Al-Ahram Hebdo : 23 pays ont présenté des demandes d’adhésion aux BRICS. A votre avis, pourquoi cet intérêt pour les BRICS ?
Mohamed Fayez Farahat : Durant les dernières années, les relations politiques et économiques internationales ont subi de profondes transformations. Les Etats-Unis et les pays européens ont imposé un arsenal de sanctions financières à la Russie après la guerre en Ukraine. D’autre part, le bras de fer entre Washington et Pékin se poursuit. Par exemple, en 2014, les Etats-Unis ont refusé d’augmenter le poids de la Chine au sein du Fonds Monétaire International (FMI) qui est passé cette année de 3,81 % à 6,07 %, ce qui leur permet de conserver de fait leur droit de veto. Mais les transformations politico-économiques sont allées au-delà des frontières des pays les plus riches du monde et ont affecté aussi les pays développés et émergents, qui ont besoin de réaliser leurs ambitions en matière de développement. Ces derniers ont besoin, en effet, de financer leurs projets de développement et aspirent à rendre leurs pays économiquement souverains. C’est une tâche difficile, surtout que les institutions financières internationales, le FMI et la Banque Mondiale (BM), qui accordent la majeure partie des prêts dans le monde, imposent à ces pays des conditions drastiques, comme les ajustements structurels.
Tous ces développements ont donné un nouvel élan aux BRICS. Les pays émergents ont commencé à rêver d’un monde plus juste sur des bases multipolaires. Pour eux, les pays du groupe des BRICS représentent une alternative politico-économique à l’unipolarité américaine. En outre, ces pays essaient d’obtenir des aides non conditionnées pour réaliser leurs objectifs de développement loin du FMI et de la BM. La Chine elle-même a souffert des politiques du FMI. Face à ce blocage, les pays des BRICS, en particulier la Chine, ne sont pas restés les bras croisés.
En juillet 2014, les BRICS ont annoncé le lancement de la Nouvelle Banque de Développement (NBD), basée à Shanghai. Un an après, le 29 juin 2015, les représentants de 57 pays se sont retrouvés à Pékin pour signer l’accord entérinant le statut de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB). Depuis janvier 2020, l’AIIB compte 102 pays membres et membres potentiels, y compris les 57 membres fondateurs dont l’Australie, la Chine, la France, l’Allemagne, l’Inde, l’Italie, la Corée du Sud et le Royaume-Uni, contrairement à ce qu’espérait Washington. La création de ces institutions risque d’ébranler les fondements des institutions de Bretton Woods, le FMI et la BM dominés par Washington. Le système financier actuel dominé par le FMI et la BM n’est plus en mesure de répondre aux besoins en investissements des pays en développement.
L’idée de créer une nouvelle monnaie commune est parmi les priorités des BRICS pour se défaire du règne du dollar. Toutes ces ambitions créées par les BRICS ont encouragé plus de 20 pays émergents à faire part de leur volonté d’adhérer au groupe.
— Selon vous, la NBD et l’AIIB peuvent-elles être des alternatives aux institutions de Bretton Woods ?
— Je crois qu’elles le peuvent. Contrairement aux institutions de Bretton Woods, la NBD et l’AIIB n’imposent aucune condition qui menace la souveraineté économique des pays émergents. Elles n’essaient pas de dominer le monde politiquement et économiquement. Leur but est de travailler ensemble et de coordonner leurs activités. Elles cherchent à relever les défis, en fluidifiant les canaux de communication et en adoptant des outils de collaboration dans les domaines économique et commercial pour encourager les investissements entre elles. La BM et le FMI imposent des conditions politiques et économiques à leur aide. Ils imposent aux pays pauvres des réformes de politique économique comme la privatisation, la libéralisation économique, la dévaluation de la monnaie et des restrictions budgétaires, notamment à travers la suppression des subventions à l’énergie et à la nourriture. Mais la NBD et l’AIIB étudient seulement les projets et leur efficacité économique, ainsi que la capacité du pays à rembourser le prêt. Elles essaient d’encourager le développement des pays émergents sans imposer de conditions politiques ou économiques. Elles respectent le fait que chaque pays a le droit de choisir sa voie politique et sa voie en matière de développement.
— Le rêve de créer une nouvelle monnaie commune et de se défaire du règne du dollar peut-il devenir une réalité ?
— Le règne du dollar a conduit au désastre, surtout pour les pays émergents qui sont les principales victimes des hausses répétées des taux d’intérêt de la Réserve fédérale des Etats-Unis. Ces pays se voient entraînés dans une terrible tempête économique car ils doivent financer leurs investissements les plus lourds en empruntant en dollar, devenu plus cher. Par ailleurs, les sanctions financières contre la Russie, après la guerre en Ukraine, ont ouvert la porte devant ce rêve. Se défaire complètement du règne du dollar paraît difficile. Ce processus a besoin de beaucoup de temps. Les membres des BRICS envisagent quand même de créer une nouvelle monnaie commune. Ils ont commencé aussi à créer de nouveaux mécanismes de paiement. Par exemple, la Russie et l’Inde ont trouvé des solutions pour remplacer les paiements en dollar afin de poursuivre leurs échanges commerciaux en dépit des sanctions occidentales et ce, en utilisant leur monnaie nationale. La transformation du système monétaire international prendra du temps mais elle est possible.
— Quels sont les enjeux du Sommet des BRICS cette année ?
— L’enjeu principal du 15e Sommet sera l’élargissement des BRICS à de nouveaux membres. Le sommet se tient sous le titre de « Partenariat pour une croissance mutuellement accélérée, un développement durable et un multilatéralisme inclusif ». Plus de 20 pays émergents ont montré leur volonté d’adhérer au groupe des BRICS. Le sommet examinera cette fois les critères d’adhésion aux BRICS. Je crois que le principal critère sera économique, surtout le taux de croissance du pays. Il y a aussi le le PIB par habitant, l’indice de développement humain et le niveau des réserves en devises.
Les facteurs géopolitiques et géostratégiques entreront également en jeu, notamment le poids politique. Il y aura, à mon avis, un souci que certaines régions comme le Proche-Orient et l’Afrique du Nord soient représentées au sein de ce groupe. Les BRICS ont besoin de cette diversité pour se doter d’un poids politique et économique.
— L’Egypte est l’un des pays ayant présenté une demande d’adhésion au groupe. Peut-elle devenir un jour membre des BRICS ?
— L’Egypte a rejoint la NBD en mars 2023. Elle a rejoint aussi l’AIIB en 2015. La Chine et la Russie soutiennent l’Egypte. Grâce à son poids politique, géostratégique et culturel, l’Egypte a une grande chance d’être un jour membre des BRICS.
— La contribution des BRICS au PIB mondial est de 31,5 % contre 30,7 % pour le G7. Les pays membres des BRICS sont-ils vraiment devenus plus puissants économiquement que le G7 ? Peuvent-ils créer un système économique mondial bipolaire ?
— Le poids économique grandissant du groupe des BRICS s’explique, essentiellement, par la forte croissance économique enregistrée par la Chine, la Russie et l’Inde. Les BRICS ont désormais un poids économique plus important que celui du Groupe des sept pays les plus industrialisés (G7). Ce poids se renforcera davantage durant les années à venir, avec l’élargissement du bloc à de nouveaux pays. Le poids des BRICS avec la NBD et l’AIIB dépassera de loin celui du G7.
— Est-il possible que l’ascension des BRICS se poursuive sans pression de la part du G7 ?
— Je crois que oui. Par exemple, en ce qui concerne l’AIIB, les Etats-Unis ont demandé à des pays comme l’Australie, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Corée du Sud et le Royaume-Uni de ne pas en être membres. Mais au contraire, ils ont été les fondateurs de cette banque avec la Chine. Je crois que les relations politiques et économiques internationales ont subi de profondes transformations ces dernières années et les Etats-Unis n’ont pas pu arrêter ces transformations. En octobre 2022, l’OPEP a décidé de réduire de 2 millions de barils par jour sa production, ce qui fragilise la situation du gouvernement américain, mais les Etats-Unis n’ont pas arrêté cette décision jusqu’à présent.
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