La momification du corps humain dans l’Egypte Ancienne continue de fasciner le monde et de livrer ses secrets autant chimiques que rituels. Une équipe de chercheurs des Universités Louis-et-Maximilien de Munich et Tubingue en Allemagne, et du Centre National des Recherches (CNR) en Egypte, vient de dévoiler des secrets sur la technique de l’embaumement, dans une étude publiée dans la revue scientifique Nature concernant les analyses faites sur les trouvailles d’un atelier d’embaumement découvert à Saqqara (30 km au sud du Caire).
L’histoire remonte à 2018 lorsqu’une mission égypto-allemande de l’Université de Tubingue a découvert un atelier d’embaumement de la XXVIe dynastie dans la nécropole de Saqqara, au sud de la pyramide d’Ounas. « A 13 m de profondeur, on a trouvé une pièce de la XXVIe dynastie qui comportait un système d’aération, un récipient pour brûler de l’encens… Cette chambre devait être stérilisée pour ne pas affecter le processus de momification », explique Maxime Rageot, premier auteur de l’étude. Les chercheurs ont analysé le contenu organique de 31 récipients en céramique récupérés dans l’atelier. Les récipients trouvés ont été étiquetés en fonction de leur contenu ou de leur utilisation ou bien des deux ensemble. « Cela nous a permis de corréler les substances organiques avec leurs noms égyptiens et les pratiques d’embaumement spécifiques pour chaque partie du corps », ajoute Rageot. La plupart des récipients n’ayant plus de substance visible à l’oeil nu, les chercheurs ont dû abraser la céramique pour récupérer la matière qu’ils contenaient. « Des mélanges spécifiques d’huiles parfumées ou antiseptiques, de goudrons et de résines ont été utilisés pour préparer les bandelettes et les organes en rendant leur odeur agréable avant de commencer l’embaumement », expliquent les chercheurs dans l’étude. Ceux-ci ont eu recours aux analyses par chromatographie en phase gazeuse et spectrométrie de masse.
Des analyses philologiques
Selon Ahmad Ibrahim, membre de l’équipe de chercheurs, c’est la première fois que l’on trouve des récipients utilisés dans la momification en bon état et chacun porte le nom de la substance qu’il contient. « Un des défis importants pour comprendre les pratiques d’embaumement égyptiennes a toujours été la traduction des termes liés à la substance », ajoute Ibrahim, expliquant que les inscriptions sur les bols et les béchers mis au jour dans l’atelier de Saqqara renferment des instructions pour le traitement de certaines parties du corps, en particulier la tête, et pour la préparation de bandages en lin. Certains de ces traitements impliquaient la préparation et l’application de plusieurs mélanges. « Des échantillons montrent que les embaumeurs ont utilisé trois mélanges différents, qui peuvent inclure de l’élémi, de la résine de Pistacia, une huile ou du goudron de genévrier et de cèdre, de la graisse animale, de la cire d’abeille, probablement de l’huile de ricin, et une huile végétale. A notre connaissance, l’utilisation d’élémi et d’huile ou de goudron de genévrier pour l’embaumement de la tête n’a pas été documentée avant cela. Cependant, des analyses de résidus organiques antérieures sur des momies du premier millénaire avant notre ère suggèrent, conformément à nos résultats, que l’huile de ricin et la résine de Pistacia étaient utilisées spécifiquement pour le traitement de la tête. De la cire d’abeille, des sous-produits de Pinaceae et de la graisse ou de l’huile ont également été utilisés pour différentes parties du corps », expliquent les chercheurs dans l’étude.
D’autres fragments toujours trouvés dans l’atelier ont fourni des informations sur les substances utilisées pour laver le corps, réduire les odeurs corporelles et adoucir la peau, ainsi qu’une recette pour le traitement du foie et une autre pour l’estomac. Le bol portant l’inscription « laver » contenait des marqueurs d’huile ou de goudron de conifère, et le bol portant l’inscription « pour rendre son odeur agréable » présentait des traces de graisse animale et de résine. Dans le même contexte, les chercheurs ont identifié deux termes inscrits sur des fragments, l’Antiu et le Sefet, qui sont toujours cités dans les sources archéologiques en matière de momification, comme des mélanges de différentes huiles parfumées ou de goudrons et de graisses.
Ces résultats suggèrent que les embaumeurs utilisaient les substances pour leurs propriétés biochimiques spécifiques, car des substances comme la résine de Pistacia, l’élémi, le dammar, les huiles, le bitume et la cire d’abeille ont des propriétés antibactériennes ou antifongiques et odoriférantes, et contribuent ainsi à préserver les tissus humains et à réduire les odeurs désagréables. La graisse animale, l’huile végétale et la cire d’abeille étaient également des ingrédients essentiels dans les recettes de traitement des différentes parties du corps, ainsi que dans les pommades utilisées pour hydrater la peau. Enfin, les propriétés hydrophobes et adhésives des goudrons, des résines, du bitume et de la cire d’abeille étaient utiles pour sceller les pores de la peau, exclure l’humidité et traiter les emballages en lin.
Les chercheurs indiquent dans leur étude que la poudre de poterie collectée des parois internes des récipients trouvés dans l’atelier d’embaumement de Saqqara lors du nettoyage de leurs surfaces a été conservée pour d’éventuelles analyses complémentaires.
Une économie de la momification
L’étude met le point sur l’aspect économique du processus de momification, surtout que la majorité des substances utilisées à l’atelier de Saqqara étaient importées, dont beaucoup provenaient de contrées lointaines. La découverte de Saqqara donne un aperçu des systèmes de commerce et d’échange nécessaires pour gérer une industrie d’embaumement complète.
Bien que les réseaux commerciaux et les échanges interculturels soient bien documentés pour les régions du bassin méditerranéen, l’atelier de Saqqara fournit des preuves supplémentaires des réseaux commerciaux de longue distance via les routes commerciales indo-méditerranéennes, qui semblent avoir existé depuis le 2e millénaire av. J.-C. Cela est particulièrement vrai pour les résines, qui proviennent des forêts tropicales. Les espèces de Canarium, qui produisent de l’élémi, sont réparties dans les forêts tropicales asiatiques et africaines, tandis que les dammars sont récoltés sur des arbres qui poussent exclusivement dans les forêts tropicales asiatiques. Par conséquent, les services d’embaumement et funéraires de l’atelier de Saqqara ont maintenu active la demande de ces biomatériaux provenant de terres lointaines et ont soutenu l’épanouissement des réseaux commerciaux internationaux reliant l’Egypte à la Méditerranée orientale en plus des forêts tropicales asiatiques et peut-être africaines.
En outre, les substances d’embaumement identifiées témoignent de l’existence d’un système de gestion des bioproduits, depuis la récolte, le transport, la transformation et l’application. Par exemple, l’obtention d’huile végétale et de graisse animale nécessite un système d’extraction, et la production de goudron de bois par pyrolyse ou d’huile par la distillation à la vapeur implique un traitement thermique et une gestion contrôlée spécifique de la matière première. De plus, le traitement thermique de substances nécessitait des connaissances spécialisées, des compétences techniques et des outils pour obtenir des baumes aux propriétés souhaitées. « Nos résultats démontrent que les embaumeurs exerçaient bien des activités nécessitant un savoir-faire spécifique et bénéficiaient d’une organisation institutionnelle », reprend Maxime Rageot.
Pour sa part, Salima Ikram, professeure d’archéologie à l’Université américaine du Caire et experte en momification, estime que cette étude est aussi importante qu’intéressante puisqu’elle indique avec précision les substances utilisées dans l’embaumement à travers des analyses chimiques. « L’étude nous montre aussi où exactement dans le corps on met chaque substance, et nous donne des informations intéressantes sur le système économique, voire commercial lié au rite de l’embaumement », souligne Ikram. Et d’ajouter: « Bien que ces analyses aient permis d’identifier avec succès diverses substances utilisées dans l’embaumement et leurs utilisations, la procédure globale de la momification reste jusqu’à présent imprécise ». Elle estime que cette étude concernant la pratique de l’embaumement dans l’Egypte Ancienne doit se poursuivre dans d’autres régions en Egypte et à travers les différentes époques de l’histoire de l’Egypte Ancienne, surtout que cette pratique a évolué à travers le temps pour atteindre son apogée pendant la XXIe dynastie. « Cette étude remodèle notre connaissance et notre compréhension de la momification dans l’Egypte Ancienne et met en relief le génie des Anciens Egyptiens qui ont développé une capacité exceptionnelle à protéger le corps humain de la décomposition et de la destruction après la mort, motivée par la croyance en la résurrection et l’éternité », conclut Ikram.
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