Al-Ahram Hebdo : Après l’attaque de drones contre une installation militaire iranienne dans la ville d’Ispahan, pensez-vous que le conflit entre l’Iran et Israël soit entré dans une nouvelle phase ?
Ali Atef : Evidemment. L’attaque israélienne contre des installations militaires dans la ville d’Ispahan, dans le centre de l’Iran, ouvre inévitablement un nouveau chapitre du conflit irano-israélien. L’attaque a été principalement menée contre une usine militaire spécialisée dans la production de drones du type « Shahed-136 » que l’Iran a fournis à la Russie pour les utiliser dans sa guerre contre l’Ukraine. En fait, l’Iran soutient la Russie, alors qu’Israël appuie l’Ukraine. L’implication iranienne dans ce conflit pourrait être la cause principale derrière ces frappes. Plusieurs rapports internationaux ont parlé d’un soutien israélien en matière de sécurité ou de renseignement à Kiev, tandis que le nouveau premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a déclaré il y a quelques jours qu’il étudiait l’envoi d’armes à l’Ukraine. En fait, la frappe contre l’Iran porte des empreintes ukrainiennes, après que Mikhailo Podolyak, conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelenski, a déclaré, quelques heures après avoir annoncé l’attaque contre l’installation d’Ispahan, que « cibler des sites à Ispahan est directement lié à la guerre dans notre pays ». Il a ajouté : « Nous vous avons prévenus, et la logique de la guerre est impitoyable ». Cela prouve donc que le ciblage de l’installation iranienne est directement lié à la guerre et aux enchevêtrements des acteurs régionaux et internationaux.
— L’attaque israélienne traduit l’adoption d’une nouvelle doctrine dite de « la pieuvre ». Qu’en est-il ?
— L’attaque israélienne constitue effectivement un changement et marque un nouveau chapitre dans le conflit irano-israélien. Car nous sommes habitués à voir les opérations israéliennes en Iran cibler des scientifiques, des chefs militaires ou des systèmes électroniques. Mais l’attentat d’Ispahan signifie que le nouveau gouvernement israélien est revenu une fois de plus à la « doctrine de la pieuvre », c’est-à-dire frapper la tête de l’adversaire et non ses bras, contrairement à des gouvernements israéliens précédents qui avaient ciblé des groupes pro-iraniens dans la région ou à l’extérieur, mais pas à l’intérieur de l’Iran.
— La division interne en Israël après la montée de Benyamin Netanyahu au pouvoir peut-elle affaiblir sa position envers l’Iran ?
— Il est établi qu’indépendamment de la nature du gouvernement en Israël, l’hostilité de ce dernier envers l’Iran ne change pas. Tout comme la nécessité de contrer le danger iranien. Pour les différents gouvernements israéliens, l’Iran est une menace existentielle pour l’Etat hébreu. La différence entre eux réside dans la façon d’utiliser la technique de la pieuvre. Par exemple, nous constatons que le dernier gouvernement de Naftali Bennett et de Yair Lapid ne s’est pas beaucoup concentré sur la « doctrine de la pieuvre », alors que les différents gouvernements de Benyamin Netanyahu considéraient cette méthode comme le pilier qui régit les relations avec l’Iran. Cette tendance s’est reflétée dans l’opération qui a ciblé l’éminent scientifique nucléaire iranien Mohsen Fakhrizadeh en novembre 2020.
— Quelles sont les conséquences de l’attaque d’Ispahan sur les relations russo-israéliennes, notamment dans le dossier syrien ?
— Moscou a condamné l’opération et le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré que les services de sécurité russes tentent de dresser un tableau complet des scénarios possibles en analysant les informations disponibles sur l’attaque. Dans tous les cas, l’escalade d’Israël, ou des Etats-Unis, avec l’Iran en ce moment peut augmenter le niveau de tension dans les relations russo-israéliennes et peut pousser les Russes à soutenir leur allié iranien face à l’Occident et Israël. Ce qui pourrait élargir le cercle de la guerre russo-ukrainienne. Je crois que les Etats-Unis sont conscients de ce scénario, qui les oblige à recourir à d’autres méthodes pour contenir la situation. Et c’est pourquoi la Maison Blanche a immédiatement démenti toute implication dans la frappe en Iran.
— Comment voyez-vous la position des pays européens qui s’apprêtent à classer les Gardiens de la Révolution iraniens comme organisation terroriste ?
— Les tensions entre l’Iran et l’Occident ont atteint leur plus haut niveau depuis des décennies. La participation iranienne dans la guerre russo-ukrainienne était parmi les motifs de l’intention de l’Union européenne de désigner les Gardiens de la Révolution comme organisation terroriste. Ce qui a élevé le niveau de tensions, notamment après la suspension des négociations nucléaires en août dernier malgré la formulation d’un « définitif » de l’accord.
— Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a réitéré, au cours de sa dernière tournée dans la région, que son pays ne permettrait jamais à l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire. Pensez-vous que Washington soutienne le recours à l’option militaire contre l’Iran ?
— Il semble que la politique de l’Administration du président Joe Biden envers l’Iran diffère de la vision du gouvernement de Benyamin Netanyahu. Elle n’est pas favorable à l’option militaire contre l’Iran pour le moment en raison de ses multiples répercussions sur la sécurité de la région. Les déclarations américaines niant le rôle de Washington dans l’attaque d’Ispahan ont révélé cette position. Car il semble que l’Administration veut garder un canal de dialogue avec l’Iran, afin de pouvoir freiner son programme nucléaire.
— L’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) a annoncé que l’Iran avait modifié de façon substantielle la configuration de ses centrifugeuses dans son site souterrain de Fordow sans l’en informer. Pensez-vous que la suspension des négociations soit dans l’intérêt de l’Iran pour faire avancer son programme nucléaire ?
— Bien sûr que l’Iran profitera autant que possible de l’arrêt des négociations pour avancer dans son programme nucléaire grâce auquel il peut bénéficier de privilèges majeurs lors de la reprise des négociations avec l’Occident. Cependant, il convient de noter que la patience des pays occidentaux à l’égard des activités nucléaires iraniennes en période de suspension des négociations a des limites, car ils ne resteront pas les bras croisés en voyant l’Iran se transformer en puissance nucléaire.
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