La rencontre est intervenue 3 jours après l’annonce par ces derniers de leur retrait, il y a deux mois, des opérations des Forces Maritimes Combinées (FMC) dirigées par les Etats-Unis. Créées en 2001 à la suite des attentats terroristes du 11 septembre, les FMC sont une force navale de 38 pays, basée à Bahreïn et chargée de maintenir la sécurité et de lutter contre le terrorisme et la piraterie dans les eaux entourant la péninsule arabique, notamment le Golfe, la mer d’Arabie et la mer Rouge.
Abu-Dhabi, membre des FMC depuis 2004, n’a pas motivé sa décision, mais il est clair que celle-ci s’explique par son irritation face à la faible performance de ses Forces et à l’absence de réponse américaine à la saisie par l’Iran de deux pétroliers près du détroit d’Hormuz les 27 avril et 3 mai. Les EAU étaient particulièrement furieux de la saisie du deuxième navire voyageant entre les ports émiriens de Dubaï et Fujairah, car cela donnait l’impression que leurs eaux n’étaient pas sûres à la navigation. Le ressentiment émirati à l’égard de la politique américaine remonte à d’autres incidents survenus ces dernières années. En janvier 2022, les EAU ont exprimé leur mécontentement du retard des Etats-Unis à venir à leur aide après que des militants houthis, soutenus par l’Iran au Yémen, ont lancé une attaque de drone meurtrière qui a tué 3 personnes à Abu-Dhabi. Cette attaque a provoqué une tension entre les deux pays, les dirigeants émiratis la qualifiant d’affront majeur semblable aux attaques du 11 septembre contre les Etats-Unis. Ils considéraient la réponse tardive américaine comme une preuve supplémentaire du désengagement des Etats-Unis de la région et d’imprévisibilité de leurs politiques. Le prince héritier d’alors et actuel président des EAU, Mohammed bin Zayed, a par la suite décliné un appel téléphonique du président Joe Biden dans un camouflet apparent sur la réponse tardive des Etats-Unis, qui a abouti au déploiement d’un destroyer de la marine et d’avions de combat avancés F-22, plus d’un mois après l’attaque.
Depuis l’attentat de 2022, les EAU et les Etats-Unis ont travaillé à l’élaboration d’un partenariat renforcé en matière de sécurité, mais n’ont pas réussi jusqu’ici à parvenir à un accord en raison des changements stratégiques dans la région. Alors que les EAU recherchent un pacte de protection de leur sécurité, Washington a soulevé des questions sur les liens étroits d’Abu-Dhabi avec la Chine et la Russie, les deux grandes puissances rivales des Etats-Unis qui montent en puissance dans la région du Golfe riche en pétrole. Washington était mécontent qu’Abu- Dhabi avait autorisé Pékin à reprendre la construction d’une installation portuaire que l’Administration américaine soupçonnait d’être une base militaire. Il a également exprimé sa désapprobation que les EAU ont accueilli plusieurs oligarques et hommes d’affaires russes et leurs avoirs à la suite de la guerre en Ukraine, suscitant des inquiétudes en Occident quant au fait qu’Abu-Dhabi, la capitale financière du Golfe, pourrait devenir un lieu de contournement des sanctions.
Le sous-secrétaire au terrorisme et au renseignement financier du Département du Trésor américain a pointé du doigt les EAU pour « leur faible respect des sanctions ». Au cours des 6 derniers mois, Washington a sanctionné 3 entités émiraties pour leur « commerce illicite avec la Russie ». Il reste cependant à voir si le retrait émirien des FMC indique une véritable réduction du partenariat d’Abu-Dhabi avec Washington ou une tactique de négociation. Les EAU tenteront probablement de tirer parti de cette décision pour convaincre Washington de leur fournir une garantie de sécurité formelle.
Un tel accord serait cependant difficile à atteindre, étant donné l’opposition du Congrès, qui voit mal l’action émiratie visant à tirer profit de la rivalité entre les deux parties adverses de la crise ukrainienne, la Russie et les Etats-Unis, sans parler de la volonté profonde partagée par les deux partis, démocrate et républicain, de réduire l’implication militaire américaine dans les conflits du Moyen-Orient. A défaut d’un engagement en matière de défense, les EAU pourraient chercher à convaincre Washington de leur vendre des armes avancées, en faisant valoir que, ce faisant, ils seraient moins enclins à envisager une coopération militaire avec Moscou et Pékin. Une telle perspective n’enlève pourtant rien à la volonté résolue d’Abu-Dhabi de diversifier ses relations internationales en direction de la Chine et de la Russie. Pour les EAU, cette diversification renforce leur influence sur la scène internationale, en leur donnant plus de moyens pour faire avancer leurs intérêts nationaux.
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