En présence de 31 chefs d’Etat et de gouvernement, le XVIIIe Sommet de la Francophonie, reporté à deux fois, a finalement eu lieu les 19 et 20 novembre à l’île de Djerba en Tunisie. Objectifs: établir des stratégies de développement de la langue française mais aussi des Etats membres, renforcer la présence du français sur Internet et dans les organisations internationales, investir et améliorer l’éducation en français sur le continent africain, et renforcer la « Francophonie économique ». « Nous sommes en route vers une Francophonie de l’avenir, modernisée, beaucoup plus pertinente », a annoncé la secrétaire générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), la Rwandaise Louise Mushikiwabo, lors d’une conférence de presse en clôture du sommet.
Pour parvenir aux objectifs de l’OIF, des formations pour 250000 jeunes sont notamment prévues, des encouragements aux PME et des missions francophones comme celles qui ont emmené 200 opérateurs économiques en Asie du Sud-Est, au Vietnam et Cambodge, deux pays membres de l’OIF, au Rwanda ou au Gabon. Pour l’entrepreneuriat féminin, autre thématique du sommet, la cheffe de l’OIF a appelé les Etats membres à financer davantage les projets du fonds « La Francophonie avec elles ».
Pour sa part, le président tunisien, Kais Saïed, hôte du sommet, s’est dit convaincu que l’espace francophone saura « transformer nos engagements en actions solidaires et réalisations concrètes qui seront à la hauteur de nos peuples, en particulier nos femmes et nos jeunes ».
Un sommet trop politisé ?
Cependant, le sommet n’a pas pu échapper à quelques tensions politiques entre certains pays. La crise qui oppose la RDC au Rwanda a pesé sur la rencontre. Le premier ministre congolais, Sama Lukonde, a boycotté la photo officielle, afin, selon lui, d’attirer l’attention sur cette crise sécuritaire. « Pour toutes ces personnes, ce drame humanitaire que nous vivons à cause de l’insécurité, nous avions besoin de cette attention, de cette solidarité, au niveau de la Francophonie », a estimé Lukonde. L’absence du président congolais, Félix Tshisekedi, alors que la RDC est pourtant le plus grand pays de la Francophonie est aussi un message clair. Un membre de la délégation congolaise a aussi mis à dure épreuve la neutralité de la cheffe de l’OIF, rwandaise, en l’accusant, au micro de RFI, de prendre « fait et cause pour le Rwanda », ce qui, selon lui, « donne une indication que l’organisation qu’elle dirige ne peut véritablement jouer un rôle dans la résolution de la crise ».
Ces propos font référence à une interview que la secrétaire générale a accordée à TV5, au premier jour du sommet, où elle a annoncé qu’il y a « des éléments en RDC, juste à la frontière du Rwanda, qui sont une menace pour la sécurité du Rwanda ».
Face aux soupçons de parti pris, la porte-parole de la secrétaire générale, Oria Vande Weghe, a déclaré: « Oui, Louise Mushikiwabo a été ministre des Affaires étrangères de son pays, mais aujourd’hui, elle ne l’est plus. Elle représente 88 Etats et gouvernements. C’est certes délicat à gérer, mais c’est la réalité du multilatéralisme ».
Malheureusement, ce sommet n’a pas pu vraiment permis d’apaiser les tensions entre le Rwanda et la République démocratique du Congo. Pourtant, la RDC doit d’ailleurs accueillir, en 2023, les prochains Jeux de la Francophonie. Mais sur ce point, la délégation congolaise s’est voulue plutôt rassurante. Autre signe de rupture avec certains pays membres de l’OIF se voyait avec l’absence du Mali, de la Guinée et du Burkina-Faso qui n’ont pas été conviés à l’événement à cause des coups d’Etat militaires qui y ont eu lieu. Les tensions ont touché aussi le président du pays hôte du sommet, Kais Saïed, et le premier ministre canadien, Justin Trudeau. Lors de la traditionnelle photo de famille, les deux dirigeants, visiblement en froid, ont tout fait pour ne pas se retrouver face à face et se serrer la main.
Malgré ses indifférents, Leila Slimani, représentante spéciale d’Emmanuel Macron, trouve que le sommet a donné « un souffle nouveau » à la Francophonie, espace de 321 millions de locuteurs appelés à doubler d’ici 2050, grâce à la démographie africaine. La Francophonie doit, selon elle, « se positionner plus fermement en faveur du multilatéralisme » et « s’emparer des nouveaux enjeux globaux », que ce soit le climat ou les crises politiques.
Rendez-vous donné dans deux ans au prochain sommet qui se tiendra en France pour la première fois depuis plus de 30 ans, au château de Villers-Cotterêts, siège de la future Cité internationale de la langue française comme l’a annoncé le président français.
Louise Mushikiwabo toujours à la tête de l’OIF
En clôture du Sommet de Djerba, la secrétaire générale de l’OIF, Louise Mushikiwabo, a été à l’unanimité réélue à son poste. Seule candidate en lice pour le poste de secrétaire générale, la Rwandaise Louise Mushikiwabo, ancienne ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Communauté de l’Afrique de l’Est de la République du Rwanda, a pris la tête de l’OIF en 2019, après avoir été élue lors du Sommet de 2018, à Erevan. Un an et demi plus tard, le monde se retrouve confronté à la pandémie de Covid-19. « Ces quatre ans n’ont pas été faciles », a-t-elle reconnu, interrogée sur le plateau d’Internationales sur TV5MONDE. Elle voit cependant cette période comme « un moment qui a permis à l’OIF d’avancer » et d’effectuer des transformations, « surtout en interne ». Concernant la période à venir, la présidente de l’OIF a fait la promesse de s’atteler à la mise en oeuvre des décisions prises à Djerba, signe de la Francophonie de l’avenir. « Nous sommes en route vers une Francophonie de l’avenir modernisée, beaucoup plus pertinente », a-t-elle dit. Dans un autre sillage, Mushikiwabo, qui aime se décrire comme citoyenne du monde, profondément africaine, a évoqué les grandes lignes du programme de l’OIF durant le prochain quadriennal, précisant que l’organisation oeuvrera en premier lieu à renforcer la présence de la langue française sur la toile en apportant plus de découvrabilité aux contenus numériques en français. Elle a ajouté que durant son prochain mandat, l’industrie culturelle francophone sera priorisée, compte tenu de son impact permettant de promouvoir la langue française dans le monde.
De la Francophonie économique
En marge du sommet, la Tunisie a organisé les 20 et 21 novembre le Forum Economique de la Francophonie (FEF Djerba 2022), avec le thème « Pour une croissance partagée dans l’espace francophone ». Cet événement économique d’envergure internationale a pour objectif d’offrir aux acteurs économiques, un cadre d’échange permettant de renforcer le dialogue et d’identifier de nouvelles opportunités de coopération et de partenariat entre les pays de l’espace francophone dans de nombreux domaines, dont les plus importants sont l’investissement et la numérisation. Le forum a donné place à une série de sessions plénières où experts, représentants d’institutions internationales et officiels compétents débattront des thématiques-clés relatives au développement économique dans l’espace francophone en vue d’une relance en crescendo.
321 millions de locuteurs et bien plus dans l’avenir !
Selon l’OIF, le français rassemble aujourd’hui 321 millions de locuteurs à travers le globe et est la 5e langue mondiale. Parmi eux, 255 millions de personnes font un usage quotidien du français. Mais l’avantage, selon l’OIF, c’est la démographie des pays qui l’ont adopté. Ainsi en 2060, c’est plus de 760 millions de personnes qui utiliseront le français, soit 8% de la population contre 3% actuellement. L’anglais, lui, ne sera plus parlé « que » par 560 millions de personnes, tandis que l’espagnol comptera 660 millions de locuteurs. Le français deviendra donc le premier idiome européen au monde. Seuls le mandarin, l’hindi et l’arabe seront parlés par plus de personnes. En continuant la projection démographique, le français pourrait même devenir la deuxième langue parlée au monde au cours du prochain siècle.
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