Sur la Croisette cannoise, seuls deux courts métrages égyptiens se chargent cette année de représenter le 7e art égyptien dans cette 76e édition du Festival de Cannes, dont Al-Toräa (le ruisseau) de Jad Chahine, projeté parmi les oeuvres de la section La Cinéfondation. Un court métrage dédié à tous les fans des drames sur fond psychosocial et au goût de fable.
L’histoire du film fait référence à une ancienne légende égyptienne sur Al-Naddaha (l’appelante), une sirène nocturne qui prend la forme d’une femme très belle qui séduit les hommes marchant près du Nil ou l’un des ruisseaux de la campagne. Elle compte parmi les figures mythiques que l’on tient pour acquise, tant elle est présente depuis des siècles dans l’imaginaire populaire.
C’est la métaphore d’un désir fort qui s’empare de la vie. L’appel d’Al-Naddaha est alors considéré comme un présage de mort, et c’est sur cette image sombre, négative, mortifère, que repose le caractère dangereux, et même néfaste, qu’on prête à l’un des personnages du film Al-Toräa.
Allam est un jeune adolescent qui témoigne de la mort de son père à cause d’Al-Naddaha (la sirène appelante). Sa mère, encore en deuil, essaie de s’assurer que son fils ne subira pas la même malédiction que son père. Le magicien du village lui conseille de lui donner à boire du lait. S’il le boit, cela signifie qu’il n’est pas maudit, s’il ne le boit pas, la mort ou la folie l’attend inéluctablement. C’est son sort.
Dans cette adaptation cinématographique, le jeune réalisateur décide de revisiter le mythe, d’une façon toutefois trop classique. Le film ne parle pas des origines de la légende, et ne la traite pas sous un angle contemporain ou nouveau, mais recrée plutôt l’atmosphère traditionnelle de la malédiction, du suspense, de la mélancolie et certes de la mort qui y conduit, tout en soulignant à l’arrière-plan certaines émotions assez profondes concernant la perte : la perte du père de la famille, de la paix intérieure et bien sûr la perte de la vie.
Côté réalisation : Jad Chahine signe ici une mise en scène correcte, tout comme le travail effectué sur les costumes, conçus par Dalia Momtaz, les décors créés par Ali Diasti, la correction des couleurs par Mahmoud Essam, mais avant tout le travail du chef opérateur Adham Khaled.
Une esthétique fort prometteuse
Visuellement assez réussi et techniquement bien fait, on sent l’influence des nombreuses expériences qu’a vécues le jeune réalisateur en travaillant pendant des années comme assistant, aux côtés de quelques grands cinéastes et réalisateurs, dont Yousri Nasrallah. N’empêche que ce métrage est bien trop court pour que l’on puisse avoir une attache émotionnelle, même si l’on voit bien ce que veut transmettre la trame.
Un rythme serein, une ambiance prenante, quelques belles scènes assez esthétiques, et en plus, un montage assez adéquat et significatif. Calme, inquiétude, désespoir, solitude, mais aussi beauté et cinégraphie très bien travaillée. Le tout se passe dans un décor de rêve, simple mais profond, une maison trop sombre et noire comme les états d’âme de ses habitants, tous plongés dans le deuil. Une photographie très agréable, avec quelques beaux contrastes lumineux.
On peut regretter seulement un ou deux plans un peu troubles, à part ceci, le reste est bien abouti. Les décors sont tout à fait convenables, avec un sensible effort — en fait — pour faire disparaître tout sentiment d’être devant un film à petit budget.
Le casting est très prometteur et sans reproches, qu’il s’agisse du jeune acteur Mahmoud Abdel-Aziz, qui offre une belle prestation dans le rôle du personnage principal, Allam, ou Héba Khayyal et Sara Chédid dans les deux personnages féminins, la mère et la sirène, l’un plus profond que l’autre.
Bref, Al-Toräa (le ruisseau) est une expérience agréable, techniquement bien faite. Loin d’être innovant, il est en tout cas très difficile de parler d’un métrage simplissite, car même si Jad Chahine n’est pas ici, l’un des innovateurs du genre, il reste un créateur talentueux pour éviter l’abîme. L’univers pseudo-mythique qu’il développe a aussi un point d’intérêt, car cela lui donne une singularité par rapport à l’univers des courts métrages du genre.
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