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Mohamad Hefzy : L’art de crever l’écran

Yasser Moheb, Lundi, 14 octobre 2013

A 38 ans, le scénariste et producteur Mohamad Hefzy est en train de concrétiser son rêve : devenir l’un des plus virtuoses de sa génération. En peu de temps, il est devenu l’un des grands responsables de l’industrie du septième art dans le monde arabe.

Mohamad Hefzy
Mohamad Hefzy.

Ils sont rares les jeunes cinéastes arabes qui sont parvenus à se faire une place à la fois à l’étranger et en Egypte. Mohamad Hefzy fait partie de ce club de privilégiés avec son envie de présenter des oeuvres qui sortent de l’ordinaire. Il est en ce moment en pleine effervescence artistique, puisqu’il a 3 nouveaux films encore en tour­nage, alors qu’il fait le tour des festivals du monde avec un 4e, et attend le début du tour­nage de 2 autres films. « C’est l’une des périodes les plus actives et les plus surchar­gées de ma carrière », dit-il avec beaucoup d’enthousiasme. « Malgré les changements et les incidents successifs en Egypte, comme dans plusieurs pays arabes, je trouve dans le travail et dans la production de cinéma une mission professionnelle et humaine. Cela me permet de mieux m’exprimer et de porter secours à l’in­dustrie du cinéma égyptien », ajoute-t-il.

Certains vous diront qu’il est fou du cinéma, d’autres qu’il peut être trop fier de ses accom­plissements, mais lui, il sait déjà ce qui le rend heureux : « Etre cinéaste et un homme d’indus­trie, surtout cinématographique ».

Son choix professionnel pour le septième art remonte à son enfance. Dès son premier âge, Hefzy souhaitait travailler dans le cinéma. Cette idée ne l’a jamais quitté. Il a grandi avec l’idée de réussir coûte que coûte et de devenir un jour artiste. Ainsi, il va très tôt manifester une grande ambition et une audace sans limite.

Déménageant à Londres au début des années 1990, après avoir terminé le lycée ; il y effec­tue ses études pour en sortir ingénieur métal­lurgique et diriger l’entreprise de cuivre de sa famille. Une activité qu’il exerce toujours, mais à mi-temps.

Lors de son séjour en Grande-Bretagne, il trouve la chance de s’ouvrir sur le cinéma européen et américain, et de nourrir sa passion innée pour le septième art. « Alors que je fai­sais des études universitaires à Londres, j’ai décidé d’étudier la mise en scène en parallèle. Et j’ai ressenti un penchant pour l’écriture. De quoi m’encourager à rédiger un premier scé­nario en anglais », se souvient-il.

Et comme tout succès, la chance vient au bon moment. En rentrant en Egypte, Hefzy ren­contre le réalisateur Tareq Al-Eriane, à qui il présente son scénario en anglais pour qu’il l’évalue. Cependant, Al-Eriane lui propose, en 1999, de partager l’écriture du scénario de son nouveau film, Al-Sellem wal teabane (l’échelle et le serpent). Un film qui a eu beaucoup de succès lors de sa projection commerciale en 2001.

Les dés sont jetés. Mohamad Hefzy com­mence ainsi une belle carrière de scénariste, tout en continuant de diriger les affaires de la famille. A peine 3 ans après son premier suc­cès, il signe le scénario du film Tito, qui se fait acclamer dans bon nombre de festivals. C’était pour lui un véritable tremplin l’amenant à être reconnu en Egypte par la communauté des réalisateurs égyptiens. Néanmoins, c’est Mallaki Eskendériya (privé Alexandrie) en 2005, qui change la donne en recevant un accueil chaleureux partout dans le monde arabe. Se laissant du temps pour apprécier sa nouvelle notoriété internationale, il se consacre, par ailleurs, à la production, tout en s’occupant de certains scénarios d’une grande originalité.

En 2006, il lance sa propre société de pro­duction Film Clinic, comme un atelier dont le but était, d’abord, d’enseigner et de cultiver de jeunes talentueux. La vision s’est vite dévelop­pée pour transformer cette société en une société de production parmi les plus grandes d’Egypte. En quelques années, il a déjà produit et co-produit une vingtaine de films en Egypte, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, y com­pris des oeuvres à grand succès commercial, tels Samir wa Chahir wa Bahir (Samir, Chahir et Bahir) et d’autres films inter­nationalement acclamés.

Depuis, l’entreprise a partici­pé à des projets marquants du cinéma indépendant, remplis d’énergie. Parmi ceux-ci, Microphone, Asmaa ou, le Bon, le Mauvais et le Politicien, un film réalisé par 3 jeunes cinéastes, Tamer Ezzat, Ayten Amin et Amr Salama, en réaction à chaud à la révolution du 25 janvier. « Il n’y avait pas de thèmes en particulier qu’on cher­chait à avancer dans un tel film. Mais ces cinéastes étaient tous très contestataires vis-à-vis de l’ancien régime », dit Hefzy.

La réalité complexe de l’Egypte a refait raz­zia au cinéma présenté par Mohamad Hefzy. En abordant la frustration sociale, les vio­lences policières, le sida ou la censure, ce jeune cinéaste touche à des sujets délicats, voire longtemps considérés comme tabous.

Pour lui, « le défi est de savoir mêler les choses, oscillant entre les films grand public qui plaisent sur le marché arabe et les films d’auteur pouvant circuler internationale­ment ». « Je travaille beaucoup afin de pou­voir tourner, malgré la situation politique et économique », explique-t-il.

Outre la production, Mohamad Hefzy anime, avec ses collègues, des ateliers d’écriture de scénario à travers sa société, où ils forment de nouveaux talents. Et c’est à Hefzy d’expliquer les objectifs de sa société : « Une fabrique de stars. C’est franchement l’envie d’un cinéma différent, animé par de jeunes réalisateurs, alliant regard original et potentiel commer­cial. Je trouve qu’il y a en Egypte une nouvelle vague de réalisateurs, mais aussi d’acteurs, de producteurs et d’acheteurs, tous méritent d’être soutenus dans le but de changer la donne actuelle ».

Hefzy se définit comme quelqu’un qui croque la vie à pleine dent, qui en profite, qui travaille beaucoup, dynamique, à l’écoute et au soutien d’autrui. Outre ses talents artistiques, il est aussi un redoutable homme d’affaires.

Plus mur et moins enclin à la recherche de la réussite purement commerciale, il prend des risques et expéri­mente d’autres approches ciné­matographiques. Finalement, ce qu’il entreprend comme change­ment s’avère rentable à tous les niveaux. Il introduit dans ses scénarios une grande subtilité, critique à l’égard de la société. Les sujets qu’il aborde sont plus complexes et dépassent la simple histoire d’amour entre deux partenaires de deux mondes opposés. L’autre révolution de styles et d’idées, pour lui, c’est l’humour. Mohamad Hefzy arrive à combiner, dans ses films, un fond grave et sérieux à une forme plutôt comique, exprimé avec dérision. Mais les activités de l’artiste vont aller encore au-delà.

A la suite du succès de ses films Microphone et Acham (espoir), vient son nouveau film Farch wa ghata (tapis et couverture) joué par Asser Yassine. L’histoire est celle d’un prison­nier qui s’échappe de la prison pendant la révolution de janvier 2011. Le film avait reçu, sous le régime déchu, des menaces de censure, relatives à l’obtention d’un permis pour filmer à l’intérieur d’une mosquée du Caire. Même cas de retard de projection pour son film Aswar al-qamar (les remparts de la lune) qui marque son retour au duo avec le réalisateur Tareq Al-Eriane.

Le jeune cinéaste a, par ailleurs, élargi son horizon avec des films conçus pour être distri­bués à travers tout le Moyen-Orient. C’est le cas du réalisateur émirati Ali Moustapha, avec son film Men al-alef lel-baä (de A à B), un Road Movie essentiellement anglophone avec deux autres jeunes producteurs arabes et des aides internationales. Il porte sur 3 jeunes Arabes qui parcourent 2 500 km d’Abou-Dha­bi à Beyrouth, en hommage à leur ami décédé. « Je me sens là très enthousiaste, puisque c’est un cas rare de projet véritablement pana­rabe », commente Hefzy.

Par ailleurs, les grands studios américains Pictures participeront à son prochain film, Site 146, une première expérience en 3D pour Hefzy, qui vient de fêter le succès de son film anglophone, My Brother the Devil (mon frère, le démon), de la réalisatrice anglo-égyptienne Sally Al-Hosseini, et dont les événements se déroulent à Londres. Le film a été présenté en 2012 au festival Sundance ainsi qu’à Dubaï, alors que sa distribution locale reste peu pro­bable.

Mohamad Hefzy est aussi nommé directeur artistique du Festival international du film d’Ismaïliya, l’un des principaux incubateurs de nouveaux talents à l’échelle mondiale et le premier exclusivement dédié aux documen­taires et aux courts métrages. Un nouveau souffle, car il institue le retour de différents cinémas à l’écran du festival.

« Je prends comme tâche de promouvoir le genre du documentaire et du court métrage en Egypte, et de prévoir un nouveau marché du documentaire et du court métrage à travers ce festival assez important », indique Hefzy, qui vient d’être désigné par le ministère du Commerce et de l’Industrie membre du conseil de la Chambre égyptienne de l’industrie du cinéma.

Optimiste par nature, il se sent plein d’espoir avec le renversement du régime des Frères musulmans. « Je pense que le cinéma égyptien aura plus de chance avec un gouvernement libéral. La liberté d’expression sera plus garantie et l’on encouragera le financement indépendant. Mais cela dépend sans doute de la situation économique dans les deux années à venir », présume-t-il.

Couronné par tant de lauriers, le jeune cinéaste désire se préoccuper de sa vie privée. De nombreuses histoires d’amour sur papier et d’autres produites pour être vécues sur écran … mais à 38 ans, il est toujours en quête de son idylle, du happy end. Son coeur ayant battu plusieurs fois, il attend toujours sa belle moitié

Jalons :

13 mars 1975 : Naissance au Caire.

1999 : Début de sa carrière cinématogra­phique.

2001 : Projection de son premier film Al-Sellem wal-teabane (l’échelle et le ser­pent).

2006 : Fondation de sa société de produc­tion Film Clinic.

2010 : Membre du jury du Festival interna­tional du film du Caire.

2012 : Directeur artistique du Festival international du film d’Ismaïliya.

2013 : Membre du conseil de la Chambre égyptienne de l’Industrie du cinéma.

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