Le dilemme est le même depuis des décennies, depuis que la femme a intégré le monde du travail. Comment concilier vie professionnelle et vie privée ? Comment réussir dans le monde du travail et être une bonne mère ? Pour les femmes actives mais aussi mères, l’équation est difficile, l’équilibre pénible à trouver. « Je l’ai vu avec mes amies, des femmes qui se sont consacrées à leur travail, se sont mariées un peu tardivement et se sont trouvées face à ce dilemme », raconte Noura Mohsen, qui a lancé, en août 2022 à Minya, une boîte offrant des services de baby-sitting appelée Khalet Al-Eyal (la tante des gamins), la première du genre en Haute-Egypte, et qui a été honorée par le président.
L’objectif de son projet est de fournir des services de baby-sitting tout en jouant le rôle de la mère. D’où le nom choisi par Noura pour la société, car la tante est une seconde maman. Comme Noura n’a pas de soeur, elle a décidé de devenir la tata de tous les enfants. « En Haute-Egypte comme au Caire, le travail de la femme est devenu indispensable », explique Noura. Cette dernière a commencé par donner un coup de main aux personnes qui font partie de son cercle d’amies. « J’ai travaillé durant 2 mois comme baby-sitter avant de monter mon projet, et ce, pour mieux comprendre ce métier d’utilité sociale, indispensable à la société », dit-elle.
Aujourd’hui, « Khalet Al-Eyal » compte 45 baby-sitters. Noura Mohsen s’est occupée elle-même de la formation des postulantes en insistant sur des détails importants. Car il ne s’agit pas d’une mince affaire. « Il faut s’occuper de tout ce qui concerne l’enfant, pas seulement le garder. Par exemple, lui offrir l’alimentation adéquate ou choisir les jeux et les activités en fonction de l’âge », explique Noura, qui avoue que ses lectures de livres sur le sujet et Internet lui ont servi de guide pour élaborer le programme de formation.
Garder les enfants, mais pas que
Noura a également accordé une importance particulière à la formation des baby-sitters : celles-ci doivent absolument suivre un stage gratuit d’un mois, et ce, après avoir été retenues et passé un entretien professionnel. Car pour Noura, il faut prendre le temps de choisir les candidates, de s’assurer qu’elles sont appropriées à ce métier qui demande un certain nombre de compétences comme la patience, l’amour des enfants, un caractère calme et gentil. Car chaque enfant a son tempérament et sa personnalité. Il y a par exemple ceux qui sont agressifs, timides ou insociables.
La désignant comme personne de confiance, ses connaissances ont accepté de lui confier la garde de leurs enfants en bas âge. « Dès le début, j’ai fixé le coût du baby-sitting, à savoir le prix de l’heure ou le forfait 24 jours de travail par mois, tout en indiquant une liste de tâches à accomplir et celles qui sont à éviter », explique Noura. Mais, avant ça, elle a beaucoup réfléchi sur l’importance de transmettre des valeurs aux enfants et ne pas se contenter de combler uniquement leurs besoins essentiels comme le besoin de boire, de manger et d’être propre. « J’ai eu recours à des spécialistes de la santé mentale et de la pédagogie pour parvenir à élaborer un programme qui aide au développement des compétences des enfants. Je voulais que le baby-sitting contribue au processus de l’éducation de l’enfant », assure-t-elle. La règle d’or ? Garder son sang-froid avec les enfants, estime-t-elle. Il ne faut jamais forcer un enfant à faire telle ou telle activité jusqu’à ce qu’il puisse s’intégrer correctement. C’est de cette manière que la baby-sitter deviendra l’une des personnes préférées de l’enfant. Néhad est une baby-sitter qui applique cette théorie. Pour elle, le fait de s’adapter au caractère d’un enfant n’est pas tellement facile. Mais elle explique surtout que le métier fait face à d’autres difficultés.
La baby-sitter garde l’enfant, mais contribue aussi à son éducation.
Obstacles socioculturels
En effet, bien que ce métier attire de jeunes étudiants qui tentent de gagner leur vie indépendamment de leurs familles, surtout dans les pays occidentaux, en Egypte, il est difficile d’accepter la présence de personnes étrangères chez soi. « Nous habitons une maison familiale où faire garder un enfant par une baby-sitter n’est pas toujours acceptable. Mes parents ont donc refusé et m’ont conseillé de l’envoyer en garderie », déclare Hemmat, professeure en ligne. Elle ajoute qu’elle a déployé de grands efforts pour les convaincre. Elle leur a expliqué que la baby-sitter à domicile offre des avantages pour elle, car son travail en ligne lui donne la possibilité de contrôler les activités et les jeux pratiqués avec son enfant de 3 ans, puisqu’elle est à la maison. Ce qui n’est pas le cas s’il est placé en garderie. Ainsi, elle a fini par convaincre totalement ses parents. Néhad, la baby-sitter, a appris au petit enfant des compétences à travers le jeu, et ce, pour gagner son amitié et la confiance de sa famille. Cette expérience à domicile a permis à la maman de constater que grâce aux jeux de puzzles et de cubes, le poignet de son fils est devenu plus souple, un indice qu’à l’école, il pourra tenir correctement un crayon, soit pour dessiner ou pour écrire. « Je suis satisfaite de l’expérience. Je me réalise en tant que femme active, et en même temps, grâce aux jeux, qui est une manière amusante de se divertir, mon fils expérimente, découvre des choses et interagit tout en étant à la maison », précise-t-elle.
Et ce n’est pas tout. Avoir la chance de travailler et suivre le processus de développement de l’enfant n’est pas toujours possible pour les mamans qui font du travail en shifts. « Mon fils est en première année primaire et j’ai 3 jours de travail par semaine dans l’après-midi, et donc avoir une baby-sitter n’est pas un luxe pour moi. Elle m’aide à accomplir certaines tâches en mon absence », déclare Safaa, ingénieure dans une usine de textile. Elle compte sur elle les jours où elle travaille l’après-midi. La nounou, qui est un membre du groupe WhatsApp de l’école, fait aussi le suivi des devoirs. « Elle me remplace pendant mon absence. Je la considère comme une seconde maman pour mon fils. Détenant un diplôme universitaire, elle sait comment accéder au site de l’école et demander des clarifications auprès des professeurs en cas de besoin », explique Safaa.
Mais la vie n’est pas toujours rose pour les nounous. « Je travaillais à domicile avec un enfant dont les parents, l’un pharmacien et l’autre dentiste, ne respectaient pas mes horaires. La clause du contrat précisait les horaires de travail, de 8h à 15h. Or, la plupart du temps, ils ne rentraient jamais à la maison avant 17h. Et comme j’habite loin, je devais prendre 3 moyens de transport, soit plus de 2 heures de trajet pour me rendre à domicile. Et ce couple ne prenait pas cela en considération », raconte Néhad, qui affirme n’avoir jamais été payée pour les heures supplémentaires. « J’ai eu l’impression qu’ils me considéraient comme une servante », affirme-t-elle.
Un souci qui semble être partagé par d’autres baby-sitters. Le problème, selon l’une d’entre elles, c’est qu’il n’y a pas de description claire et précise des tâches dont elles sont responsables. « On espère avoir une loi qui organise cette profession, et surtout ne pas la considérer comme temporaire pour des personnes qui n’ont pas trouvé de travail ou pour des étudiants qui veulent seulement gagner de l’argent », poursuit Noura Mohsen. Elle pense que leur rôle est fondamental, car la baby-sitter remplace la mère en son absence et contribue à l’éducation et au développement de l’enfant.
Dans ce contexte, la société Khalet Al-Eyal ne se contente pas de garder les enfants, elle a commencé à organiser des camps, afin de développer les compétences des enfants à travers les balades dans la nature, une interconnexion entre eux et avec les baby-sitters.
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