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Quelle issue à la crise libanaise ?

Mercredi, 30 novembre 2022

Il est difficile de prédire avec précision l’issue de la crise libanaise. Alors qu’elle était au départ une crise économique et financière, elle s’est rapidement transformée en une crise politique. Le parlement libanais a échoué à plusieurs reprises à élire un nouveau président, et n’a pas réussi non plus à former un nouveau gouvernement après les élections législatives de mai 2022. Bien plus, la crise s’est transformée en crise constitutionnelle, puisque le poste du président est vacant en l’absence d’un consensus sur le transfert de ses pouvoirs au gouvernement intérimaire. Par conséquent, l’évolution des événements au Liban dépend de plusieurs facteurs. Premièrement, la solidité ou la fragilité des alliances existantes. L’état actuel des alliances a entraîné une sorte de gel politique. Une percée politique repose donc essentiellement sur le changement de la configuration des alliances, que ce soit par la rupture ou la formation de nouveaux liens. Il est ainsi possible de rompre l’alliance entre le mouvement Amal et le Courant Patriotique Libre (CPL) à travers leur allié commun, le Hezbollah. Cette alliance non désirée par les deux parties existe depuis 2006 sous l’égide du Hezbollah afin de former un front intérieur qui soutient la résistance. Elle s’est exceptionnellement manifestée lors des négociations sur la démarcation des frontières maritimes avec Israël à travers la médiation américaine, jusqu’à la signature effective de l’accord le 27 octobre dernier.

Cependant, cette alliance ne s’est pas traduite de manière fructueuse sur le plan intérieur, car le CPL prône la liberté de la justice d’enquêter sur l’explosion du port de Beyrouth, mais le mouvement Amal, dirigé par Nabih Berri, ne partage pas cet avis, notamment que l’un de ses anciens ministres a été interpellé plus d’une fois au cours des deux dernières années. En revanche, le CPL veut désigner son président, Gebran Bassil, à la présidence, mais Nabih Berri penche plutôt pour Suleiman Frangié.

C’est là que réside la problématique du Hezbollah pour réconcilier ses deux alliés, Berri et Bassil. Le Hezbollah a besoin du mouvement Amal pour renforcer l’alliance chiite-chiite et garantir le monopole de la représentation chiite au profit de la résistance face à Israël. D’un autre côté, il a besoin d’un large soutien chrétien, tel que celui offert par le CPL, pour faire face à toute éventuelle réclamation de désarmement du Hezbollah, en particulier après la conclusion de l’accord de démarcation des frontières maritimes avec Israël et l’établissement d’un certain état de calme sur les frontières sud, éliminant ainsi le besoin de cette arme en dehors du cadre de l’Etat libanais.

En revanche, il semble que de nouvelles alliances sont sur le point de se nouer au sein du parlement. Lors des quatre tours de scrutin pour élire le président de la République (29 septembre, 13 octobre, 20 octobre, 24 octobre), certains blocs voulaient renforcer leur poids électoral. Le bloc qui soutenait Michel Moawad avec environ 36 voix s’est rapidement élargi à 42 voix, puis est retombé à 39 voix. Quant au bloc des proches du Hezbollah, il a représenté 63 voix. Il s’est réduit ensuite à 55 puis à 50 voix. Il est donc probable que ces 2 blocs fusionnent ensemble ou du moins s’accordent sur quelques points communs, notamment à la présidentielle, et attirent quelques voix d’autres blocs. Si ces deux blocs parviennent à réaliser cette fusion, le rapport de forces actuel entre les blocs changera et, par conséquent, isolera une composante des autres blocs.

Deuxièmement, il faut prendre en considération le facteur de détérioration ou de stabilité de la sécurité. On s’attend à ce que la Banque du Liban adopte un taux de change unifié afin de mettre fin au chaos des taux de change différents. Dans ce cas, les petits épargnants assumeront les pertes du système bancaire. Ce qui peut soulever des protestations populaires qui appelleront au renversement de l’élite politique et économique et à une réforme radicale du système libanais, comme ce fut le cas en 2019.

Dans ce contexte, les députés en faveur du changement gagneront un pouvoir exceptionnel pouvant dépasser leur taille au sein du parlement, qui ne dépasse pas 10 %, et deviendront plus aptes à négocier avec les blocs représentatifs de la classe politique traditionnelle, afin de modifier certaines règles et caractéristiques du système existant. Mais si les protestations prennent un caractère sectaire plutôt que civil, alors la classe politique traditionnelle à représentation sectaire aura une plus grande capacité à contrôler la scène puis à dicter ses conditions sur les moyens de sortir de la crise et éventuellement sur le changement du gouvernement. Dans ce contexte, deux options se présentent. Soit l’organisation d’une conférence constituante similaire à l’Accord de Doha de 2008, pour nommer le président, le premier ministre et le gouverneur de la Banque du Liban, ainsi que pour formuler certaines lois pivots, soit la conclusion d’un accord constitutif similaire à celui de Taëf en modifiant certaines de ses dispositions ou activant certains points négligés.

En conclusion, malgré la multiplicité des facteurs affectant les sorties de crise, le facteur le plus important est celui de la sécurité malgré la détérioration attendue des conditions économiques avec la dévaluation officielle de la monnaie et l’ambiguïté de la situation politique. La détérioration de la situation sécuritaire peut accélérer l’adoption des mesures nécessaires pour sauver le Liban, attirer l’attention internationale sur sa conjoncture et mobiliser toutes les forces d’appui, tant au niveau régional qu’international. En revanche, garder la situation sécuritaire sous contrôle est synonyme du prolongement du vide politique jusqu’à ce que les partis politiques se mettent d’accord sur une issue appropriée à la crise en élisant un président et en formant un gouvernement. Dans ce contexte, l’impact de la détérioration de la sécurité sur l’influence des différentes forces politiques varie, car les affrontements sectaires peuvent accroître l’influence des forces sectaires et les protestations populaires peuvent accroître l’influence des forces du changement et des modérés. D’autre part, toute détérioration de la sécuritaire frontalière ou toute menace du nouveau gouvernement israélien à l’accord de démarcation des frontières peut augmenter les chances du Hezbollah d’influencer la résolution de la crise. Cela pourrait alors renforcer sa position à travers ses alliances et en mettant l’accent sur les préférences de son principal allié, le CPL, qui aura alors plus de chances d’accéder à la présidence.

Par contre, si la situation sécuritaire est stable à la frontière et à l’intérieur et que le Hezbollah ne ressent pas de menaces imminentes, il sera plus flexible pour écouter toutes les parties et pour accepter certaines solutions qui ne correspondent pas nécessairement à sa ligne politique. En d’autres termes, il est impossible que le Hezbollah accepte des candidats de l’opposition. Cependant, il peut accepter des candidats du bloc du changement ou des modérés à la présidence et au poste de premier ministre à condition que la situation sécuritaire reste calme et qu’il ne ressente aucune menace directe pour son influence interne et régionale.

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