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Ces dames en tutu

Dina Bakr , Samedi, 17 juin 2023

Synonyme d’élégance, de grâce et de rigueur, la danse classique a toujours fasciné. Et elle n’est désormais plus réservée aux tout-petits. De nombreuses femmes s’y mettent à 30, 40 et même 50 ans. Un rêve d’enfant enfin réalisé.

Ces dames en tutu
Débutantes ou non, toutes sont ravies de s’entraîner à la danse classique.

C’est au centre Ekladious que les amatrices de danse classique se donnent rendez-vous. Dans une ambiance conviviale et détendue, l’accueil en réception les reçoit avec un grand sourire. De jeunes filles et des femmes qui, à l’âge adulte, ont décidé d’apprendre la danse classique, bravant le principe selon lequel il faut commencer très jeune. Leur devise : mieux vaut tard que jamais. Aujourd’hui, il est possible de s’initier à la danse classique ou se perfectionner suivant le niveau à un âge adulte et même en étant une femme grassouillette.

Lors du cours de danse, les différences se fondent, présentant un tableau homogène en effectuant des positions classiques et des mouvements de base. Tout le monde est là pour réaliser son rêve d’enfance. Avec enthousiasme, les danseuses se dirigent vers les vestiaires jouxtant la salle d’entraînement pour se changer. Elles sont libres d’enfiler ce qu’elles veulent : collants, leggings ou shorts, l’important est de laisser les pieds découverts pour permettre au professeur de les observer, corriger certaines mauvaises postures et éviter tout accident, car les pieds constituent la base de tous les mouvements de cette danse.

« Avoir des adultes motivées pour apprendre à danser le ballet exige de recueillir quelques détails concernant la vie quotidienne de chacune, car on a des mamans de 3 enfants, des femmes actives qui restent assises devant leurs bureaux durant des heures, d’autres qui ont des problèmes d’articulations, des antécédents médicaux ou présentent d’autres pathologies », déclare Sammer Ekladious, propriétaire du centre de formation de danse classique. Elle ajoute que durant la formation, elle doit accorder une attention particulière à chaque amatrice comme s’il s’agissait d’un cours particulier, et ce, pour pouvoir exécuter différents mouvements de danse sans difficulté et sans risque. Selon Ekladious, à l’inverse des petites filles, il est difficile d’apprendre la danse classique à des adultes, car la discipline nécessite beaucoup de souplesse et d’élasticité. Exécuter des mouvements corporels avec une grande précision et coordination doit commencer dès le plus jeune âge. Mais le fait de ne plus avoir de limite d’âge imposée a attiré environ 5 000 femmes dans ce centre depuis son inauguration en 2014. Près de 400 amatrices de danse classique continuent leurs entraînements en tant qu’élèves ou professeurs. Aujourd’hui, on compte 9 femmes qui maîtrisent toutes les bases de technique de la danse classique. Ces femmes enseignent la danse classique aux enfants. Un centre qui semble assouvir la passion de ces amoureuses du ballet, mais dont le parcours professionnel ou personnel les a empêchées de le pratiquer.

Passionnée de danse classique depuis son jeune âge, Sammer Ekladious fut ballerine et possédait des talents exceptionnels. Cependant, elle a choisi de faire carrière dans la finance. Plus tard, elle a fait une demande pour un certificat d’accréditation aux Etats-Unis pour joindre une troupe de danseurs adultes. « Je ne suis pas d’accord avec le fait qu’il faut commencer la danse classique très jeune. Des adultes se sont engagés dans des compagnies prestigieuses pour atteindre les meilleurs niveaux et sont devenus plus tard prima ballerina, c’est-à-dire danseur(euse) principal(e) », commente Ekladious, tout en ajoutant qu’il n’y a pas de limite dans le temps pour devenir ballerine. Un enfant qui apprend la danse classique depuis l’âge de 6 ans ne peut pas décider un jour d’entreprendre une telle expérience.

Une forme d’expression corporelle

Dans la salle, quelques-unes font de la barre au sol qui permet d’assouplir le corps, se muscler et travailler les mouvements lents sans apesanteur. Dalia, 45 ans, professeure à l’université, fait de la danse classique depuis 8 ans. « Lorsque j’étais jeune, mes études n’étaient pas compatibles avec les horaires de cours de danse classique. En outre, mes parents n’avaient pas de temps à me consacrer pour faire des va-et-vient réguliers, afin de prendre des cours de danse au club », explique Dalia. Elle ajoute qu’il n’existait même pas cette variété de centres et d’ateliers de danse dont les horaires sont plus flexibles. Dalia s’intéresse à la dynamique du mouvement, c’est-à-dire qu’elle veut comprendre par où commence le début du mouvement comme le plié, le rond de jambe, les jetés ou les adages, afin d’exécuter un enchaînement chorégraphique de façon coordonnée et harmonieuse. Elle est toujours suivie par son entraîneuse privée. « En danse classique, chaque mouvement a sa technique du début à la fin. Le fait de comprendre l’enchaînement des mouvements donne naissance à une chorégraphie séduisante qui fait rêver par ses aspects, et que chaque danseuse saura enrichir différemment », dit-elle, en ajoutant qu’elle garde encore en mémoire — alors qu’elle était jeune, dans les années 1980 — ce silence et les regards rivés de tous les membres de sa famille sur l’écran lors de la diffusion du programme La Voix de la musique de la musicienne Samha Al-Kholi présentant un chef-d’oeuvre du ballet classique : Le Lac des cygnes. « L’attitude de mes proches fascinés par la diffusion de ce ballet fantastique et le silence qui régnait dans le salon m’ont beaucoup impressionnée. Lorsque je les ai entendus dire avec admiration que c’est un art raffiné, j’ai senti que j’avais raté le coche », raconte Dalia.

L’extrême sveltesse des danseuses leur permettant d’exécuter des mouvements avec légèreté a été l’un des motifs pour surveiller son poids et faire régulièrement des exercices d’aérobic. Le jour où Dalia a vu une publicité accrochée sur le mur de la salle de gym annonçant que des cours de ballet existent pour les seniors, elle a voulu relever le défi en se disant qu’il n’était jamais trop tard de s’y mettre. « Quand le temps me le permet, je n’hésite pas à me rendre à l’Opéra pour assister à un spectacle de danse classique et observer la technique adoptée, les mouvements et les postures compliqués exécutés. J’ai progressé en danse classique tout en tombant amoureuse de cet art qui est sans aucun doute le plus raffiné », précise-t-elle.

De la grâce et de la souplesse

Rentrer dans les détails des exercices de danse classique a beaucoup capté l’esprit de Yomna, 32 ans. Elle a étudié la communication de masse, s’est spécialisée en radio et a même travaillé dans les relations publiques. Des années plus tard, elle a enseigné l’anglais. Après avoir régulièrement suivi des cours de danse classique, elle est devenue professeure de danse classique pour les enfants. « Le ballet est ma vraie passion, j’aime ce mélange de féminité, douceur et fragilité qui en ressortent et en même temps, ces muscles robustes qui résistent aux changements rapides des mouvements », explique Yomna. Elle a commencé à faire de la danse classique en 2019 et a même essayé de se rendre à Alexandrie en 2012, après avoir trouvé un centre de danse pour adultes, mais elle n’a pas pu déménager dans cette ville. Elle a continué par la suite avec des cours en ligne et a obtenu deux certificats délivrés par des ateliers de danse où elle a suivi des cours de flexibilité, de pilates, et surtout elle a appris comment s’exprimer par le biais d’un mouvement et transmettre une certaine émotion. « J’ai dû attendre trois ans avant de monter sur les pointes, car il fallait renforcer les muscles des pieds et des chevilles pour être prête à le faire », confie Yomna.


La danse classique permet de développer un bien-être psychologique au-delà de la santé physique.

En effet, les exercices de danse classique peuvent également servir de traitement pour celles qui ont des problèmes au cou ou à la colonne vertébrale. « Au centre de danse, une grande partie des mouvements sont consacrés au dos, au développement des muscles dorsaux qui permettent de soutenir l’ensemble du corps et donc bouger », explique Toqa, 34 ans. La posture tient compte de la forme du dos. Les débutantes se mettent à la barre, visages en diagonale, redressent le dos et courbant la main droite, elles travaillent sur des exercices simples mais efficaces. La danse classique permet d’étirer et de tonifier les muscles, et pas seulement cela, elle détend l’esprit et permet de s’évader des contraintes du quotidien. « La danse classique, cela ressemble au yoga. On apprend à s’aimer, à aimer son corps et à l’accepter tel qu’il est », souligne Dalida, 46 ans.

Qu’importe les qu’en-dira-t-on !

La danse a procuré à cette femme, comme à tant d’autres, un sentiment de bien-être, et c’est pourquoi elle a décidé d’y consacrer plus de temps. Elle se soucie peu des remarques qui lui sont faites, du style que c’est sa fille de 8 ans qui devrait faire de la danse, non pas elle.

Pour éviter les commentaires et les discussions inutiles, elle a choisi avec qui parler de son activité préférée. Et comme l’âge n’est plus un obstacle, rejoindre un groupe de danse et s’entraîner n’ont pas été aussi un problème pour les femmes voilées. « J’ai présenté deux spectacles de danse à l’Opéra en portant mon voile et je n’ai pas reçu de critiques négatives, bien au contraire, j’ai été interviewée à la télé, de quoi encourager les femmes voilées à faire du ballet », souligne Noha, 34 ans. Le tailleur qui confectionne les tenues de représentations utilise habituellement les mêmes couleurs, mais pour les femmes voilées, il choisit des tissus plus épais et multiplie les couches de la jupette tout en couvrant les genoux de la ballerine. Le ballet est une expérience positive, elle est importante à un certain moment de la vie, car sortir de l’ordinaire donne la possibilité d’organiser son quotidien ou de voir sa vie autrement.

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