Une pause. Il aura fallu près de trois mois de manifestations, une intensification de la contestation et de la crise interne et surtout l’apparition de divisions au sein de la majorité pour que le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, finisse par obtempérer. Lundi 27 mars, après deux journées riches en rebondissements, Netanyahu a annoncé une « pause » dans le projet de réforme de la justice qui divise le pays. Soumis à une pression intense, Netanyahu n’avait pas d’autre choix. « Je donne une vraie chance à un vrai dialogue (afin) d’empêcher la division du peuple. J’ai décidé d’une pause (du travail législatif sur la réforme) lors de cette session parlementaire, afin de parvenir à un large accord lors de la prochaine session devant s’ouvrir après les fêtes de la Pâque juive (5 au 13 avril) », a-t-il déclaré dans une adresse à la nation, après des consultations politiques avec certains partenaires de la coalition au pouvoir. Mais pour Netanyahu, ce délai a pour objectif de « parvenir à un consensus large » sur la réforme. Pourtant, par le passé, il avait qualifié le projet de responsable et indispensable pour rééquilibrer les pouvoirs.
Si le discours de Netanyahu a permis de calmer quelque peu la tension — la grande centrale syndicale Histadrout a annoncé la fin de la grève générale qu’elle avait décrétée le matin même avec l’objectif affiché de stopper la réforme —, la crise est loin d’être désamorcée et l’annonce ne fait, pour le moment, qu’éviter un plus grand embrasement. Car en l’espace de quelques heures seulement, Israël s’est retrouvé paralysé par une grève quasi générale. Rues et aéroport bloqués, universités fermées, parlement encerclé. Cette explosion de la colère, déjà croissante dans le pays depuis trois mois, mais qui s’est nettement intensifiée cette semaine après que le premier ministre israélien avait limogé, dimanche dernier, le ministre de la Défense, Yoav Galant, a laissé peu — ou pas — de marge à Benyamin Netanyahu. Pour éviter une très dangereuse escalade, il n’a eu d’autre choix que de « suspendre » la réforme de la justice qu’il promeut aux côtés de sa coalition d’extrême droite.
L’heure du « Wait and see »
Mais il s’agit clairement d’une manoeuvre pour calmer les esprits, car Netanyahu n’a à aucun moment dit qu’il pouvait renoncer à son projet de réforme de la justice. D’où le sentiment qui prévaut aujourd’hui en Israël, celui du « Wait and see ». Dans la société civile, les organisateurs de la contestation, qui s’impose depuis des semaines comme l’un des plus grands mouvements de mobilisation populaire de l’histoire d’Israël, se sont montrés circonspects, appelant à continuer les manifestations tant que le projet n’est pas « totalement stoppé ». Du côté de l’opposition, deux des principaux chefs de l’opposition ont annoncé leur disposition à dialoguer avec le gouvernement, mais dans le cadre de la médiation proposée depuis plusieurs semaines par le président Isaac Herzog, tout en mettant en garde l’exécutif contre toute tentative de duperie. « Si la législation s’arrête réellement et totalement, nous sommes prêts à entamer un véritable dialogue à la résidence du président. Nous avons eu de mauvaises expériences dans le passé et nous allons donc d’abord nous assurer qu’il n’y a pas de ruse ou de bluff », a réagi le chef de l’opposition, Yaïr Lapid. « S’il tente quoi que ce soit, il trouvera face à lui des centaines de milliers d’Israéliens patriotes qui sont déterminés à lutter pour notre démocratie », a-t-il poursuivi.
« Mieux vaut tard que jamais », a de son côté déclaré Benny Gantz (centre-droit), autre ténor de l’opposition, annonçant être prêt à se rendre « immédiatement » et « la main tendue » à des discussions sous l’égide du président israélien, lequel a estimé que l’arrêt du processus législatif est « la bonne chose » à faire, appelant les deux camps en présence à renoncer à toute violence. Quant au ministre de la Défense fraîchement limogé pour avoir préconisé une suspension de la réforme, il a salué la décision.
L’un des partenaires de la coalition, le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, issu de l’aile ultranationaliste, a indiqué avoir accepté le report de l’examen parlementaire du texte en échange de la garantie que celui-ci serait débattu après la Pâque juive et d’un accord pour former une Garde nationale, une démarche condamnée par l’opposition.
Les raisons de la colère
Mais pourquoi Netanyahu insistait-il autant sur le fait de faire passer cette réforme qui a donné lieu à ces images impressionnantes avec des milliers d’Israéliens dans les rues de Tel-Aviv et d’autres villes ? En fait, quatre points ont soulevé la polémique. Le premier est « une clause dérogatoire » prévue par le texte et qui permettrait au parlement, par un vote à la majorité simple, de prémunir une loi contre toute annulation par la Cour suprême. Une sorte de « droit de veto » pour bloquer l’action de la Cour suprême qui réduirait significativement le pouvoir du judiciaire à retoquer une loi. Or, la présentation de ce projet est survenue alors que le premier ministre est lui-même jugé pour corruption. L’affaiblissement du pouvoir judiciaire serait donc bénéfique à Benyamin Netanyahu et lui permettrait d’échapper à tout jugement. Et tel est l’objectif voulu par le premier ministre, selon ses opposants.
Le deuxième point concerne l’influence des conseillers juridiques au sein des ministères que le gouvernement souhaite réduire. Aujourd’hui, leurs recommandations sont citées par les juges de la Cour suprême lorsqu’ils statuent sur la bonne conduite du gouvernement. Mais le ministre de la Justice souhaite que ces recommandations soient clairement considérées comme des avis non contraignants. Pour les détracteurs de cette disposition, il s’agit d’une façon d’affaiblir le pouvoir des magistrats.
Troisièmement, le projet entend revoir le système de nomination des juges de la Cour suprême, pour donner davantage de pouvoir au gouvernement, aux dépens de la société civile et des avocats. Ainsi, si les juges sont actuellement choisis par une commission de 9 membres composée de juges, de députés et d’avocats du barreau, sous supervision du ministre de la Justice, les avocats seraient retirés de ce panel. Enfin, le quatrième point de contestation de cette réforme est un projet d’amendement à une loi fondamentale, surnommé « Deri 2 », qui vise à placer les nominations ministérielles hors du champ de compétence de la Cour suprême.
Et après ?
Le projet suscite même des secousses diplomatiques, notamment du côté des Etats-Unis. Opposé à la réforme, Joe Biden refuse de recevoir Netanyahu. Et Washington a légèrement haussé le ton contre son allié historique ces dernières semaines. La Maison Blanche a certes « salué » l’annonce de la pause, mais elle a aussi appelé les responsables politiques en Israël à trouver un compromis le plus rapidement possible. Juste avant le recul de Netanyahu, elle avait exprimé ses « inquiétudes » sur ce projet de réforme.
Malgré l’annonce de la « pause », les manifestants maintiennent la pression jusqu’à ce que le projet soit définitivement abandonné. Et les tensions ne sont pas pour autant entièrement apaisées. En effet, la société israélienne paraît plus que jamais fracturée. Entre ce mouvement « pour la démocratie », une coalition de droite et d’extrême droite certes fragilisée mais toujours solide, les contradictions d’un Etat « juif et démocratique » remontent plus que jamais à la surface, plaçant l’Etat hébreu à la croisée des chemins.
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