20 mars 2003, les Etats-Unis envahissent l’Iraq. Sous prétexte de la possession de l’Iraq d’armes de destruction massive, qui s’est avéré par la suite être un « gros mensonge », l’ancien président américain George Bush « le fils » a lancé l’opération « Libération de l’Iraq », et ce, en dépit du refus quasi catégorique du monde arabe et de la communauté internationale. Plus de 150000 soldats américains et 40000 soldats britanniques participent à l’invasion. Le 9 avril 2003, Bagdad tombe sans résistance. Dans le centre de la capitale iraqienne, des manifestants iraqiens renversent une immense statue du président iraqien Saddam Hussein. Une scène inoubliable qui marque le début d’une nouvelle ère dans l’histoire de l’Iraq et de la région du Moyen-Orient.
En effet, l’occupation américaine officielle de l’Iraq s’est poursuivie jusqu’en 2011, lorsque Washington a retiré la plupart de ses forces tout en maintenant un certain nombre de bases militaires. Au cours de la période 2003-2011, plus de 100000 civils iraqiens et 5 000 soldats américains ont été tués.
Pour Washington, l’opération militaire visait à mettre fin au régime dictatorial et à amener la démocratie. Cependant, l’invasion a entraîné le démantèlement des institutions de l’Etat iraqien, comme la dissolution de l’armée et l’instauration d’un système politique fondé sur des quotas sectaires sans aucun fondement constitutionnel. Ce qui a ensuite engendré des violences confessionnelles entre chiites et sunnites pendant la période 2006-2009 et a exacerbé la rivalité entre Bagdad et la région autonome du Kurdistan. Le pays a également connu une défaillance sécuritaire qui a permis l’infiltration d’organisations terroristes telles qu’Al-Qaëda et Daech, ainsi que les interventions régionales qui ont fait éloigner l’Iraq de son environnement arabe pendant plusieurs années.
Conséquences régionales
Par ailleurs, les répercussions de l’invasion ont dépassé les frontières de l’Iraq pour s’étendre dans toute la région arabe, causant un déséquilibre régional au Moyen-Orient, ainsi que la sortie de l’Iraq de l’équation régionale en tant que force militaire de poids. Cet état des lieux a entraîné la montée de l’influence régionale de l’Iran à travers le soutien des milices armées de confession chiite. Ce qui a approfondi les divisions sectaires dans le pays. Autre résultat : l’émergence du rôle « des acteurs non étatiques » en tant que force concurrentielle au rôle de l’Etat national, comme notamment le Hezbollah libanais et des organisations terroristes comme Daech. Ceci a eu une incidence négative sur la stabilité interne au Liban, en Iraq, au Yémen et en Syrie. Téhéran est allé jusqu’à soutenir les milices chiites iraqiennes et yéménites pour attaquer les pays du Conseil de coopération du Golfe en les bombardant avec des missiles ayant atteint les frontières de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis et menaçant également la navigation maritime dans le Golfe. Quant à la Turquie, elle a lancé 8 opérations militaires dans les profondeurs des territoires iraqiens et syriens entre 2016 et 2021 et a installé des bases militaires dans le nord des deux pays.
Nouvelle forme de la présence américaine
Bien que l’invasion ait prouvé l’échec de changer les régimes en place par la force, elle a ouvert la voie à l’appliquer avec « des outils souples » à travers une autre hypothèse, celle de « chaos créatif ». C’est exactement ce qui s’est passé en 2011, lorsque les mêmes puissances ont tenté, à travers ce qu’on appelle « les révolutions du Printemps arabe », de fournir un soutien extérieur aux manifestations et faire de fausses promotions de répandre la démocratie. Cette théorie, comme celle de la guerre, a prouvé son échec, car tout changement politique ou social doit émaner de l’intérieur du pays lui-même et non être imposé. En fait, la quasi-totalité des pays arabes qui étaient ou sont encore victimes d’interventions étrangères, comme l’Iraq, la Syrie, le Liban et le Yémen, n’ont pas toujours réussi à reconstruire leurs pays dévastés. Ceci s’applique à l’Iraq qui, après 2 décennies de l’invasion anglo-américaine, est toujours confronté à nombre de défis internes et externes qui entravent toujours sa reconstruction.
20 ans après, la polémique sur l’avenir de la présence militaire américaine en Iraq persiste encore. Dans ses entretiens avec le premier ministre iraqien, Mohamed Chia Al-Soudani, lors de sa visite à Bagdad le 7 mars dernier, le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a confirmé l’engagement de son pays à soutenir la stabilité de l’Iraq. Il a réitéré que les forces américaines— 2500 soldats américains en Iraq— étaient présentes en Iraq à la demande du gouvernement iraqien, afin de lutter contre le terrorisme.
Au-delà des déclarations officielles, la visite d’Austin porte sur deux objectifs : d’abord légitimer la présence des forces américaines en Iraq sous prétexte que c’est une demande du gouvernement iraqien et qu’elles ne sont pas des forces d’occupation ; ensuite, confirmer la ferme intention des Etats-Unis de maintenir leurs bases militaires et leur influence politique au Moyen-Orient en général et en Iraq en particulier. Il s’agit d’une réponse américaine face aux affirmations selon lesquelles Washington a perdu de son poids dans le monde arabe.
En fait, pour Washington, l’importance géopolitique de l’Iraq augmente au vu de la concurrence avec la Russie et la Chine. D’autant plus que Pékin a récemment réussi à servir de médiateur entre Riyad et Téhéran pour éloigner les possibilités d’une frappe militaire américaine contre l’Iran et ouvrir un nouveau chapitre de la diplomatie chinoise dans la région. La présence des forces américaines en Iraq garantit aux Américains d’être proches de l’Iran et de la Syrie où stationnent des bases militaires russes. Il faut également noter que l’Iraq jouit d’énormes réserves en hydrocarbures qui constituent une alternative au gaz russe, alors que la Russie subit des sanctions à cause du conflit ukrainien. C’est pourquoi les Etats-Unis cherchent à rester en Iraq via le partenariat stratégique.
Multiples défis internes
Sur le plan interne, les derniers combattants de Daech présentent toujours un défi sécuritaire pour Bagdad. D’après les responsables iraqiens, l’organisation maintient environ 400 à 500 membres dans 4 provinces d’Iraq et continue de lancer ses attaques sporadiques. Et ce, bien que l’Iraq ait déclaré la défaite de Daech en 2017, alors que l’organisation terroriste avait pris le contrôle d’un tiers de la superficie de l’Iraq et de la Syrie en juin 2014.
Par ailleurs, résoudre les problèmes en suspens avec Erbil constitue un autre défi de taille pour l’Iraq. Le 13 mars dernier, le premier ministre iraqien, Mohamed Chia Al-Soudani, a effectué sa première visite dans la capitale du Kurdistan, Erbil. Lors de cette visite, Soudani a parlé d’un « accord global » visant à résoudre les problèmes en suspens entre Bagdad et Erbil. Un comité sera formé pour suivre la mise en exécution des recommandations de cet accord qui vise à rétablir la cohésion entre le gouvernement central de Bagdad et les régions iraqiennes et qui mettra fin aux différends entre Bagdad et Erbil. Ces différends perdurent depuis 2017, lorsque la région kurde a organisé un référendum sur le droit à « l’autodétermination » en tant que prélude à la sécession de l’Iraq.
Autre défi: mettre terme aux interventions régionales qui constituent un obstacle à la reconstruction de l’Etat iraqien. L’invasion américaine a ouvert grand la porte face aux ingérences politiques et militaires régionales dans les affaires iraqiennes allant de l’Iran jusqu’à la Turquie, qui a effectivement lancé des opérations militaires séparées et conjointes dans les régions du nord du Kurdistan iraqien contre les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en territoire iraqien. Ces ingérences sont considérées comme une violation du droit international et une atteinte à la souveraineté d’un autre pays.
Redessiner les relations avec le monde arabe
Par ailleurs, l’Iraq cherche à renforcer ses relations avec son environnement arabe, grâce à l’ancien premier ministre iraqien Moustafa Al-Kazimi, qui souhaitait renforcer la coopération arabo-iraqienne et s’engager dans de multiples interactions arabes. Dans ce contexte, Bagdad a accueilli le sommet arabe pour la première fois depuis des décennies. Un sommet auquel a participé le président Abdel-Fattah Al-Sissi, qui a déclaré le ferme soutien de l’Egypte à la sécurité et à la stabilité de l’Iraq. Al-Kazimi a en outre tenu à activer le mécanisme de coopération tripartite (Egypte, Jordanie, Iraq). Il a même lancé une médiation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, ce qui a constitué le premier dialogue direct entre eux. Son successeur, Soudani, a poursuivi ces efforts. Il a effectué sa première visite depuis son arrivée au pouvoir début mars 2023. L’occasion pour le président Sissi de renouveler le ferme soutien de l’Egypte à la sécurité et à la stabilité de l’Iraq, ainsi que la volonté du Caire d’activer et de diversifier les cadres de coopération bilatérale conjointe avec Bagdad dans divers domaines politiques, économiques et commerciaux. Et ce, en prélude à un renforcement de la coopération arabe pour faire face aux défis sécuritaires et politiques actuels.
*Experte dans les affaires régionales
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