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Un patrimoine menace

Dalia Farouq , Jeudi, 11 mai 2023

La Palestine compte trois sites archéologiques inscrits comme patrimoine mondial de l’humanité et quatre traditions comme patrimoine immatériel de l’humanité. Cette reconnaissance internationale vise à sauvegarder un héritage et une culture menacés par l’occupation israélienne.

Un patrimoine menace

L’église de la Nativité et la route de pèlerinage à Bethléem

 Un an après l’adhésion de la Palestine à l’Organisation de l’Onu pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), l’église de la Nativité et la route de pèlerinage à Bethléem ont été enregistrées sur la liste du patrimoine mondial en 2012. L’emplacement où se dresse l’église de la Nativité à Bethléem — située à 10 kilomètres au sud de la ville de Jérusalem — est reconnu, au moins depuis le IIe siècle, comme l’endroit où Jésus est né. La grotte au-dessus de laquelle fut bâtie la première église est traditionnellement vénérée comme le lieu même de sa naissance.

En localisant la Nativité, le lieu marque à la fois les débuts du christianisme et représente l’un des sites les plus sacrés de la chrétienté. La première église basilicale de 339 ans après J.-C., dont une partie subsiste sous terre, fut aménagée de sorte que son extrémité octogonale, côté est, offre une vue autour et au-dessus de la grotte. Elle est recouverte par l’actuelle église de la Nativité, érigée en grande partie au milieu du VIe siècle. Bien qu’ayant subi des transformations ultérieures, c’est la plus ancienne église chrétienne au monde. Depuis le début de l’époque médiévale, elle a été progressivement intégrée dans un ensemble d’autres édifices ecclésiastiques, principalement monastiques. C’est ainsi qu’elle se trouve aujourd’hui enserrée dans un extraordinaire ensemble architectural que supervisent des membres de l’Eglise grecque orthodoxe, de la Custodie de Terre Sainte et de l’Eglise arménienne.

En effet, l’église de la Nativité illustre deux périodes significatives de l’histoire humaine du IVe au VIe siècles : la conversion de l’Empire romain au christianisme, qui conduisit à la création de l’église de la Nativité sur le site supposé être celui de la naissance de Jésus, et la montée en puissance de l’influence du christianisme à l’époque des Croisades, qui conduisit à l’embellissement de l’église de la Nativité et au développement de trois grands couvents dans les environs.

Quant à la route de pèlerinage, c’est la route traditionnelle allant de Jérusalem à l’église. Elle marque le tronçon qui va de l’entrée traditionnelle de Bethléem, près du puits du roi David, à l’église de la Nativité, elle longe la rue de l’Etoile en passant par la porte de Damas, porte historique de la ville, en direction de la place de la Crèche. La route continue d’être célébrée comme le chemin historique censé avoir été emprunté par Joseph et Marie dans leur voyage à Bethléem.

 Battir, terre d’oliviers et de vignes

 En 2014, l’Unesco a voté pour l’inscription du village de Battir, situé à quelques kilomètres au sud-ouest de Jérusalem, sur la liste du patrimoine mondial. La vallée de ce village est connue pour ses terrasses et son système d’irrigation vieux de 2 000 ans. Battir a une valeur historique exceptionnelle. Selon le ministère palestinien du Tourisme et des Antiquités, ce village est un « symbole de l’attachement des Palestiniens à leur terre ».

En effet, le paysage des collines de Battir comprend une série de vallées agricoles caractérisées par des terrasses de pierres, certaines irriguées pour la production maraîchère, d’autres sèches et plantées de vignes et d’oliviers. Le développement de ces terrasses cultivées, dans un environnement très montagneux, s’est appuyé sur un réseau de canaux d’irrigation alimenté par des sources souterraines. L’eau collectée grâce à ce réseau est attribuée selon un système traditionnel de répartition équitable entre les familles du village.

Mais comme d’autres villages et sites historiques palestiniens, Battir était menacé par le mur de séparation israélien. Ce qui a poussé l’Unesco à l’ajouter aussi sur la liste du patrimoine mondial en péril. Selon l’organisation onusienne, ce site est « menacé par les transformations socioculturelles et géopolitiques. La construction du mur de séparation pourrait isoler les fermiers des champs qu’ils ont cultivés pendant des siècles°». Selon le ministère palestinien du Tourisme et des Antiquités, ce mur a permis à Israël d’accaparer 3 000 sites historiques palestiniens.

 La vieille ville d’Hébron

 C’est en 2017 que l’une des plus vieilles villes au monde, Hébron, ou Al-Khalil en arabe, est inscrite au patrimoine mondial. Datant de la période chalcolithique, elle remonte à plus de 3 000 ans avant notre ère. Hébron, située au sud de la Cisjordanie, a été conquise par les Romains, les juifs, les Croisés, les Mamelouks et les Britanniques. L’utilisation des pierres calcaires locales a marqué la construction de la vieille ville, au cours de la période mamelouke entre 1250 et 1517.

Hébron est marquée principalement par la présence du lieu saint de la mosquée d’Abraham qui abriterait les dépouilles du prophète Abraham, père des religions monothéistes, de son fils Isaac, de son petit-fils Jacob et de leurs épouses Sarah, Rebecca et Léa. Ce lieu devint un site de pèlerinage pour les trois religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme et l’islam. La ville était située au croisement des routes commerciales entre le sud de la Palestine, le Sinaï, l’est de la Jordanie et le nord de la péninsule arabique. Le site d’Hébron est aussi inscrit par l’Unesco sur la liste du patrimoine mondial en péril, conçue pour informer la communauté internationale des menaces tels que les conflits armés, les catastrophes naturelles, l’urbanisation sauvage, etc. Selon l’Unesco, Hébron a été ces dernières années le théâtre de violences et de heurts meurtriers. Les Palestiniens estiment que le site est menacé en raison de la montée alarmante du vandalisme israélien visant les sites palestiniens dans la vieille ville. Les responsables israéliens ont récusé la déclaration de l’Unesco, affirmant que la ville d’Hébron est un site palestinien, estimant que la résolution nie la présence juive dans la ville.

 La broderie

 En 2021, la broderie traditionnelle palestinienne, ou le « tatriz » en arabe, a été inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Une décision intervenue en réaction à un scandale « d’appropriation culturelle ». Alors qu’Israël accueillait le concours de Miss Univers en 2020, les candidates avaient été habillées en tenues traditionnelles palestiniennes, présentées comme faisant partie de la culture bédouine israélienne. L’Unesco a tranché l’affaire, cette tradition de la broderie fait partie de l’identité palestinienne. Ces brod

eries ornent la tenue traditionnelle de la femme appelée « le thobe palestinien ». Chaque région de la Palestine a ses propres formes, couleurs ou motifs brodés à la main, ce qui aide à distinguer la provenance de la personne.

Pour les autorités palestiniennes, l’inscription de cet art sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité était autant essentielle que symbolique. « C’est afin de protéger notre identité, notre héritage et notre récit palestiniens, face aux tentatives de l’occupation de voler ce qu’elle ne possède pas », a expliqué, à l’époque dans un communiqué, le premier ministre palestinien, Mohamad Shtayyeh.

 Le palmier dattier

 Plus de 15 pays arabes, entre autres la Palestine, se sont associés pour soumettre leur candidature afin d’inscrire les « connaissances, savoir-faire, traditions et pratiques associés au palmier dattier ». Les plus importants producteurs, du Maroc à l’ouest jusqu’au Yémen à l’est, en passant par la Tunisie, l’Egypte et l’Arabie saoudite, ont demandé à ce que cette tradition agricole soit reconnue comme patrimoine mondial immatériel. La relation historique entre la région arabe et les palmiers dattiers a permis de créer un riche patrimoine culturel qui a été transmis de génération en génération.

En outre, de nombreuses populations ont été associées au palmier dattier, ce qui les a aidées dans la construction de leurs civilisations dans les régions arides. Aujourd’hui, les communautés, les groupes et les individus des régions où le palmier dattier s’est répandu conservent les pratiques, les connaissances et les compétences qui y sont liées. Il s’agit notamment de soigner et de cultiver le palmier dattier et d’utiliser ses parties (feuilles, frondes et fibres) pour l’artisanat traditionnel et les rituels sociaux. Cet élément essentiel de la vie des oasis en a également fait un thème central de la poésie et la chanson arabes. En raison de son importance ancienne, le palmier dattier est largement soutenu par les communautés locales et diverses agences gouvernementales, ce qui a conduit à une expansion notable de sa culture et à une augmentation de la main-d’oeuvre productive au niveau régional.

 La calligraphie

 Toujours au nom de la Palestine et de plusieurs autres pays arabes, la calligraphie arabe a été enregistrée comme patrimoine mondial immatériel en 2021. Le coufique, l’écriture cursive, les embellissements et autres sont des styles de la calligraphie arabe, connue comme étant la pratique artistique consistant à retranscrire l’écriture arabe manuscrite avec fluidité afin d’exprimer harmonie, grâce et beauté.

Cette pratique, qui peut être transmise tant par l’éducation formelle qu’informelle, utilise les vingt-huit lettres de l’alphabet arabe, rédigé en écriture cursive de droite à gauche. Conçue à l’origine pour rendre l’écriture claire et lisible, elle s’est progressivement transformée en un art arabe islamique utilisé dans les oeuvres traditionnelles et modernes. La fluidité de l’écriture arabe offre des possibilités infinies, même sur un seul mot, puisque les lettres peuvent être allongées et transformées de nombreuses façons afin de créer différents motifs. Les techniques traditionnelles utilisent des matériaux naturels, tels que des tiges de roseau et de bambou pour le calame, un outil d’écriture. L’encre est fabriquée à partir d’ingrédients naturels tels que le miel, la suie et le safran. Le papier est fabriqué à la main et enduit d’amidon, de blanc d’oeuf et d’alun.

La calligraphie moderne utilise fréquemment des marqueurs et des peintures synthétiques et de la peinture en bombe spray est utilisée pour les calligraffiti peints sur les murs, les panneaux et les bâtiments. Les artisans ont aussi recours à la calligraphie arabe pour réaliser des ornementations artistiques, par exemple sur le marbre, les sculptures sur bois, la broderie et la gravure sur métal.

 La Hikaye, récit critique de la société

 Inscrite en 2008 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité,la Hikaye palestinienne est une forme de récit narratif pratiquée par les femmes palestiniennes. Ces récits fictifs qui ont évolué au fil des siècles évoquent les préoccupations quotidiennes de la société du Moyen-Orient tout en préservant l’identité palestinienne. Critique de la société du point de vue des femmes, la Hikaye dresse un tableau de la structure sociale touchant directement leur vie.

La Hikaye est habituellement racontée à la maison pendant les soirées d’hiver, lors d’événements spontanés et conviviaux réunissant de petits groupes de femmes et d’enfants. La narration tire sa force expressive du langage utilisé, de l’intonation, du rythme du discours et des effets de voix, ainsi que de l’aptitude de la conteuse à captiver l’attention de l’auditoire pour le transporter dans un univers d’imagination et de fantaisie.

La technique et le style de narration obéissent à des conventions linguistiques et littéraires qui distinguent ce genre de récit des autres genres narratifs populaires. La langue employée est un dialecte palestinien, le fallahi en milieu rural ou le madani en milieu urbain. Presque toutes les Palestiniennes de plus de 70 ans sont des conteuses de Hikaye, et ce sont principalement elles qui perpétuent la tradition. Mais il n’est pas rare que des filles et des garçons se racontent ces histoires pour s’entraîner ou simplement pour le plaisir.

La pratique de la Hikaye palestinienne est en train de décliner sous l’influence des mass médias incitant souvent les gens à considérer leurs coutumes et les traditions comme révolues. Ainsi, les femmes âgées ont tendance à modifier la forme et le contenu des récits. Les bouleversements incessants de la vie sociale dus à la situation politique actuelle en Palestine constituent également une menace pour la survie de la Hikaye.

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