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Ahmed pacha Kamal et son œuvre

Doaa Elhami , Lundi, 14 août 2023

La Bibliotheca Alexandrina a célébré le centenaire de la disparition de l’égyptologue Ahmed pacha Kamal, à l’occasion de la fin de la restauration de son dictionnaire constitué de 22 volumes.

Ahmed pacha Kamal et son œuvre
Discussions autour des oeuvres de l’exposition documentaire. (Photo : Bibliotheca Alexandrina)

6 août 1923. C’est la date de disparition d’Ahmed pacha Kamal, dont le nom a été donné à la salle des conférences principale du Conseil Suprême des Antiquités (CSA) à Zamalek. Ce nom est familier des archéologues et des fonctionnaires du CSA et de ceux qui assistent aux conférences tenues par ce dernier. Néanmoins, les nouvelles générations ne connaissent pas la valeur d’Ahmed pacha Kamal dans le domaine de l’archéologie. L’importance de celui-ci a été dévoilée lors d’une série d’événements organisés par la Bibliotheca Alexandrina afin de rendre hommage à ce grand archéologue. La bibliothèque a organisé, le 1er août, une exposition et un colloque sous le titre « Centenaire de la disparition de l’égyptologue Ahmed pacha Kamal ; la fin de la restauration de son dictionnaire constitué de 22 volumes ».

L’histoire a commencé en 2002, lorsque « le professeur Mamdouh Al-Damati, alors directeur du Musée égyptien et, plus tard, ministre des Antiquités, a commencé avec l’aide de Mona Al-Baroudi, petite-fille d’Ahmed pacha Kamal, à collecter les volumes de ce dictionnaire. Il a ensuite imprimé les volumes au ministère des Antiquités », se souvient l’ingénieur Abdel-Hamid Zakariya, petit-fils d’Ahmed pacha Kamal. Le dictionnaire a été ensuite présenté au grand public à l’exposition des répliques et des publications du ministère des Antiquités, à l’occasion de la célébration du centenaire de l’ouverture du Musée égyptien. Le dictionnaire est alors apparu pour la première fois, 80 ans après sa réalisation en 1923. La publication du dictionnaire en 2002 n’était que le premier pas de son parcours.


Discussions autour des oeuvres de l’exposition documentaire. (Photo : Bibliotheca Alexandrina)

Les surprises du dictionnaire

Il faudrait attendre jusqu’en 2017, soit 15 ans plus tard, lorsque Abdel-Hamid Zakariya lit un numéro de la série Abgadeyat, publiée par la Bibliotheca Alexandrina, consacré au grand archéologue. Il a alors appelé Azza Ezzat, qui était à l’époque chef de la publication, lui exprimant sa fierté de l’intérêt accordé à son grand-père. Et suite à une tournée du petit-fils dans les différents laboratoires numérique, chimique et de restauration de la Bibliotheca Alexandrina, les membres de la famille ont décidé d’offrir à celle-ci tous les volumes de l’oeuvre conservés dans des caisses depuis plus d’une centaine d’années.

« En examinant les volumes, on a découvert un rapport de deux pages. On croit que ce rapport a été écrit par Hassan Ahmed Hassan Abdallah, le fils de l’égyptologue, en 1923, suite au décès de son père », souligne Azza Ezzat, directrice du département des recherches et de la publication au Centre des études des manuscrits à la Bibliotheca Alexandrina. Autre surprise, « le nom réel de l’égyptologue est Ahmed Hassan Abdallah. Mais il a été nommé Kamal, signifiant parfait en arabe, vu ses traits moralement et scientifiquement », souligne Zakariya. Azza Ezzat explique que le rapport est un document qui décrit le dictionnaire. D’après ce rapport, on sait que le nombre des volumes du dictionnaire est 22, dont 17 ont été offerts par la famille. Ils ont fait l’objet de travaux de restauration. « Le chercheur archéologique Francis Amin a, pour sa part, offert 3 autres volumes », reprend la directrice.

Elle explique que l’examen des volumes a indiqué que l’égyptologue notait souvent en marge ses remarques et laissait des espaces entre les lignes, « afin d’ajouter de nouvelles informations ultérieurement ». Elle ajoute que ces volumes sont rédigés avec plusieurs couleurs d’encre, notamment le rouge et le noir. Les restaurateurs ont également trouvé des taches d’encre dans certaines pages et d’autres qui étaient collées et réparées. « Tous ces volumes ont été soumis pendant trois ans aux travaux de restauration chimiques et numériques dans les laboratoires de la Bibliotheca Alexandrina », note la directrice, ajoutant que ces 20 volumes font l’objet de la première section de l’exposition organisée à l’occasion de la célébration du centenaire de la disparition d’Ahmed pacha Kamal. Reste deux volumes sur les 22 qui composent le dictionnaire. L’un est en cours d’impression par le CSA. Quant au dernier, il est introuvable. L’un des volumes que le chercheur Francis Amin a offerts à la Bibliotheca Alexandrina est un brouillon. « Mais il est d’une grande importance », reprend Azza Ezzat.


Lors de la construction du Musée égyptien du Caire.

 Le rapport écrit par le fils souligne qu’Ahmed pacha Kamal a classifié les signes hiéroglyphiques en 24 signes dont chacun occupe un volume. Chaque volume explique les mots hiéroglyphiques en arabe et en français, ainsi que leur sens et leur phonétique arabe. « Ahmed pacha Kamal fait dans ce dictionnaire la comparaison entre les hiéroglyphes et les langues sémitiques comme l’arabe, le copte, l’éthiopien, l’araméen, l’hébreu », commente l’égyptologue Faïza Heikal à l’Université américaine du Caire. Selon le petit-fils d’Ahmed pacha, sa fille benjamine, Tafida, l’aidait dans la traduction française, vu son habileté et son amour de la langue hiéroglyphique. « Tafida s’amusait avec les enfants de la famille en leur inscrivant leurs prénoms en signes hiéroglyphiques », raconte Azza Ezzat, qui a découvert pendant ses recherches qu’elle était elle-même membre de la famille d’Ahmed pacha.

Les égyptologues considèrent le dictionnaire comme le projet de vie d’Ahmed pacha. Il a commencé la rédaction de l’ouvrage en 1903 et l’a terminé en 1923. Tout au long de ces 20 ans, « l’égyptologue rédigeait debout les volumes de son dictionnaire à la lumière d’une lampe à gaz », renchérit Zakariya avec fierté.


Ahmed pacha Kamal parmi les professeurs de l’Université nationale en 1908.

Le rapport indique « l’importance du dictionnaire en 4 points essentiels, en mettant en exergue sa grande valeur, afin que le ministère des Maaref (connaissances), ancien ministère de l’Education, l’imprime, mais en vain », renchérit la directrice. En revanche, le rapport indique le refus du comité scientifique, qui a été formé par des scientifiques étrangers du service des antiquités, d’imprimer le dictionnaire. Le chef du comité durant les premières années du XXe siècle était Pierre Lacau, chef du service des antiquités et le directeur du Musée du Caire. « La raison annoncée du refus était que la traduction française avait besoin d’être révisée. Néanmoins, à cette époque, les Occidentaux s’étaient approprié la science de l’égyptologie. Notant qu’ils n’avaient pas encore publié de dictionnaire. Comment accepter qu’un dictionnaire égyptien sorte avant ? », note l’égyptologue Heikal.

Avis partagé par Ahmed Mansour, directeur du Centre des écrits et des écritures (anciennes). « Au début du XXe siècle, les étrangers ne reconnaissaient pas les efforts des Egyptiens en égyptologie », souligne-t-il. Et les exemples sont nombreux d’après les archives. Ils ont refusé l’impression du dictionnaire et n’ont pas embauché Ahmed pacha Kamal directement après l’obtention de son diplôme de l’école Al-Lesane Al-Qadim (la langue ancienne), dont le directeur était l’égyptologue prussien Heinrich Karl Brugsch. En général, ils embauchaient les Egyptiens avec difficulté. Les archives reflètent toutes ces difficultés et ces entraves que rencontraient les Egyptiens à cette époque dans le domaine de l’archéologie.


Dr Ahmed Mansour, directeur du département des écritures, consulte le dictionnaire d’Ahmed pacha Kamal chez l’ingénieur Abdel-Hamid Zakariya, petit-fils de l’égyptologue.

Riche vie professionnelle

La deuxième section de l’exposition est constituée des copies de documents prises des archives indiquant les emplois qu’Ahmed pacha avait occupés durant sa vie professionnelle, ainsi que ses qualités, dont la maîtrise des langues arabe, hiéroglyphique, française, allemande, truque et éthiopienne. C’est pourquoi il a occupé plusieurs fonctions, comme maître de langue allemande, traducteur et écrivain français, maître des langues anciennes et conservateur-adjoint au Musée égyptien. « Il a occupé cette fonction en 1892 à l’âge de 40 ans, puisqu’il est né en 1852 », reprend Mansour. Cette section présente aussi une plainte présentée par Ahmed pacha sur sa souffrance de la persécution, notamment sous le directeur du Musée des antiquités de Boulaq, Auguste Mariette. Dans sa plainte, « l’égyptologue retrace que le directeur du service des antiquités est un Français, le secrétaire est un Prussien et l’adjoint du secrétaire est un Français. Donc les trois qui le précèdent dans la hiérarchie professionnelle sont des étrangers », commente Mansour, indiquant que l’égyptianisation était difficile.

Les étrangers jouaient un rôle important dans le développement de la science de l’égyptologie pendant la seconde moitié du XIXe et le début du XXe siècle. Ils monopolisaient cette science qui était devenue pour eux une industrie, un commerce et un travail. Mais les conditions du travail se sont améliorées avec l’arrivée de Gaston Maspero, qui a succédé à Mariette en 1881. Ainsi, Ahmed pacha est parti à Thèbes afin de documenter, d’inscrire et de transférer les momies de la cachette de Deir Al-Bahari au Musée de Boulaq. Et en 1902, après l’ouverture du Musée égyptien, Ahmed pacha était chargé du transfert de la collection des monuments du Musée de Boulaq à celui du Caire, à la place Tahrir. « Les deux missions exigeaient l’honnêteté et la richesse en sciences, deux caractères attribués à Ahmed pacha Kamal », reprend Zakariya.

La deuxième section de l’exposition présente également des photos d’Ahmed pacha en famille et avec ses enfants, ainsi que durant son travail dans le Musée égyptien où il a passé une grande partie de sa vie.

La troisième et dernière section de l’exposition met l’accent sur quelques-uns de ses 70 livres bilingues en arabe et en français, qu’il avait rédigés et qui sont actuellement conservés dans la librairie des livres rares de la Bibliotheca Alexandrina.

Les étapes de restauration et de numérisation du dictionnaire d’Ahmed pacha sont enregistrées dans un film documentaire, indique Mansour, qui ajoute : « Nous allons former une équipe scientifique pour étudier la philologie de la langue de l’Egypte Ancienne du dictionnaire ». Le chercheur Francis Amin estime, pour sa part, que la numérisation du dictionnaire ouvre la porte aux nouvelles générations d’accéder à cet ouvrage monumental, encore plein de secrets à découvrir.

 

 Une présence universelle

Une invitation adressée à Ahmed pacha Kamal pour assister au nom de l’Etat égyptien à la célébration du 100e anniversaire de la fondation de la « Société asiatique » et du déchiffrement des signes hiéroglyphiques, tenue à Paris en juillet 1922. Ce document figure parmi ceux présentés au public dans l’exposition de la Bibliotheca Alexandrina

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