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L’économie palestinienne prise en otage

Amani Gamal El Din , Jeudi, 11 mai 2023

L’économie palestinienne est totalement dépendante de l’Etat d’Israël, un fait qui a toujours empêché son épanouissement. Explications.

L’économie palestinienne prise en otage
Des barrières systématiques empêchent l’avènement d’une économie nationale palestinienne au sens propre.

Dans le jargon arabe, on l’appelle l’« économie de l’occupation », l’« économie parasitaire » ou encore l’« économie sans souveraineté ». Il s’agit bien entendu de l’économie palestinienne. « L’économie palestinienne représente un cinquième de l’économie israélienne. Quoique paralysée, elle demeure opérationnelle, mais elle est totalement dépendante de l’Etat d’Israël », explique Mohamed Shady, économiste analyste auprès du Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques.

Cette économie a connu des problèmes entre 2000 et 2020 et a enduré des pertes cumulées de 50 milliards de dollars (l’équivalent de 2,5 milliards de dollars par an) selon un rapport publié par la Conférence des Nations-Unies sur le Commerce Et le Développement (CNUCED), intitulé « Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien ». Le rapport révèle que ce coût équivaut à 3 fois le PIB de la Cisjordanie en 2020, et plus de 2,5 fois le PIB palestinien de la zone C, représentant environ 60 % de la superficie de la Cisjordanie, qui est la zone autorisée pour le développement palestinien.

« L’économie palestinienne est élémentaire. Car elle dépend de l’agriculture, surtout de la production d’olives. Pourtant, les territoires palestiniens ont des réserves de gaz naturel, un seul puits dit Gaza Marine. Les industries sont très limitées et élémentaires. On trouve notamment le tissage, les aliments et l’ameublement. Il n’y a aucune stratégie d’industrialisation », affirme Qamar Mohamed, experte en économie régionale.

Des barrières systématiques sont érigées contre l’épanouissement de l’économie palestinienne, l’empêchant ainsi de devenir une économie nationale au sens propre. Mohamed Shady indique que les Accords d’Oslo ont littéralement concrétisé la dépendance de l’économie palestinienne à Israël. « Pour avoir une économie nationale, il faut deux choses importantes, à savoir une Banque Centrale qui émet une monnaie locale et qui est responsable des politiques monétaires, et un ministère des Finances qui est responsable des politiques financières. Ces deux choses font défaut à l’économie palestinienne qui utilise la monnaie d’Israël, le shekel. Elle est soumise aux taux de change et aux taux d’intérêts de la Banque Centrale d’Israël », affirme-t-il, mentionnant qu’il n’existe aucune autorité monétaire ou financière palestinienne. « Sur le plan monétaire, l’économie palestinienne dépend des décisions de la Banque Centrale israélienne. Un fait qui lui a porté préjudice ».

La deuxième barrière est l’intervention systématique d’Israël. « Puisqu’il n’y a pas de ministère des Finances ou un organisme chargé de collecter les recettes fiscales (impôts) qui représentent plus de 60 % des revenus et 2,5 % du PIB, c’est l’Etat d’Israël qui le fait en se basant sur les opérations de reconstruction très coûteuses qu’il accomplit à Gaza et en Cisjordanie ou bien sur les services de base comme l’eau, l’électricité et les services médicaux », explique Qamar Mohamad. Et d’ajouter qu’à la fin de l’année, le gouvernement israélien fait ses calculs et restitue 10 %, parfois 0 %, des recettes fiscales à l’Etat palestinien. En ce qui concerne le commerce extérieur, 96 % des exportations palestiniennes sont prises par Israël, et 79 % des importations proviennent d’Israël, y compris le pétrole et ses produits dérivés.

Le troisième calvaire, selon Shady Essam, analyste des affaires palestiniennes au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques, est que les trois éléments de la production (la main-d’oeuvre, la terre et les richesses) sont contrôlés par Israël. Il faut ajouter aussi les routes, les moyens de transports, les ports, les tarifs douaniers, les points de passage et, enfin, les accès maritimes qui ne sont pas du tout indépendants et imposent aux Palestiniens des règles très strictes. Les accès maritimes pour le commerce et les individus sont inexistants.

2022, une année charnière pour l’économie

Si l’Autorité palestinienne a survécu tant bien que mal à la pandémie de Covid-19, car, selon l’agence palestinienne Wafa, la pandémie a été contenue et les vaccins étaient disponibles, la guerre en Ukraine a, elle, jeté son ombre sur l’économie palestinienne. Ses répercussions sont perceptibles. Selon Qamar Mohamad, « la guerre en Ukraine a eu un impact considérable à cause de la hausse des prix des produits de base et de l’énergie, ainsi que l’interruption des chaînes d’approvisionnement. Les prix de la farine et du pain ont augmenté de 80 %. Les niveaux de vie sont impactés. Pour se procurer ces denrées, le gouvernement est obligé de dépenser plus. Le déficit budgétaire de l’exercice financier actuel 2022-2023 devrait atteindre 558 millions de dollars, soit 5,2 % du PIB ».

Les déductions israéliennes ont commencé à se multiplier en 2021 et ont atteint leur plus haut niveau en 2022. Selon l’agence Wafa, elles se sont élevées à 214 millions de shekels en 2022.

Ajoutons à ces deux facteurs précités l’arrêt des aides financières des Etats-Unis, de l’Union européenne et des aides arabes, surtout de l’Arabie saoudite. « L’économie palestinienne a longtemps dépendu des aides internationales. En 2008, les aides s’élevaient à 2 milliards de dollars alors qu’en 2021, elles avaient chuté à 300 millions de dollars, pour s’arrêter complètement en 2022. Elles sont toujours suspendues et rien ne laisse présager leur reprise », conclut Mohamad.

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