s’arrête devant chaque vitrine de magasin, espérant y trouver ce qu’elle cherche. « Le mariage est un projet de vie, et donc les meubles doivent être beaux, chics et de qualité, conçus pour durer. Mais comment gérer un budget de mariage face à la flambée des prix et l’augmentation du coût du bois au niveau mondial. L’équation est difficile à résoudre », dit-elle.
De nombreux détails
Outre le lèche-vitrines au Caire, Chahira doit se rendre à plusieurs reprises à Damiette (une ville en Egypte célèbre pour son industrie du meuble), située à environ 200 km de la capitale, et ce, afin de suivre de déroulement de la fabrication et la finition des meubles dans les ateliers. « Entre-temps, je recevais tous les jours des photos via WhatsApp pour suivre les moindres détails concernant la peinture des meubles, les accessoires, etc. », avance Chahira qui, malgré le stress et la fatigue, se dit tellement heureuse. Elle attend avec impatience le moment de voir sa fille en robe blanche et son mari à ses côtés. Un moment de bonheur intense pour la mère et des larmes de joie pour avoir conduit sa fille jusqu’au mariage qui est, en effet, l’aboutissement de son devoir.
La nuit de noces, les larmes de joie effacent toute fatigue.
Mais il n’y a pas seulement le trousseau et les dépenses. Meubler l’appartement du jeune couple nécessite également de grands efforts. Héba, professeur à l’université, doit faire des va-et-vient incessants entre le quartier Tagammoe, où vit le jeune couple, et Madinet Nasr où elle habite, pour aménager l’appartement de sa fille, trop occupée par les préparatifs de la soirée de mariage et les détails du voyage de noces. « Je sortais du travail à 18h et me dépêchais de me rendre dans l’appartement de ma fille, accompagnée de quelques membres de la famille. On devait nettoyer les chambres, placer les meubles au bon endroit, suspendre les tableaux sur les murs, trouver l’emplacement idéal pour les bibelots et objets décoratifs, afin de les mettre en valeur, ranger sa lingerie et ses vêtements dans l’armoire,et ce, sans compter de surveiller le menuisier, le plombier ou le peintre qui venaient tous les jours pour mettre les dernières touches. L’aménagement de l’intérieur m’a demandé des heures de travail ardu. Un mois avant le mariage, je rentrais chez moi après minuit, car je devais rester avec la femme de ménage pour nettoyer le désordre causé par les ouvriers », raconte Héba, âgée de 56 ans.
L’odeur des biscuits et des gâteaux maison embaume déjà l’air et annonce la bonne nouvelle.
Film culte
Le mariage est si important, et le rôle de la mère de la mariée si central que le sujet a été plus d’une fois présenté au cinéma. Sorti en 1963, le film Oum Al-Aroussa (la mère de la mariée) évoque les traditions du mariage, mais surtout le parcours difficile d’une mère égyptienne, et ce bonheur qu’elle ressent en préparant sa fille au mariage. Réalisé par Atef Salem, mettant en vedette les stars Tahiya Carioca, Emad Hamdi et Samira Ahmad, le film montre les défis socioéconomiques auxquels les familles égyptiennes sont confrontées en voulant à tout prix préserver les traditions et coutumes héritées du patrimoine culturel. Une oeuvre cinématographique montrant la vie d’une famille moyenne des années 1960, et l’événement festif que les parents attendent avec impatience, qui est le mariage de leur fille aînée. Ce film — présélectionné aux oscars 1964 — se termine par une scène maîtresse devenue depuis l’objet d’anecdotes teintées d’humour en dévoilant le lourd fardeau que les parents doivent assumer pour marier leurs enfants. Une scène culte a marqué les esprits, lorsqu’un jeune homme se présente au père lors de la soirée de mariage de sa fille aînée pour demander la main de sa soeur cadette. Le papa s’évanouit et tombe à terre alors que la mère tente de lui porter secours en aspergeant d’eau son visage. Il ne reprend conscience que lorsque le jeune homme lui promet de l’aider pour la préparation du trousseau, l’achat des meubles, de la bague de fiançailles, etc.
Paru en 1963, le film Oum Al-Aroussa raconte le parcours d’une famille qui marie sa fille.
A chacun ses coutumes
Or, si les habitants de la capitale ont leurs habitudes, les provinciaux tiennent surtout à conserver leurs traditions locales héritées du patrimoine culturel, et ce, malgré un contexte économique difficile. Les cris de joie s’élèvent à la maison d’Oum Jihad, dont le mariage de sa fille est prévu dans quelques jours. Une fois rentrée du Caire où se trouve l’appartement de sa fille — un voyage que la mère de la mariée a organisé réunissant les tantes et les cousines pour nettoyer l’appartement nuptial —, d’autres préparatifs l’attendent chez elle. L’odeur des biscuits et des gâteaux maison embaume déjà l’air et annonce la bonne nouvelle. La préparation de ces gâteaux est synonyme de fête dans les foyers du village qui se trouve au gouvernorat d’Al-Fayoum. « Du temps de notre grand-mère, la maman de la mariée était chargée de préparer le kahk (gâteaux sucrés) et les biscuits pour le jour du mariage, mais aussi pour en distribuer aux membres des deux familles. De nos jours, on ramène un pâtissier à la maison pour remplir cette tâche. Les gâteaux sont plus délicieux, et c’est une corvée de moins pour la famille. En tant que mère de la mariée, je me suis contentée de gérer cette affaire en préparant la liste des ingrédients (farine, sucre, oeufs, beurre, etc.) pour préparer les 75 kg de biscuits et de kahk », explique Oum Jihad, qui doit aussi préparer les galettes de pain pour le dîner de mariage auquel tous les membres des deux familles sont conviés, ainsi que le jour du souboue (septième jour du mariage). « Pétrir entre 30 et 40 kg de farine et faire cuire plus de 50 galettes de pain de sept heures du matin jusqu’à midi et durant deux jours, en restant devant un four baladi qui ne fonctionne pas au gaz, ce qui prend beaucoup plus de temps pour faire cuire toute cette quantité de galettes (cinq heures au lieu de deux heures). Mais la galette qui en sort a un meilleur goût », avance Oum Jihad.
Autre scène, autre image. Au gouvernorat de Charqiya, l’une des coutumes héritées de génération en génération dans de nombreux villages, est « le dîner pour la famille du marié ». Un repas copieux est préparé par la mère de la mariée à la famille de l’époux. Disposé sur des plateaux de service, il est composé de toutes sortes de volaille : poulets, oies, canards, pigeons, et même parfois de la dinde, ainsi que de légumes farcies, des pâtes à la sauce béchamel et des salades. « La famille de la mariée (le père, les oncles paternels et maternels) doivent se présenter durant les sept jours qui suivent la nuit de noces pour offrir des cadeaux de mariage, à savoir des céréales et d’autres denrées alimentaires, une douzaine de savonnette, des bouteilles d’huile, des sachets de pâtes sans compter les caisses de fruits et de volailles. Et pour les gens les plus aisés, ils peuvent offrir un mouton ou un veau. La mère de la mariée joue un rôle prépondérant derrière les coulisses dans cette affaire. Elle doit offrir à toutes les cousines des cadeaux afin d’en recevoir lors du jour du mariage de sa fille », confie Mahassen, mère de quatre filles, en ajoutant que ce lot de traditions se perpétue des grands-mères aux petites-filles.
La mère, la fille et les longues heures de labeur pour meubler l’appartement.
Et si Oum Al-Aroussa est le soldat inconnu dans tous les préparatifs qui précèdent le mariage, elle semble aussi jouer un rôle dans la stabilité de la vie conjugale. En effet, la littérature arabe parle des conseils prodigués par la mère à sa fille avant la nuit de noces. « La plupart d’entre nous connaissent cette femme bédouine, Umamah bint Al-Harith, qui a donné des conseils à sa fille en faisant un résumé succinct de son expérience en tant qu’épouse. Elle a résumé son expérience en une seule phrase : sois pour lui une asservie, il te sera comme un esclave », avait rapporté l’écrivaine dont les conseils ont été enseignés dans les écoles à une certaine époque afin que les jeunes filles apprennent les secrets d’une vie conjugale heureuse.
Un rôle important que la mère de la mariée joue derrière les coulisses où fusionnent culture et tradition dans un moment décisif de la vie de la famille égyptienne.
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