Plusieurs poids lourds du monde arabe, notamment l’Egypte, l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis (EAU), oeuvrent publiquement pour le retour de la Syrie après avoir entamé un rapprochement avec elle. Dernière en date à se réconcilier avec le régime syrien, l’Arabie saoudite a souligné, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Faisal bin Farhan, la nécessité d’un dialogue avec Damas, citant un consensus arabe croissant selon lequel isoler la Syrie est « futile et insoutenable ».
Les contacts entre responsables saoudiens et syriens existaient depuis plus d’un an, mais se sont accélérés à la suite de l’accord historique de réconciliation du 10 mars entre l’Arabie saoudite et l’Iran, sous le parrainage de la Chine. C’est ainsi que le chef de la diplomatie syrienne, Faisal Al-Meqdad, s’est rendu en Arabie saoudite le 12 avril, une première depuis le déclenchement de la révolte populaire en Syrie en 2011. Son homologue saoudien a visité Damas 6 jours plus tard pour rencontrer le président Bachar Al-Assad. C’était également une première depuis 2011. Damas a accepté à l’occasion d’établir une coopération étroite avec Riyad sur la sécurité des frontières et le trafic de drogue. Il s’agit d’éradiquer la production et la contrebande de Captagon, une méthamphétamine bon marché devenue un fléau dans les Etats du Golfe. En retour, l’Arabie saoudite oeuvrera à la réintégration de la Syrie dans la Ligue arabe.
L’Egypte a également entamé un rapprochement avec Damas. Le 1er avril, Al-Meqdad s’est rendu au Caire pour la première fois, où il s’est entendu avec son homologue égyptien, Sameh Choukri, à renforcer la coopération entre les deux pays. Choukri avait effectué une visite en Syrie en février, la première d’un responsable égyptien depuis 2011, pour transmettre au président syrien un message de solidarité après le violent séisme qui a frappé le pays le 6 février. Ce tremblement de terre dévastateur a intensifié les efforts de normalisation avec la Syrie. Plusieurs pays arabes ont dépêché de hauts responsables et envoyé de l’aide pour manifester leur solidarité.
Les EAU étaient cependant le premier Etat arabe à renouer officiellement avec la Syrie, avec la réouverture de son ambassade à Damas dès le 27 décembre 2018, Bahreïn lui emboîtant le pas quelques heures plus tard. Ce retournement faisait suite à la reprise de contrôle par le régime de Damas de la majorité du territoire national, grâce au soutien militaire de la Russie et de l’Iran. Il était alors devenu clair qu’Assad restera au pouvoir. Il était donc normal qu’Assad effectue à Abu-Dhabi, en mars 2022, sa première visite d’un pays arabe depuis 2011. En mars 2023, il a été à nouveau reçu aux EAU, après s’être rendu à Oman en février.
Les efforts actuels pour réintégrer la Syrie dans le concert arabe ne sont pas nouveaux. Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a tenté d’accueillir Assad au précédent sommet arabe à Alger, en novembre dernier. Sa tentative a été rejetée par l’Arabie saoudite et le Qatar. Tebboune avait espéré saisir l’opportunité pour réintégrer la Syrie dans l’organisation panarabe, mais la déclaration finale du sommet a révélé un manque de consensus sur la question.
Cette absence de consensus a également marqué la réunion des chefs de la diplomatie des six pays du Conseil de coopération du Golfe, de l’Egypte, de l’Iraq et de la Jordanie, tenue le 14 avril à Djeddah, à l’invitation de Riyad, pour discuter de l’éventuel retour de la Syrie à la Ligue arabe. Mais ce manque d’unanimité s’effrite. L’opposition se limite désormais à celle du Qatar qui invoque l’absence de progrès vers une solution politique au conflit syrien. Réagissant aux informations faisant état d’une possible invitation d’Assad au prochain sommet arabe, le premier ministre qatari, Mohamed Al Thani, a asséné : « Il n’y a rien de proposé, ce ne sont que des spéculations ». Faisant écho à ce raisonnement exigeant un consensus arabe, Al-Meqdad a souligné que le retour de son pays dans la Ligue arabe serait « presque impossible avant de corriger les relations bilatérales ».
Si le retour de Damas à l’organisation panarabe doit attendre, la normalisation avec les principaux acteurs arabes est bien en marche. Les contextes régional et international y sont favorables. Les Etats-Unis, qui restent opposés à la normalisation arabe avec la Syrie, ont néanmoins cédé devant le fait accompli. Le 2 avril, la secrétaire d’Etat adjointe aux affaires régionales, Barbara Leaf, a accepté que les alliés de Washington « veuillent tenter un engagement » avec Assad. « Notre approche à cet égard est de nous assurer d’obtenir quelque chose en retour », a-t-elle déclaré. Profitant de ce recul américain, Damas capitalise sur la volonté des principales puissances arabes de profiter de l’influence déclinante des Etats-Unis dans la région pour nouer des partenariats avec leurs rivaux, notamment la Russie, alliée de la Syrie.
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