La flambée de violence, aux lance-roquettes et aux mitrailleuses, a éclaté deux jours plus tôt lorsque le chef de la Brigade 444, le colonel Mahmoud Hamza, a été détenu par le groupe rival des « Forces spéciales de dissuasion » (Al-Radaa). L’affrontement guerrier qui a suivi a fait rappeler aux habitants de Tripoli le sinistre souvenir de deux guerres civiles au cours des dix dernières années. La trêve est intervenue à Tripoli (ouest) le soir du 15 août après l’annonce d’un accord entre Al-Radaa et le premier ministre du gouvernement d’unité nationale, Abdelhamid Dbeibah, pour que Hamza soit remis à une « partie neutre ». Al-Radaa est une puissante milice ultraconservatrice qui fait office de force de police de la capitale, alors que la Brigade 444 est affiliée au ministère de la Défense et est réputée être le groupe armé le plus discipliné du pays. Il a acquis une certaine légitimité grâce à ses opérations contre la traite des êtres humains et le trafic illicite et a joué un rôle de médiation lors de précédents affrontements entre milices rivales à l’ouest du pays. Il a même escorté, en mai 2022, l’ancien premier ministre de l’exécutif parallèle à l’est, Fathi Bashaga, lorsqu’il a été contraint à fuir Tripoli après une tentative infructueuse de prendre le contrôle de la capitale.
Ce n’est pas la première fois que la Brigade 444 et Al-Radaa s’affrontent dans la capitale. En mai, elles se sont livré bataille également après l’arrestation d’un membre de la Brigade 444. Toutes deux font partie des grandes milices opérant à Tripoli et sont des soutiens-clés de Dbeibah, unissant leurs forces en mai 2022 pour contrecarrer la tentative de Bashaga d’investir la capitale. Alors que les affiliations politiques de ces groupes peuvent être volatiles, Dbeibah a réussi à garder l’allégeance des milices de Tripoli et de Misrata (nord-ouest) contre l’exécutif parallèle à l’est, parrainé par le parlement et l’Armée nationale libyenne de Khalifa Haftar, ce qui maintient le pays divisé en deux administrations.
La Brigade 444 et Al-Radaa font partie d’une myriade de milices qui se sont multipliées et qui se disputent le pouvoir depuis le renversement de Mouammar Kadhafi en 2011. Leurs derniers combats ont souligné la fragilité de la Libye déchirée par la guerre et l’instabilité sécuritaire et politique. Depuis 2011, les milices sont devenues puissantes et riches, en particulier à Tripoli et dans l’ouest du pays, où elles profitent des liens tribaux et d’activités illicites, y compris du commerce lucratif de la traite des êtres humains, de drogue et de carburants, à tel point de prendre le contrôle de territoires spécifiques, de se lier aux institutions officielles et d’agir en tant que pouvoirs de facto.
Les derniers affrontements ont une nouvelle fois tiré la sonnette d’alarme concernant l’impact négatif de ces groupes armés sur la stabilité d’un pays qui tente d’avancer vers une solution politique. Ils constituent l’une des principales entraves qui se dressent sur la voie de la paix. Les efforts déployés par l’Onu pour entreprendre une réforme du secteur de la sécurité par le biais d’un processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration dans la société n’ont pratiquement abouti à rien, et tant qu’il n’y aura pas de gouvernement national unifié, chaque camp considérera les milices comme des alliés utiles dans la lutte pour le pouvoir.
Depuis l’irruption de la guerre civile en 2011, le travail le plus attrayant pour plusieurs jeunes Libyens est de rejoindre les milices, qui emploient plus de 10 % de la main-d’oeuvre du pays. L’impasse politique persistante a vu les milices se renforcer, entravant ainsi la capacité de l’Etat à fournir des services publics. Cette réalité s’associe à la richesse pétrolière de la Libye, qui a été un puissant facteur contribuant à la nature prolongée du conflit. La Libye détient les plus importantes réserves de brut de l’Afrique, soit 48 milliards de barils, et le secteur des hydrocarbures est la principale source de revenus du pays. L’abondance du pétrole a toujours été un outil pour contrôler ou alimenter les tensions découlant du tissu social complexe de la Libye. En raison de la centralisation de la répartition des revenus pétroliers — et donc du pouvoir économique — dans la capitale, régner sur Tripoli est devenu synonyme d’accès à des actifs de valeur, incitant ainsi les milices à tenter d’en prendre le contrôle, ou du moins de certaines infrastructures critiques, telles que les oléoducs ou les conduites d’eau, qui fourniraient un levier sur le pouvoir politique. A l’est, cela a surtout pris la forme de la domination du « Croissant pétrolier » — où se concentre la production du brut — et d’autres infrastructures énergétiques par des milices qui, en bloquant régulièrement les oléoducs ou en fermant les terminaux pétroliers, sont devenues des acteurs incontournables.
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