Les laboratoires américains Moderna et Merck ont annoncé la semaine dernière des résultats préliminaires positifs pour leur vaccin à ARN messager (ARNm) en cours de développement contre le cancer de la peau, lorsque pris en combinaison avec un anticancéreux. Lors d’un essai sur des personnes atteintes d’un mélanome, la prise du vaccin en même temps que le médicament anticancéreux Keytruda a permis de réduire de 44% le risque de réapparition du cancer ou de décès, comparé aux personnes uniquement traitées avec l’anticancéreux.
Ces résultats ont été considérés comme une « amélioration statistiquement et cliniquement significative », par les laboratoires concernés. « C’est un énorme pas en avant dans l’immunothérapie », a déclaré Eliav Barr, directeur médical de Merck, le laboratoire allemand qui est à l’origine du médicament Keytruda, immunothérapie efficace dans le traitement du mélanome.
Paul Burton, médecin en chef de Moderna, a déclaré, de son côté, que la combinaison des deux traitements avait « la capacité de constituer un nouveau paradigme dans le traitement du cancer ».
L’étude en question a porté sur 157 patients atteints d’un mélanome de stade III/IV dont les tumeurs ont été enlevées chirurgicalement avant d’être traitées soit par la combinaison médicament-vaccin, soit par Keytruda seul dans le but de retarder la récidive de la maladie.
L’association des deux traitements était globalement sûre et a démontré, au bout d’un an de traitement, ses bénéfices par rapport au Keytruda seul. Des effets indésirables graves sont survenus chez 14,4% des patients ayant reçu les deux traitements contre 10 % avec Keytruda seul.
Environ 325000 nouveaux cas de mélanome ont été diagnostiqués en 2020 dans le monde. Les deux entreprises américaines Moderna et Merck, connues sous le nom de MSD hors d’Amérique du Nord, avaient annoncé en octobre dernier avoir conclu un accord pour développer et commercialiser ensemble ce vaccin contre le cancer de la peau. Elles prévoient de lancer en 2023 des essais dits de phase 3, soit sur un nombre bien plus important de patients.
« Pour la première fois, nous avons démontré, au cours d’un essai clinique randomisé, le potentiel de l’ARNm à avoir un impact sur le mélanome », a déclaré dans un communiqué Stéphane Bancel, le patron de Moderna.
La technologie de l’ARNm s’est révélée cruciale dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. Cette technologie est considérée comme prometteuse dans la lutte contre de nombreuses autres maladies.
Comme pour le vaccin anti-Covid, le projet de vaccin ARNm contre le cancer fonctionnerait via l’envoi d’un code d’instruction génétique à une cellule pour que celle-ci produise un antigène ou une protéine. L’ARNm pouvait ainsi être modifié de manière à ce que le système immunitaire s’attaque aux cellules cancéreuses plutôt qu’au coronavirus. Au lieu de viser la protéine Spike du SARS-CoV-2 (virus à l’origine du Covid-19), ce nouveau vaccin viserait un marqueur à la surface des cellules tumorales.
Un vaccin « personnalisé »
Le vaccin développé contre le mélanome est conçu et produit à partir de la signature mutationnelle unique identifiée sur la tumeur du patient, explique Stéphane Bancel, PDG de Moderna.
Pour préparer le vaccin, les chercheurs ont prélevé des échantillons de tumeurs et de tissus sains sur les patients. Après l’analyse des échantillons pour décoder leur séquence génétique et isoler les protéines mutantes associées au cancer, ces informations sont ensuite utilisées pour concevoir un vaccin sur mesure.
Lorsqu’il est injecté à un patient, le vaccin agit comme une usine de fabrication, produisant des copies parfaites des mutations que le système immunitaire doit reconnaître et détruire. Ce processus de préparation prend environ huit semaines, un délai que la société Moderna espère réduire de moitié.
Les experts estiment que les vaccins personnalisés sont une piste prometteuse contre le cancer. « Je pense que les vaccins contre le cancer se trouvent en quelque sorte à un tournant, et il y aura probablement beaucoup de vaccins anti-cancer au cours des cinq prochaines années », a déclaré Dr Mary Lenora Disis, directrice de l’UW Medicine Cancer Vaccine Institute à Seattle. « Si la pandémie de Covid-19 a démontré la rapidité, la facilité et la sécurité des vaccins à ARNm, cela a été le résultat d’années de recherche sur les vaccins contre le cancer », a-t-elle ajouté.
Un domaine prometteur
Les médecins espèrent que des travaux comme celui-ci pourraient conduire à de nouveaux traitements contre d’autres cancers, tels que les cancers de l’intestin, du poumon, de la vessie et certains types de cancer du sein.
Plusieurs laboratoires travaillent déjà sur cette même approche. Le plus important est BioNTech qui a mis au point le vaccin Pfizer contre le Covid-19. Il a abordé la possibilité d’un vaccin contre le cancer d’ici à la fin de la décennie. Il pourrait lui aussi s’appuyer sur la technologie de l’ARNm.
Le couple de scientifiques à l’origine du vaccin Pfizer-BioNTech contre le Covid-19, Ugur Sahin et Özlem Türeci, explique que ses travaux sur l’ARNm, qui ont permis de mettre au point leur vaccin dans le cadre de la pandémie, lui a donné des pistes pour continuer la recherche contre le cancer.
« Ce que nous avons développé pendant des décennies pour la mise au point de vaccins contre le cancer a été le moteur de la mise au point du vaccin Covid-19, et maintenant le vaccin Covid-19 et l’expérience que nous avons acquise lors de sa mise au point rendent service à notre travail sur le cancer », explique Özlem Türeci.
La société BioNTech a en cours plusieurs essais de vaccins contre le cancer, dont un avec le Memorial Sloan Kettering Cancer Center à New York, testant un vaccin personnalisé en combinaison avec le Tecentriq de Roche chez des patients atteints d’un cancer du pancréas.
Tempérer les attentes
Mais les chercheurs savent que le chemin est long et se gardent de nourrir des espoirs irréalistes. « Je ne pense pas que nous pourrons débarrasser le monde du cancer, mais je pense que nous pourrons prévenir beaucoup de cancers, nous aurons des traitements très efficaces », prévoit le docteur Zachary Hartman, professeur adjoint de la Duke University School of Medicine, qui mène des recherches sur des vaccins anti-cancer basés sur la même technologie d’ARNm.
« Il est peu probable qu’il y ait un seul remède contre le cancer et nous devons nous concentrer sur les moyens d’adapter le traitement aux patients. Ces résultats sont des motifs d’optimisme que la science qui nous a aidés à sortir de la pandémie pourrait ajouter à l’avenir une autre option de traitement puissant contre le cancer », ajoute à son tour Dr Sam Godfrey de Cancer Research UK.
Lien court: