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Dix ans de la Révolution du 30 Juin

Mercredi, 21 juin 2023

Depuis 10 ans, le 30 juin est un jour férié en Egypte. Il commémore l’anniversaire de la Révolution du 30 Juin 2013, l’apogée des grandes manifestations populaires qui ont conduit au renversement du président Mohamad Morsi, issu des Frères musulmans. Retour sur ce tournant historique pour l’Egypte et le monde arabe.

Morsi avait remporté la présidentielle de 2012, rendue possible par la Révolution du 25 Janvier 2011. Cette révolution que certains observateurs occidentaux avaient alors trop rapidement renommée le Printemps du Nil se transforme très vite en un hiver islamiste. Entre novembre 2011 et janvier 2012, l’organisation politico-religieuse radicale remporte les législatives. Le 30 juin 2012, c’est donc Morsi qui remporte sans surprise la présidentielle. Quelques mois plus tard, le nouveau président publie une Déclaration constitutionnelle qui lui accordait des pouvoirs illimités. Logiquement, l’opposition accuse alors Morsi de restaurer la dictature, ce qui conduit finalement à renforcer les manifestations de masse qui ont déjà lieu depuis novembre 2012 jusqu’en juillet 2013. Au-delà du basculement du pouvoir islamiste dans l’autoritarisme s’ajoute sa volonté de faire de l’Egypte un Etat quasi religieux, presqu’un nouvel Iran en version sunnite. De plus, Morsi et son gouvernement ont fait preuve d’amateurisme politique et d’une grande incompétence dans la gestion du pays. Sur les plans social, économique, sécuritaire et diplomatique, l’Egypte a connu une régression vertigineuse, ce qui envenime la colère de la majorité des Egyptiens, confrontés par ailleurs à de graves et nombreuses pénuries, notamment de fuel.

Ainsi, la contestation atteint son apogée le 30 juin 2013, soit le premier anniversaire de la victoire de Morsi, avec des millions de manifestants qui descendent dans les rues et appellent à sa démission. Précédemment, une pétition à cet effet avait été lancée par l’opposition et avait recueilli près de 22 millions de signatures. Après trois jours de manifestations monstres, la police et l’armée refusent les ordres de Morsi qui veut réprimer la foule. Les deux institutions, piliers historiques de l’Etat, rejoignent l’opposition. Forte d’un soutien notable de la majorité de la population, l’armée, toujours très populaire, décide de reprendre les choses en main. Le général Abdel-Fattah Al-Sissi, ministre de la Défense, donne 48 heures au président pour prendre les mesures nécessaires au rétablissement de la stabilité. Le 3 juillet 2013, le Conseil suprême des forces armées arrête Morsi et déclare qu’il n’est plus le président. Le président de la Cour constitutionnelle, Adly Mansour, a alors été nommé président par intérim. Il ne s’est pas présenté à la présidentielle suivante qui serait remportée par Sissi. La suite est connue …

Bien que certains responsables occidentaux et certains analystes aient pris tardivement conscience que l’Egypte de Sissi était devenue un facteur de stabilité pour la région, que cet Etat est le pays arabe le plus peuplé, et qu’elle possède l’armée arabe la plus puissante et une position éminemment géostratégique, son président demeure un quasi-inconnu et un véritable mystère pour les opinions publiques européennes et française. Imaginons simplement une Egypte et un monde arabe actuel sans Sissi ! Car un autre scénario, qui donne froid dans le dos, était possible avec le Printemps du Nil : les plans du Qatar et de la Turquie sont un succès dans cette Egypte de 2012, première puissance militaire et pays le plus peuplé de la région. Les Frères musulmans au pouvoir parviennent à purger l’armée, et Morsi s’affirmant tel un véritable « Erdogan égyptien », aussi retors et brutal que l’original, mâte dans le sang les manifestations populaires de l’été 2013 et instaure la plus grande république islamiste du monde arabe ! Si certains commentateurs ou « spécialistes » osent encore nous présenter les Frères musulmans égyptiens comme des « islamistes modérés » (qui n’existent pas !) ou mieux, comme des victimes ou de gentils moines bouddhistes persécutés par un « méchant dictateur », la réalité est tout autre.

De même, si Sissi n’avait pas usé de la force envers cette organisation, la plus dangereuse de la planète et matrice idéologique d’Al-Qaëda et de Daech, l’Egypte aurait pu aussi connaître une situation à l’algérienne des années 1990, ou plus récemment syrienne (devant la destitution de leur président, on oublie que les Frères musulmans s’apprêtaient à prendre les armes et à passer à la lutte armée !), et avec assurément une crise migratoire bien plus grave qu’en 2015 ! Cela aurait été un tournant tragique pour toute la Méditerranée et tout le Moyen-Orient, et il suffit juste d’imaginer le cauchemar pour la région, l’Europe et surtout les Egyptiennes et les Egyptiens !

« Sissi ou le chaos » n’était donc pas qu’une formule de propagande. Que cela nous plaise ou non, le raïs est un sauveur pour certains. Pour d’autres, sûrement plus nombreux, il est un moindre mal. Certes on peut regretter que l’Egypte ne soit pas devenue depuis ces dix années une démocratie à la scandinave. Or penser cela, dans un contexte régional toujours aussi chaotique et incertain, c’est faire preuve de naïveté, de méconnaissance de la région, et surtout mépriser au final les cultures, les histoires, les traditions et les réelles aspirations (démocratie vraiment ?) de ses populations.

Et finalement, qui sommes-nous, nous Occidentaux, pour juger et donner encore une fois des leçons de morale ? Surtout nous Français, puisqu’il nous aura fallu trois révolutions et cinq républiques afin de parvenir à une démocratie encore bien imparfaite … En tout cas, qu’on l’apprécie ou pas, et ce n’est pas le rôle d’un observateur honnête intellectuellement que de faire ce genre de choix, on ne peut nier que même si les difficultés sont encore nombreuses pour réformer une économie archaïque et que les dangers et défis restent immenses, la modernisation et les changements apportés par Sissi, ainsi que sa lutte acharnée (du jamais-vu dans cette région !) contre les deux grands fléaux du monde arabe que sont l’islam politique et la corruption, sont véritablement « révolutionnaires », sans précédent historique et globalement positifs.

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