Les manifestations se multiplient dans les quatre coins de l’Iran.
A Téhéran, et partout dans les villes iraniennes, la grogne gagne du terrain. Les contestations populaires se poursuivent sans relâche depuis septembre dernier. Bilan : au moins 520 manifestants tués, dont 70 enfants, alors que des milliers de personnes ont été arrêtées. « A bas la République islamique », le slogan des manifestants iraniens n’a pas changé depuis le début du mouvement, mais se renforce d’un jour à l’autre en raison de la crise économique qui frappe de plein fouet le pays. Selon Dr Mohamed Shadi, économiste auprès du Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS), les protestations sont alimentées par plusieurs facteurs : répression, restrictions des libertés et crise économique. Quelles répercussions sur la situation interne en Iran ?
Ahmed Sayed Ahmed, expert en relations internationales au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, pense que le mouvement de contestation a dévoilé la faiblesse du régime iranien et le grand fossé qui sépare le régime des nouvelles générations qui n’adoptent pas les slogans de la Révolution islamique. La mort d’une jeune Iranienne en détention, Mahsa Amini, a poussé les Européens à adopter une position sévère vis-à-vis de Téhéran. Le Parlement européen a voté, le 18 janvier 2023, une résolution prévoyant l’inclusion des Gardiens de la Révolution sur la liste des organisations terroristes établie par l’Union européenne, compte tenu de leur rôle dans la répression des manifestations et leur participation à la guerre en Ukraine. Créée en 1979 après la Révolution iranienne, cette organisation paramilitaire a ses propres forces terrestres, maritimes et aériennes. Elle gère les programmes de missiles et le programme nucléaire de l’Iran. Elle a également construit un immense empire commercial et possède des entreprises dans des secteurs comme la défense, l’ingénierie et la construction. Elle assure la sécurité intérieure en Iran par le biais des forces Basij. Et à l’extérieur par le biais de la Force Al-Qods. Elle fournit armes, argent et formation aux groupes armés au Moyen-Orient, notamment le Hezbollah au Liban, les milices chiites en Iraq et les forces pro-gouvernementales syriennes. Les Gardiens de la Révolution représentent 60 % de l’économie iranienne. « Les Gardiens possèdent une grande partie des entreprises ; par conséquent, les sanctions européennes affecteront négativement la position de l’Iran en réduisant le soutien qui leur est accordé, mais sans pour autant affaiblir le régime iranien lui-même », souligne Sayed Ahmed. Quant à Mohamed Shadi, il ne croit pas que ces sanctions affectent l’économie des Gardiens de la Révolution, puisque, « au contraire, plus les sanctions augmentent, plus les Gardiens de la Révolution seront poussés à faire du commerce d’armes, de drogue, du trafic d’êtres humains et d’autres activités illégales. Les sanctions profitent à l’Iran et lui donnent une légitimité ».
Répercussions économiques
Selon un rapport publié par le ministère iranien du Travail et du Bien-être social, le seuil de pauvreté a augmenté de 50 % en 2021 par rapport à 2020, alors que l’inflation annuelle a dépassé les 30 % pour la 4e année consécutive. La valeur de la monnaie nationale iranienne est tombée fin janvier dernier à son plus bas niveau par rapport au dollar. Le rial a ainsi perdu 29 % de sa valeur depuis le début des contestations. Malgré des rapports faisant état de la crise qui frappe l’économie iranienne, le président iranien, Ebrahim Raïssi, continue de faire des promesses aux citoyens concernant l’ouverture économique et l’amélioration des conditions de vie. Raïssi a décrit les rapports sur la crise économique en Iran comme étant « une propagande ennemie ».
« Les sanctions économiques imposées à Téhéran ont accentué la détérioration de la situation économique. Cela se voit dans les taux de chômage élevés, la baisse et le déclin de la monnaie iranienne et l’augmentation de la pauvreté et de la marginalisation, ce qui s’est reflété dans des protestations dues au manque d’eau potable, d’électricité, de services de base et au coût élevé de la vie. Seul le peuple iranien a été touché, et non le régime qui détient toujours les richesses du peuple », affirme Sayed Ahmed. Pourquoi le régime iranien n’a-t-il pas été touché ? Shadi répond : « L’Iran a toujours la capacité de s’adapter ou d’échapper aux sanctions. Par conséquent, toute nouvelle sanction n’affectera pas le régime iranien, mais pourrait ralentir ses objectifs. En outre, l’Iran insiste sur son projet nucléaire non pour se disposer d’une énergie nucléaire pacifique, comme il le prétend, mais pour l’utiliser comme une carte de pression sur les Etats-Unis et l’Occident », conclut-il.
L’histoire des manifestations
L’Iran connaît depuis plusieurs années de nombreuses manifestations. En 2016, des contestations anti-Rohani ont éclaté à l’occasion de la commémoration de Cyrus, le Grand fondateur de l’empire perse au Ve siècle. En 2018-2019, des grèves générales ont frappé le pays pour protester contre l’augmentation du prix du carburant annoncée par les autorités iraniennes. Cette décision intervient dans un contexte économique et social très dégradé, notamment la crise économique profonde depuis le retour des sanctions américaines en 2019. En janvier 2020, les mensonges des autorités iraniennes au sujet du crash du vol 752 Ukraine International Airlines ont déclenché une nouvelle vague de manifestations anti-régime mobilisant essentiellement le milieu étudiant.
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