Rafael Grossi en Iran pour tenter d’obtenir des garanties. (Photo : AFP)
Deux déplacements aussi importants l’un que l’autre dans un timing délicat. La tournée régionale du secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, et la visite du chef de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), Rafael Grossi, en Iran.
Le premier est venu réaffirmer le soutien américain à ses principaux alliés régionaux face à la « menace croissante » que représente l’Iran, selon des responsables américains. Le deuxième pour relancer le dialogue sur le nucléaire au moment où l’inquiétude grandit à propos des capacités nucléaires de l’Iran. En effet, Rafael Grossi s’est rendu en une visite express à Téhéran les 3 et 4 mars afin d’obtenir des éclaircissements sur la découverte de particules d’uranium enrichi à 83,4 % dans l’installation souterraine de Fordo, selon un rapport de l’agence datant de janvier. Un rapport qui alarme l’Occident. Si Paris a estimé avoir affaire à un « développement grave et sans précédent », de l’autre côté de l’Atlantique, le Congrès américain s’alarme en jugeant que l’Iran serait capable d’obtenir l’arme nucléaire en « une douzaine de jours seulement ».
Après avoir rencontré les responsables de l’Organisation Iranienne de l’Energie Atomique (OIEA) la veille, Rafael Grossi a rencontré, samedi 4 mars, le président iranien, Ebrahim Raïssi, ainsi que le ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian. Le directeur de l’agence, venu dans l’objectif de « relancer le dialogue » sur le programme nucléaire de Téhéran, rapporte avoir eu des « discussions constructives » avec les hauts responsables iraniens, tout en estimant pouvoir aboutir à des « accords importants », notamment en matière de coopération avec l’OIEA et d’accès aux installations nucléaires iraniennes. L’accès des inspecteurs de l’AIEA s’est graduellement réduit, jusqu’à devenir un sujet de contentieux avec Téhéran depuis novembre 2022, où des traces d’uranium enrichi ont été découvertes dans trois sites non déclarés à l’agence.
Dans la conférence de presse donnée à son retour, à Vienne, Rafael Grossi a cependant reconnu ne pouvoir ni annoncer de délai précis avant l’obtention d’un accord, ni préciser quels sites pourraient être inspectés, mais que d’autres réunions techniques étaient déjà programmées à Téhéran pour discuter des modalités d’activités de surveillance supplémentaires. « Ce qui est important est que nous nous sommes mis d’accord pour avancer sur des visites concrètes, un accès concret à certaines personnalités d’intérêt et certains matériels. Donc, c’est un changement, oui (...) Si on peut utiliser une image, nous avons mis un garrot sur les fuites et le manque de continuité de l’information », a-t-il affirmé.
Annonces contradictoires
Cependant, la confusion règne toujours : aussitôt après le départ de Rossi, le porte-parole de l’OIEA, Behrouz Kamalvandi, a démenti tout accord sur l’installation de nouvelles caméras dans les sites nucléaires iraniens, comme l’a affirmé Rafael Grossi. « Cette question n’a pas été discutée », a déclaré Kamalvandi, affirmant qu’il n’était pas question que les inspecteurs de l’agence onusienne puissent interroger les scientifiques nucléaires du pays. Autre démenti, Behrouz Kamalvandi a affirmé que la question de la visite de trois sites où des particules d’uranium hautement enrichi avaient été trouvées n’avait pas été discutée. Il a simplement reconnu que l’Iran avait donné son accord pour faire passer le nombre des inspections dans le site de Fordo de 8 à 11 et cela parce que l’Iran a augmenté son niveau d’enrichissement de 20 à 60 %.
Pourtant, la visite de Rafael Grossi en Iran, hors du cadre multilatéral et centrée sur les modalités techniques de surveillance et d’accès à l’information des installations nucléaires iraniennes par l’AIEA, visait à rouvrir une fenêtre de négociation avec Téhéran à l’heure où les négociations pour relancer le JCPOA sont au point mort et que Téhéran et l’Occident s’opposent déjà sur de nombreux dossiers: la livraison de drones à la Russie en Ukraine, le soutien et le financement de proxy dans la région, et la répression violente des contestations populaires à Téhéran …
Depuis 2018 et le retrait unilatéral des Etats-Unis de l’accord du JCPOA censé réguler les activités nucléaires de l’Iran en échange de la levée des sanctions internationales, le programme nucléaire iranien semble avancer doucement, mais sûrement. Tout en niant vouloir se doter de l’arme nucléaire, l’Iran est désormais capable d’enrichir l’uranium à un seuil très proche des 90% nécessaires pour la production d’une bombe nucléaire. Si le régime sautait le pas, il serait donc capable d’obtenir suffisamment d’uranium enrichi pour des usages militaires en très peu de temps. Cependant, l’Iran justifie la présence de cet uranium enrichi par des « fluctuations involontaires » liées au programme d’enrichissement de l’uranium à 60%. Dans une interview donnée sur le canal anglais d’une télévision d’Etat iranienne, Behrouz Kamalvandi a dénoncé une « conspiration ». Selon lui, la présence de particules d’uranium à 83,4% « ne compte pas, ce qui compte c’est le produit final ». « Si nous voulions vraiment enrichir à 20% de plus, nous l’annoncerions très facilement. C’est donc clair que c’est ici une conspiration », a-t-il dit.
Israël-Iran, la guerre de l’ombre
Dans tous les cas, les risques d’une escalade sont bel et bien réels. D’autant plus qu’Israël souffle sur les braises et semble pousser Washington vers une confrontation. En pleine crise interne et dans un climat particulièrement crispé avec les Palestiniens, Tel-Aviv fait digression en attirant l’attention sur la « menace iranienne ».
La progression du programme nucléaire iranien, ajoutée à l’arrivée au pouvoir du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël dans un contexte de tensions multiples, a débouché sur une guerre silencieuse entre les deux pays ennemis, voire à une guerre par procuration sur le terrain ukrainien. L’explosion d’Ispahan, le 8 février, attribuée à des drones israéliens, ciblait directement une usine militaire où sont assemblés les drones Shahed-136 livrés à la Russie et des installations énergétiques.
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