Al-Ahram Hebdo : Pensez-vous que le Dialogue national soit capable d’élaborer une feuille de route pour activer le rôle des partis et affirmer les droits politiques ?
Khaled Qandil : Le Dialogue national peut devenir une étape importante vers des réformes politiques qui permettent de sortir de l’impasse politique et d’activer le rôle des partis. Et ce, s’il parvient à des points d’accord qui abolissent les restrictions qui entravent la participation politique. Egalement, si l’on parvient à un consensus dans un esprit dépourvu d’intérêts partisans ou personnels et si tout le monde veut vraiment la réforme afin de faire progresser la nation, d’activer la participation et de consolider les fondements démocratiques basés sur le respect et la non-marginalisation. Dans ce cas, il faudra que les résultats du Dialogue national soient mis en exécution dès que possible, de façon à consolider la confiance dans le climat politique. Il faudra aussi que le Dialogue national fixe les piliers et les cadres de base sur lesquels il est possible de s’appuyer et que l’Etat décide d’un budget pour soutenir les partis, en fonction du nombre de représentants de chaque parti au Conseil des députés, au Sénat et dans les conseils municipaux ou en fonction des voix obtenues aux élections, car le travail partisan est coûteux. Il sera aussi indispensable de s’entendre sur l’activation de la loi et des articles de la Constitution, d’éviter une mise en oeuvre sélective, d’activer le rôle des municipalités, ainsi que le texte relatif à l’organisation d’élections pour les gouverneurs et les maires des villages car dans la Constitution, la nomination est possible en cas d’impossibilité de tenir des élections. En effet, l’activation des municipalités aura un impact significatif sur la vitalité du travail politique et donnera un élan à une renaissance sociétale digne de la nouvelle République.
— Pensez-vous que le système électoral ait besoin d’une révision pour être plus approprié à la réalisation des principes de la Constitution ?
— La confiance dans les élections repose sur plusieurs facteurs. Le premier est leur supervision à partir d’un organe indépendant et il est d’usage que le pouvoir judiciaire soit l’organe le plus approprié pour superviser les élections. Le deuxième est que les appareils de l’Etat, qu’il s’agisse des services de sécurité, des médias ou des institutions de l’Etat, adoptent une position neutre à l’égard des partis et des candidats. Le troisième est le système électoral lui-même. Les expériences internationales confirment que le meilleur système est le scrutin de liste à la proportionnelle. Ce qui signifie que chaque parti ou liste obtient des sièges proportionnels au nombre de voix obtenues. Dans ce cas, les circonscriptions sont larges. Le pays peut être divisé en une ou deux circonscriptions. Ce qui fait que le programme électoral et l’orientation du parti deviennent l’essentiel, réduisant ainsi l’influence de l’argent politique.
— Comment le Dialogue national contribue-t-il à affirmer le droit à la représentation de tous les segments de la société ?
— Garantir la diversité et la représentation d’un spectre plus large de la société réside dans la diversité des partis participants et dans le fait qu’une liste de parti n’obtient pas tous les sièges lorsqu’elle obtient 50 % + une voix. La représentation proportionnelle n’abolit pas le reste des voix gagnantes et assure la diversité. D’autre part, les listes électorales doivent inclure tous les segments de la société, en particulier les femmes, les jeunes et les handicapés.
— Comment évaluez-vous l’action de la société civile en Egypte ?
— L’action de la société civile est très ancienne en Egypte. Elle peut devenir l’un des piliers du développement et l’une des plateformes du travail collectif. Mais l’action civile a été nationalisée et confisquée pendant une longue période, au cours de laquelle elle a presque disparu en devenant sous le contrôle du ministère des Affaires sociales. Et récemment, le financement étranger a commencé à s’infiltrer dans certaines associations et organisations, déformant leur rôle et les exposant à la suspicion. Afin d’activer l’action civile, il est indispensable de faciliter la création des associations, et non pas les restreindre, tout en comptant essentiellement sur les financements nationaux et interdisant les financements étrangers. Celles-ci doivent compter sur le bénévolat et ne s’engager en aucun cas dans la politique qui est le travail des partis politiques.
— Malgré les nombreuses mesures et facilitations présentées par l’Etat, les investissements se font encore lents. Comment est-il possible de leur donner un élan ?
— Il est possible de donner un élan aux investissements en supprimant les obstacles à l’octroi des licences et des financements. Dans ce contexte, il est nécessaire de créer dans chaque gouvernorat des zones pour les industries émergentes et traditionnelles, en particulier dans les nouvelles villes. Il faudra aussi leur assurer des services et des infrastructures et leur faciliter l’accès aux matières premières, qu’elles proviennent du pays ou de l’étranger, tout en facilitant l’importation du matériel nécessaire et en accordant de larges exonérations fiscales aux petites et moyennes entreprises, ainsi qu’aux entreprises ayant un rendement social et environnemental.
— La société souffre depuis quelque temps de la hausse des prix. Quel rôle le Dialogue national peut-il jouer face à ce problème ?
— L’étape principale consiste à investir dans les secteurs productifs (industrie et agriculture) et dans l’exploitation optimale des richesses nationales et des matières premières locales afin d’assurer des produits nationaux bon marché, qui n’ont besoin ni de devises étrangères ni de longues lignes de transport. Vient ensuite la nécessité d’interdire les monopoles et de réduire les étapes entre le producteur et le consommateur, puis vient le rôle de l’Etat, des associations de consommateurs et des partis dans le contrôle des marchés.
— Comment peut-on stimuler le rôle de l’industrie et de l’agriculture et garantir la sécurité alimentaire ?
— Il s’agit en premier lieu de supprimer les obstacles face aux industries en difficulté et d’accorder des facilités plus larges aux industries vitales en termes des besoins du marché ou des possibilités d’exportation, tout en leur assurant les matières premières. Il faudra aussi former un comité ministériel d’urgence pour intervenir rapidement lorsqu’un secteur industriel est exposé à un problème urgent, comme dans le cas du secteur des volailles qui a souffert d’une grave pénurie de fourrage, sans oublier la nécessité de relier l’enseignement technique à l’industrie. Pour ce qui est de l’agriculture, elle a besoin de larges investissements pour augmenter la bonification des terres, le développement des réseaux d’irrigation, la création de variétés de semences respectueuses du climat, moins gourmandes en eau et plus productives, tout en assurant l’achat des récoltes à des prix garantissant aux agriculteurs un rendement satisfaisant. Quant à la sécurité alimentaire, elle est obtenue en augmentant l’autosuffisance, en introduisant des machines modernes pour la récolte et l’emballage, en développant les industries alimentaires, en assurant des moyens de transport et des entrepôts appropriés, en contrôlant les prix et empêchant le monopole et en encourageant les petites industries et la production rurale, qu’il s’agisse d’industries alimentaires ou de petits projets productifs.
— Les plans de développement de l’éducation ne sont pas encore clairs en raison de l’écart entre les systèmes traditionnel et moderne. Comment peut-on combler ce fossé ?
— La plupart des pays unifient l’éducation de base, développent constamment leurs programmes et relient l’éducation au marché du travail et aux plans de développement. Le développement de l’éducation de base peut être réalisé de plusieurs manières, en augmentant le budget qui lui est consacré, en augmentant les frais de scolarité en échange de l’interdiction des cours particuliers ou en encourageant les ONG et les municipalités à entrer dans ce domaine. La principale raison de la présence de deux systèmes est l’existence, d’un côté, des écoles publiques sans budget suffisant pour le développement mais bénéficiant de la gratuité et, de l’autre côté, des écoles aux frais élevés capables de se développer. Il est possible de combler le fossé entre les deux systèmes en adoptant un curriculum unifié et en augmentant le budget consacré par l’Etat à l’éducation gratuite, que ce soit en impliquant la communauté locale ou en augmentant progressivement les dépenses tout en exemptant les plus démunis.
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