Située au coeur de l’Iran, la ville d’Ispahan, ancienne capitale de l’Empire perse connue pour ses beaux tapis au filigrane d’argent, est aujourd’hui sous les projecteurs. Dans les premières heures de la matinée du samedi 29 janvier, trois micro-drones ont attaqué un complexe militaire dans la rue de l’Imam Khomeiny au centre de la ville. L’explosion d’Ispahan n’était pas le seul incident à secouer l’Iran ce jour-ci. Une raffinerie de pétrole à Tabriz a été victime d’un énorme incendie. Qui est responsable de ces attaques ? Bien que les drones aient décollé de l’intérieur de l’Iran, tous les doigts pointent Israël. Téhéran et Tel-Aviv sont engagés depuis des années dans une guerre de l’ombre à multiples facettes et sur plusieurs fronts : air, terre, mer et parfois par procuration. Après cette attaque, la première sous le nouveau gouvernement israélien d’extrême droite dirigé par Benyamin Netanyahu, la guerre de l’ombre devient de plus en plus visible. Des interrogations se posent : Pourquoi Ispahan précisément était-elle visée ? Comment l’Iran va-t-il réagir ? Dans quelle mesure l’option militaire contre Téhéran est-elle devenue possible ?
Un contexte tendu
Le complexe militaire attaqué d’Ispahan est un centre de production de missiles, notamment de type « Shahab », capable d’atteindre Israël. La ville abrite également des installations nucléaires comme le célèbre réacteur de Natanz. Selon Shady Mohsen, expert des affaires régionales au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS), l’explosion d’Ispahan est survenue dans « un contexte de haute tension » : soutien militaire iranien à la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine, poursuite des contestations populaires contre le régime iranien depuis septembre dernier et négociations sur le nucléaire iranien au point mort. L’AIEA vient d’accuser cette semaine Téhéran « d’avoir modifié de façon substantielle, sans l’en informer, la configuration de ses centrifugeuses dans son site souterrain de Fordow, où peut être produit de l’uranium enrichi à 60 % ». Le « partenariat militaire » entre Russie et Iran inquiète également l’Occident. Le Parlement européen a voté le mois dernier à une écrasante majorité la décision d’inclure les Gardiens de la Révolution sur la liste des organisations terroristes. De son côté, Téhéran a menacé d’inscrire en représailles les armées européennes déployées dans la région sur la liste iranienne des organisations terroristes. Selon des analystes, l’escalade de la tension entre l’Iran et l’Occident marque la fin des négociations sur le nucléaire iranien et pourrait menacer la stabilité de la région déjà sous tension. Quelques jours avant l’explosion d’Ispahan, des manoeuvres militaires de grande ampleur avaient été menées par l’Iran et Israël. Le 30 décembre 2022, avant la fin de l’année dernière, l’Iran avait lancé une manoeuvre militaire terrestre et maritime, baptisée « Zolfaghar 1401 », près du détroit d’Hormuz. Selon Mohsen, le but de cet exercice était de mettre en garde l’Azerbaïdjan et le Kurdistan iraqien contre le fait d’accorder à Israël leurs aéroports militaires pour frapper l’Iran. Les manoeuvres iraniennes ont été précédées d’une manoeuvre aérienne conjointe américano-israélienne, le 29 novembre 2022, pour simuler une attaque contre des installations nucléaires iraniennes. « C’était la première fois que les Etats-Unis évoquaient explicitement la possibilité de lancer une attaque conjointe américano-israélienne contre les installations nucléaires iraniennes », explique Mohsen. Le 23 janvier 2023, Israël et les Etats-Unis ont lancé « Juniper Oak 2023 », le plus grand exercice conjoint jamais organisé entre les deux pays impliquant 140 avions et 12 navires de guerre. Objectif : envoyer un message à Téhéran que la guerre en Ukraine ne peut pas détourner l’attention de Washington du Moyen-Orient.
Une nouvelle équation
Selon beaucoup d’observateurs, l’implication de l’Iran dans la guerre en Ukraine aux côtés de la Russie pourrait être la cause principale derrière ces frappes. « L’attaque israélienne contre des installations militaires dans la ville d’Ispahan ouvre inévitablement un nouveau chapitre du conflit irano-israélien. L’attaque a été principalement menée contre une usine militaire spécialisée dans la production de drones du type Shahed-136 que l’Iran a fournis à la Russie pour les utiliser dans sa guerre contre l’Ukraine. En fait, l’Iran soutient la Russie, alors qu’Israël appuie l’Ukraine. Le nouveau premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a déclaré il y a quelques jours qu’il étudiait l’envoi d’armes à l’Ukraine », explique Ali Atef, spécialiste des affaires iraniennes à l’ECSS. Et d’ajouter : « Le ciblage de l’installation iranienne est directement lié à la guerre ». Avis partagé par Mohsen, qui souligne que « l’attaque d’Ispahan n’était pas nouvelle, car l’Iran avait déjà été victime d’attaques similaires et peut-être plus puissantes, visant ses institutions militaires et nucléaires, ainsi que ses scientifiques et chefs militaires. Cependant, ce qui est nouveau cette fois-ci, c’est l’implication de nombreuses puissances, telles que la Russie et l’Ukraine, ainsi que les Etats-Unis, dans la controverse, qui a accompagné le récent attentat, sur l’identité du responsable de l’attaque ». Après l’attaque d’Ispahan, la guerre en Ukraine va-t-elle s’étendre dans la région ? s’interroge Mohamed Abbas, expert de l’Iran, dans son étude publiée au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. L’analyste pense que « la Russie pourrait être la cible principale de l’attaque et non pas l’Iran. En d’autres termes, l’attaque peut être un prélude à une guerre par procuration avec la Russie, en dirigeant des frappes militaires contre l’Iran pour augmenter le coût du soutien militaire qu’il fournit à la Russie en Ukraine. Ce qui signifie que la guerre en Ukraine peut s’étendre à d’autres régions en dehors de l’Europe elle-même. La région qui se propose dans ce contexte sera sans aucun doute le Moyen-Orient ». Et de conclure : « L’émergence d’une nouvelle guerre par procuration dans la région devient de plus en plus probable. Une guerre dont les principaux protagonistes seraient les deux puissances mondiales, les Etats-Unis et la Russie, alors que ses principaux agents seront deux puissances régionales, Israël et l’Iran. En bref, l’Ukraine ne sera probablement pas la seule arène de guerre dans la région ».
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