Al-Ahram Hebdo : Où en sont les relations bilatérales entre l’Egypte et la France ?
Marc Baréty : Les relations bilatérales ont été marquées par la visite du président français, Emmanuel Macron, en Egypte à l’occasion de la COP27 en 2022. Il est venu accompagné de 5 ministres et a eu plusieurs rencontres avec des responsables, ainsi qu’une rencontre avec le président Sissi. Nous avons eu, quasi en permanence, un ministre pendant toute la période de la COP. Notre ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, y a assisté pendant deux jours et a eu évidemment une rencontre avec son homologue, Sameh Choukri. Pour nous, la COP a été une réunion bien réussie du point de vue logistique et du point de vue des résultats ; du point de vue logistique parce que c’était un exercice difficile quand on a 47 000 participants, 120 chefs d’Etat et de gouvernement, c’est compliqué mais tout s’est très bien passé. Du point de vue des résultats, on est satisfait de la déclaration finale, car elle concerne comme objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5oC. Deuxièmement, car on a pu avancer sur la question des pertes et dommages et ça, ce n’était pas acquis avant. Un élément qu’on regrette c’est qu’il n’y a pas eu davantage d’engagement sur la limitation des émissions du dioxyde de carbone, c’est ça la seule nuance, sinon, pour le reste, on a été satisfait de la manière dont les choses ont passé.
— En 2022, dans quels domaines la collaboration a-telle été la plus importante ?
— En plus de la visite du président, les relations bilatérales ont été marquées par un accroissement des échanges commerciaux entre nos deux pays, parce qu’on est passé quasiment à 4 milliards d’euros d’échanges commerciaux dans les deux sens. Et la bonne nouvelle pour l’Egypte est qu’elle a réduit son déficit commercial avec la France et a exporté davantage à destination de la France. Ses exportations étaient surtout le gaz, puisque, en Europe, à cause de la crise énergétique, on a eu besoin du gaz, et c’est l’une des choses que M. Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, avait discutées avec le président Sissi. Autre élément important dans nos échanges, encore, en relation avec la guerre en Ukraine, les autorités égyptiennes ont sollicité la France pour fournir davantage du blé, et le ministre M. Le Maire s’était engagé à donner la priorité à l’Egypte, il ne s’était pas engagé sur des quantités parce que c’était avant la récolte, et de fait, la France est devenue aujourd’hui le deuxième fournisseur de blé de l’Egypte, avec 1,2 million de tonnes, soit 30 % des importations égyptiennes de blé. Chacun a tenu parole, les Egyptiens sur le gaz et les Français sur le blé.
— Justement avec la guerre en Ukraine, la question de la sécurité alimentaire est r e d e v e n u e une priorité. Quels sont les projets que mène la France en Egypte à cet effet ?
— On aconscience que la sécurité alimentaire est extrêmement importante pour l’Egypte. En plus de la fourniture de blé, dans le cadre de l’Union Européenne (UE), l’Agence Française de Développement (AFD) est en train de mettre en oeuvre un projet pour construire des silos qui permettent de réduire le gaspillage à 1 %, c’est un financement par l’UE mis en oeuvre par l’AFD. Surtout, en relation à la sécurité alimentaire, l’AFD continue de travailler avec le ministère de l’Approvisionnement sur un marché de gros à Ismaïliya, c’est extrêmement important, parce que quand il n’y a pas de système de transport et de stockage réfrigéré, les pertes de produits alimentaires peuvent être extrêmement élevées et atteindre jusqu’à 40 %, voire 50 %.
— La France finance-t-elle d’autres projets en Egypte ?
— Au niveau de développement, l’AFD a fourni, en 2022, plus de 350 millions d’euros pour financer des programmes en Egypte dans différents domaines, comme celui du transport avec le métro, la sécurité alimentaire, la santé, l’assurance sociale, l’enseignement. Nous avons un programme pour former 13 000 professeurs égyptiens qui enseignent le français. En général, 60 à 70 % de ces programmes sont liés à la préservation de l’environnement et à l’autonomisation de la femme. Au niveau militaire, il y a une coopération continue sur le niveau d’entraînement, d’exercices et des visites réciproques de responsables. Sur le niveau de la sécurité et de la police, nous avons commencé un programme avec l’UE et l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), financé par l’UE et mis en oeuvre par l’AFD, avec une agence française spécialisée dans l’entraînement sécuritaire, et ce programme se concentre sur la préservation des frontières maritimes de l’Egypte en fournissant des navires et en offrant un entraînement pour des policiers égyptiens. Sur le niveau de l’enseignement, le développement de l’Université française en Egypte continue, et nous allons construire un nouveau campus dans la ville d’Al- Chourouq financé par l’Egypte et la France avec 37 et 12 millions d’euros. On n’a pas encore posé la première pierre, mais nous espérons que le nouveau campus de l’Université française en Egypte sera terminé à la fin de 2024.
— A quel point l’environnement des affaires est-il attirant en Egypte ? Et quelles sont les demandes des investisseurs français ?
— Le gouvernement égyptien est conscient de l’importance de la réforme, déjà l’accord avec le FMI stipule une réforme fiscale, réforme liée à la monnaie, ainsi que donner la place au secteur privé. Le stock des investissements français en Egypte s’élève à 5,5 milliards d’euros et les entreprises françaises présentes en Egypte veulent accroître leurs investissements. Mais il faut attirer plus d’entreprises. Attirer des investissements étrangers est une course mondiale, tous les pays cherchent les investissements, l’important c’est d’avoir une stabilité du cadre fiscal et réglementaire. La facilité de pouvoir importer et exporter des matériaux, la facilité de pouvoir importer et exporter des capitaux comptent aussi, et la libre circulation des personnes et de pouvoir faire venir des travailleurs étrangers est aussi importante. Nous sommes dans une économie mondialisée, et il est possible qu’une personne qui travaille pour une entreprise française ne soit pas français, et toutes les nationalités n’ont pas la même facilité d’avoir le visa. Nos entreprises se plaignent de la longue période des procédures de dédouanement qui prend deux à trois semaines. Pour établir une entreprise, ce qui compte est de pouvoir s’adresser à un seul guichet, si plusieurs administrations sont concernées et vous avez cinq, dix ou quinze autorisations à obtenir, les investisseurs chercheront d’autres destinations où les procédures sont plus faciles. Autre chose extrêmement importante est de pouvoir faire jeu égal avec les entreprises égyptiennes, c’est-à-dire si certaines entreprises égyptiennes jouissent d’un certain avantage, effectivement la compétition n’est pas égale.
— Et qu’en est-il des nouveaux investissements français en Egypte ?
— Les investissements français se poursuivent en Egypte. Le plus récent projet que j’ai visité est un terminal multifonction de l’entreprise CGA CGM, qui a lancé un investissement considérable de 600 millions de dollars, ils ont créé à Alexandrie un terminal pour accueillir de trop gros bateaux. Il y a une semaine, ce terminal a accueilli le plus grand cargo qui soit jamais arrivé en Egypte. D’autres entreprises comme Saffron, une entreprise dans le domaine de l’aéronautique, ont fait des investissements récents, il y a aussi Atos dans le logiciel, Thales et bien d’autres entreprises qui ont créé une implantation en Egypte en 2022.
— La dévaluation de la livre égyptienne peut-elle affecter les échanges commerciaux et l’économie en général ?
— La juste valeur de la livre égyptienne doit être la valeur du marché, c’est pourquoi en termes de l’accord avec le FMI, la livre égyptienne flotte, c’est bénéfique à l’économie sur le long terme. La baisse de la valeur de la livre égyptienne a renforcé les exportations de l’Egypte, et on sait que l’économie égyptienne a un besoin considérable de financement pendant les quatre ans à venir, et ce besoin de financement ne peut pas être entièrement comblé par le prêt du FMI, les sukuk, les bons Samouraï et Panda, il faudra aussi d’autres sources de financement, et l’une des sources majeures sont les exportations. Elles s’élèvent à 40 milliards de dollars, l’objectif des autorités est de les élever à 100 milliards de dollars. Si l’Egypte arrive à doubler ses exportations, le pays va très largement remplir ses besoins de financement. L’autre avantage qu’on espère est que la réforme de l’économie et la facilitation accordée au secteur privé seront une impulsion pour le développement de l’économie égyptienne. La dévaluation de la livre égyptienne, même si elle a des inconvénients, a aussi des avantages. La réforme fiscale, la réforme économique et la libre fluctuation du taux de change sont trois outils à la disposition de l’Egypte pour pouvoir relancer son économie qui, avant la crise ukrainienne, s’en tirait assez bien, puisque vous avez surmonté la crise du Covid-19 et les choses se passaient bien. Donc, il s’agit simplement de relancer l’économie.
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