Vingt ans après l’invasion américaine de l’Iraq en 2003, la Mésopotamie lutte encore pour préserver son patrimoine. Et la bataille est multiple: récupération des joyaux antiques, restauration des monuments attaqués et même fouilles qui révèlent de nouveaux trésors de cette civilisation millénaire. En effet, le patrimoine iraqien a beaucoup souffert des conflits politiques. Près de 15000 sites archéologiques ont été volés, pillés et détruits, d’un ensemble de 30000 sites répandus dans les quatre coins de l’Iraq, à la suite de l’invasion des forces de la coalition anglo-américaine. Quelques années plus tard, Daech a occupé la ville de Mossoul au nord de l’Iraq en 2014 et a ravagé un nombre de sites archéologiques. Le Musée national de Bagdad, qui fête cette semaine son centenaire, a perdu plus de 15000 pièces antiques de ses trésors, il comptait environ 22000 pièces.
Selon Solimane Al Howeily, professeur d’archéologie à l’Université du Caire et spécialiste des civilisations du Proche-Orient, ce qui s’est passé en Iraq confirme que « le patrimoine est toujours la première victime des conflits politiques ». En outre, les civilisations du Proche-Orient étaient toujours la cible d’attaques, puisqu’elles sont le berceau de l’histoire et héritières d’un patrimoine civil, économique et social. « La Mésopotamie, berceau des civilisations de Sumer, de Babylone et d’Assyrie, auxquelles l’humanité doit notamment l’écriture, la loi écrite et les premières villes, abrite, à elle seule, 6 sites inscrits au patrimoine mondial de l’humanité. En revanche, elle a beaucoup souffert en matière de patrimoine non seulement au cours des 20 dernières années, mais depuis plus de 40 ans », se lamente Al Howeily.
La civilisation mésopotamienne, rappelle-t-il, était aussi victime de la guerre entre l’Iran et l’Iraq dans les années 1980 et la guerre du Golfe en 1990. Mais, l’impact catastrophique demeure celui de l’invasion américaine en 2003, ainsi que la guerre civile qui l’a suivie. « Selon les lois, les chartes et les traités internationaux, les autorités d’occupation américaines étaient censées protéger les antiquités et les musées, mais elles n’ont pas fait cela, ce qui a permis la destruction et le pillage de plus de 15000 sites archéologiques », indique-t-il. Par exemple Ur, la ville sumérienne de Tal Al-Muqir dans le sud de l’Iraq, dans laquelle Abraham, le père des prophètes, est né en 2000 av. J.-C., a été ravagée. La zone comptait 16 cimetières royaux construits en briques de boue, qui ont tous été transformés en caserne militaire pour les chars et les véhicules blindés errant près de la ziggourat, ce qui en a fait une cible de bombardements et causé la destruction du musée de Nassiriya, qui est l’un des édifices culturels les plus importants de la ville. Les villes antiques, telles que Nimroud, Ninive et Mossoul, ont aussi souffert des répercussions de la guerre.
Soutien onusien
« L’Unesco avait documenté dans un rapport les dégâts sur les sites archéologiques, notamment celui de Babylone, l’une des sept merveilles du monde, et son utilisation comme base militaire pour les forces américaines », assure Al Howeily. Selon lui, les autorités iraqiennes ont une volonté de récupérer et de préserver leur patrimoine en coopération avec la communauté internationale, voire l’Unesco qui pourrait beaucoup aider à mettre en valeur et à développer ce patrimoine autant riche qu’unique.
« Pendant toutes ces années de guerre, et encore plus pendant l’occupation de Daech, c’est la culture et l’éducation qui ont été délibérément détruites et attaquées, alors que l’on est dans un pays à l’histoire plurimillénaire », a indiqué Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, lors de sa visite en Iraq début mars. En effet, l’organisation onusienne accorde un soutien important à l’Iraq pour la préservation et la reconstruction de son patrimoine, tout en agissant directement sur le terrain. « Je suis là pour retrouver cette identité culturelle, aider l’Iraq à reconstruire non seulement les murs, le patrimoine, comme nous le faisons à Mossoul, mais aussi tout ce patrimoine immatériel, cette richesse liée à l’éducation, au savoir-faire qui a tant souffert », a souligné Azoulay lors de sa visite en Iraq.
En effet, l’Unesco a lancé en février 2018 l’initiative phare « Faire revivre l’esprit de Mossoul », l’une des villes emblématiques de la civilisation mésopotamienne. Une initiative qui ne consiste pas seulement à réédifier des sites patrimoniaux, mais également à donner à la population les moyens de devenir des acteurs du changement, prenant ainsi part au processus de reconstruction de leur ville à travers la culture et l’éducation. Mossoul, l’une des plus anciennes villes au monde mais aussi l’une des plus grandes victimes des conflits politiques, était tombée dans les mains de Daech entre 2014 et 2017. Les conséquences ont été dévastatrices, les sites patrimoniaux ont été ravagés et les monuments réduits en miettes sous le joug des marteaux des extrémistes. A cet égard, l’agence onusienne a mobilisé plus de 150 millions de dollars en faveur de l’Iraq, dont une grande partie est allouée à la reconstruction de plusieurs monuments à Mossoul, à l’instar de la mosquée Al-Nouri et l’église du couvent Notre-Dame de l’Heure, qui attend trois nouvelles cloches fondues en France.
La restitution des pièces antiques pillées à la suite de l’invasion de l’Iraq et qui remontent aux époques sumérienne, akkadienne, assyrienne, babylonienne et islamique est aussi un point de mire pour les autorités iraqiennes. L’Unesco s’est engagée aussi pour mobiliser la communauté internationale afin de restituer à l’Iraq ses antiquités pillées. Ceci dit, des milliers de pièces ont été récupérées au cours des 5 dernières années, dont 17899 récupérées des Etats-Unis, parmi lesquelles un nombre des ivoires de Nimrud en plus de 5000 pièces restituées à la Grande-Bretagne dont la célèbre tablette de Gilgamesh qui date de 3300 av. J.-C.
Le climat, l’autre menace
Mais à la guerre s’ajoute désormais un autre péril qui pèse sur le patrimoine iraqien: le changement climatique. Le pays est considéré par l’Onu comme l’un des cinq Etats les plus touchés par certaines conséquences du changement climatique, surtout de très graves pénuries d’eau en raison d’un débit réduit des fleuves du Tigre et de l’Euphrate. Ce qui affecte les marais mésopotamiens classés au patrimoine mondial de l’humanité. A cet égard, la directrice de l’Unesco a proposé l’envoi d’une mission d’experts dans la gestion des ressources hydrographiques pour voir comment aider le pays à gérer cette ressource et affronter cette crise structurelle. « Ce pays a été si fertile, ce pays a été un berceau de civilisations, grâce à ses fleuves et son eau », a rappelé Azoulay.
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