L’Afrique a la possibilité d’utiliser l’économie numérique comme locomotive de croissance et d’innovation, à la lumière de l’augmentation des investissements dans la transformation vers le commerce numérique. En effet, la Banque Mondiale (BM) a alloué une somme de 12 milliards de dollars destinée à élargir l’accès à Internet en Afrique. De son côté, l’Union africaine a développé une stratégie de transformation vers le numérique qui aide à promouvoir les opportunités d’investissement, afin que l’Afrique puisse réaliser ses objectifs de développement durable. Il est à noter que bien que l’Afrique comprenne presque 18 % de la population mondiale, elle n’exporte qu’un taux minime de 0,4 % de haute technologie et de 2 % des services liés. Ainsi, il est impératif de promouvoir ce genre d’exportation qui, à son tour, contribuera au développement du continent.
A cet égard, la transformation numérique peut aider à promouvoir les entreprises virtuelles, qui sont des sociétés n’ayant pas de siège fixe et où les employés effectuent leur travail à distance, communiquent entre eux par voie électronique, ce qui réduit drastiquement les dépenses par rapport aux entreprises traditionnelles. Celles-ci peuvent aussi aisément se transformer en virtuelles avec tout ce que cela comporte d’avantages. D’ailleurs, selon les dernières statistiques publiées par le site Findstack.com en 2022 sur le e-commerce, « 16 % des entreprises de par le monde fonctionnent déjà à distance, contre 44 % qui fonctionnent toujours conventionnellement. De même, un taux de 77 % des employés ont déclaré être plus productifs en travaillant à distance ». Les statistiques ont également démontré que le revenu annuel des télétravailleurs atteint les 4 000 dollars, un taux supérieur aux revenus des employés conventionnels. Quant aux directeurs, environ 85 % d’entre eux estiment que le futur penche vers le travail à distance et que les télétravailleurs deviennent la nouvelle norme.
Vecteur de développement
D’après les estimations, quelque 21 millions de personnes pratiquent l’achat via Internet en Afrique. Alors que le volume du commerce électronique dans le continent a atteint plus de 60 milliards de dollars en 2021. Et la situation est en constante évolution. Il est prévu que le marché électronique augmentera de 14,4 milliards de dollars au cours de la période 2025-2030. Ce qui contribuera à créer 3 millions d’offres d’emploi d’ici 2025. Par ailleurs, il existe 264 start-up qui travaillent dans le domaine du commerce électronique et du marketing. Leurs activités s’étendent dans 23 pays. Parmi lesquels l’Egypte, la Tunisie, l’Afrique du Sud, le Kenya, la Namibie, le Botswana et l’Algérie. « Jumia » est un exemple d’entreprise numérique prospère en Afrique, qui a enregistré une nette augmentation de 50 % des achats en ligne au cours de la première moitié de 2020. De même, GetBoda, autre société de logistique numérique en Afrique qui se trouve au Kenya, a augmenté son commerce via Internet de 150 %.
L’Afrique aspire à accroître les achats en ligne grâce à la mise en oeuvre de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf). L’accord sur la création de cette zone prévoit la suppression de 90 % des droits douaniers et vise à former une union douanière au niveau du continent. Ce qui renforcera les échanges interafricains.
Modèles de réussite
L’Afrique du Sud est classée 35e plus grand marché du commerce électronique au monde, générant une somme de 3 milliards de dollars de revenus en 2019. Le taux d’internautes sud-africains est estimé à 56 %, après celui de la Russie, qui est de 60 %. Ceci fait de l’Afrique du Sud le principal marché en ligne en Afrique. De son côté, le Kenya a réalisé un développement remarquable en adoptant une stratégie de transformation numérique qui a mis en place des mesures de soutien aux activités numériques. Ainsi, la Banque Centrale du Kenya a élargi les transactions effectuées par la monnaie électronique tout en exemptant ces transactions des frais de commission. L’adoption de cette politique a abouti à une augmentation significative du nombre des transactions effectuées dont la plupart sont inférieures à 10 dollars, ce qui a permis de protéger les familles les plus pauvres et a attiré plus de 1,6 million de clients supplémentaires.
Au Rwanda, les transactions en monnaie électronique ont augmenté de 450 % fin d’avril 2020. La République de Maurice, la Namibie et l’Ouganda ont développé des systèmes numériques dans les secteurs de l’éducation, de la santé et du commerce, en plus de promouvoir la tenue des séminaires et des conférences scientifiques à distance. Le Nigeria a également amélioré son infrastructure numérique par la mise en place d’une économie numérique intelligente et d’un système d’inclusion financière grâce à l’expansion du système d’identification bancaire auquel s’ajoute la mise en vigueur d’une plateforme de paiement électronique sur le portable permettant le transfert d’argent. Ce qui a, à son tour, contribué à augmenter le nombre des entreprises électroniques qui utilisent cette plateforme de 330 % au cours du premier trimestre de l’année 2020 par rapport à la même période de l’année précédente. De même, les transferts d’argent via téléphone portable ont quadruplé au Rwanda au cours d’un seul mois, de la mi-mars à la mi-avril 2020. Toutes ces données indiquent que le e-commerce en Afrique devrait atteindre un potentiel de croissance de 180 milliards de dollars d’ici 2025, soit un taux de 5,2 % du PIB du continent.
Obstacles à surmonter
Mais plusieurs défis sont encore à relever. Il s’agit premièrement du coût élevé de l’usage d’Internet. Les internautes des pays africains paient les tarifs les plus élevés au monde par rapport à leur revenu pour accéder à Internet. Ainsi, le coût d’un gigabyte de données sur les appareils portables représente 7,12 % du revenu mensuel d’un habitant en Afrique en 2021. Dans certains pays comme le Tchad, la RDC et la République centrafricaine, les utilisateurs paient 20 % du revenu mensuel pour y accéder. Ce coût est jugé extrêmement élevé par rapport à celui de 3,5 % du revenu mensuel en Amérique latine et seulement 1,5 % en Asie.
Autre enjeu : le manque quasi total, et dans certains cas l’état piteux, des infrastructures technologiques. En effet, plus de 700 millions d’Africains dans nombreuses régions sont sans accès aux services d’Internet faute d’électricité. La cybercriminalité constitue un autre défi de taille : certains pays manquent de politiques et de stratégies globales en matière d’assurer la cybersécurité, ce qui est considéré comme l’un des principaux facteurs d’exacerbation de la cybercriminalité en Afrique.
Afin de relever ces défis, il incombe aux responsables africains d’encourager et de répandre la culture de l’innovation numérique pour garantir l’accès aux technologies numériques, en plus de fournir les données à des prix abordables. De même, il est nécessaire d’adopter des politiques régionales dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale dans le but d’intégrer les économies et de mettre en oeuvre des stratégies numériques nationales. Cet objectif nécessite une coopération entre les pays africains dans divers domaines, notamment la fiscalité numérique, la sécurité des données et la disponibilité des informations transfrontalières.
*Cheffe du département de l’économie à la faculté des études supérieures africaines de l’Université du Caire.
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