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Adieu l’enfant prodige de Karnak

Dalia Chams , Samedi, 29 octobre 2022

Bahaa Taher, l’un des plus éminents écrivains égyptiens, s’est éteint jeudi à l’âge de 87 ans. L’Hebdo lui rend hommage et republie un extrait de son roman L’amour en exil.

Bahaa Taher
(Photo : Nabil Boutros)

La disparition de Bahaa Taher, l’un des derniers maîtres de« guil al-sittinat » ou la génération des écrivains des années 1960, laisse tout le monde sans voix. Critiques et intellectuels déplorent l’absence de cet homme calme et posé d’apparence, qu’on a vu rarement sans costume-cravate, qui préservait cependant une intensité de sentiments qu’on captait à chaque ligne de son écriture.

Peu prolixe, il a choisi la concision et la discrétion tout au long de son parcours et s’est forgé une langue très raffinée, qui a toujours marqué la qualité soutenue de son œuvre, peu connue à l’étranger. Car, en effet, il était parmi les écrivains égyptiens à posséder le mieux la langue arabe classique, sans préciosité aucune.

Né en 1935 à Guiza, sa famille est originaire du village de Karnak, près de Louqsor, avec lequel il a gardé des liens étroits, même s’il a grandi dans la capitale. Il a d’ailleurs cédé un morceau de terrain qu’il possédait à l’Etat, afin d’y construire un centre culturel. De père instituteur, il a intégré, après une licence d’histoire (1956), la radio nationale et a participé à la création de la chaîne culturelle (Le Second Programme), restant à distance de la propagande étatique.

Il s’est souvent décrit comme un panarabe engagé et était très actif dans les cercles littéraires de gauche en Egypte vers la fin des années 1960. D’ailleurs, il peut être facilement classé comme l’un des meilleurs représentants de la génération 1960, laquelle a brillamment acclimaté le réalisme européen au contexte égyptien. Plusieurs de ses membres ont réussi à inventer une modernité littéraire, spécifiquement arabe, en retissant les liens avec le patrimoine, tout en intégrant les innovations formelles des littératures européenne et américaine du XXe siècle, selon les termes de Richard Jacquemond, auteur d’une thèse sur le champ littéraire dans l’Egypte contemporaine.

Bahaa Taher a commencé à publier, dès le début des années 1960, mais son premier recueil de nouvelles ne paraît qu’en 1972, à savoir Al-Khoutouba (les fiançailles). L’expérience la plus marquante de sa vie a été son exil volontaire en Europe, à cause de la campagne d’arrestation menée par le président Sadate.

Taher a été licencié de son poste à la radio en tant que chef adjoint de la chaîne culturelle, et interdit de publication en 1974. Il a décidé donc de partir, et après plusieurs années difficiles, il a été recruté comme traducteur à l’Onu et s’est installé à Genève en 1981.

Il y reste plus d’un quart de siècle et fait la rencontre de sa femme Stifka, également une traductrice, à moitié bulgare à moitié slovène. Et ce, avant de revenir vivre en Egypte après sa retraite, en 1995.

Parler à la première personne

Ayant signé plusieurs traductions, à côté d’une dizaine de romans, de nouvelles et de pièces de théâtre, le « je » revenait souvent dans ses écrits, racontant ses histoires à la première personne du singulier. C’était un peu le dénominateur commun qui facilitait sa démarche de narrateur.

Par exemple, dans Al-Hob fil Manfa (l’amour en exil, 1995, dont nous publions un extrait), il mêle le fictif au personnel. Il y met en scène des personnages expatriés à la recherche d’un rêve perdu, l’un d’entre eux étant un journaliste qui a dû quitter son pays à cause de son désaccord avec les autorités.

Dans ce roman, il fait également part de son engagement en faveur de la cause palestinienne, dénonçant les brutalités israéliennes et mettant en relief les massacres de Sabra et Chatila (au Sud-Liban).

Dans Wahat Al-Ghouroub (l’oasis du couchant), traduit chez Gallimard en 2011, un officier cairote a été envoyé à Siwa comme gouverneur pour y collecter les impôts, il avait participé à la révolte avortée d’Ahmad Orabi qui s’est soldée par l’occupation de l’Egypte par les forces britanniques. Ce superbe roman à plusieurs voix, qui se situe dans le contexte historique de la fin du XIXe siècle, lui a valu le prix international de la fiction arabe (le Booker arabe), en 2008, et ce, à la suite de plusieurs autres prix prestigieux, comme celui du roman arabe en 2015 et le prix d’Etat des lettres en 1997.

Ceci dit, il a accédé à la consécration officielle, en même temps, il a su préserver le respect des lecteurs au fil des ans grâce à des romans à succès tels Qallat Doha (Doha a dit, 1985), Tante Safeya et le monastère (1991, traduit vers le français en 1996 aux éditions Autrement) et Noqtat Al-Dawë (le point de lumière, 2001).

En 2017, il a publié Al-Sira fil Manfa (biographie en exil), où il a abordé pour la première fois certains aspects de sa vie qu’il avait jusqu’ici gardés secrets. Il a fait semblant de dicter ses mémoires à un jeune homme, lui aussi originaire de Louqsor, de quoi lui permettre probablement plus de recul par rapport à ce qu’il a vécu.

Il y a évoqué surtout ses années d’enfance ainsi que celles passées en exil, cependant, il n’a pas abordé sa participation à la Révolution de janvier de 2011 et au sit-in des intellectuels au ministère de la Culture en 2013, l’un des facteurs qui ont accéléré la chute des Frères musulmans. Pourtant, il était l’un de ses instigateurs, alors qu’il s’approchait de ses 80 ans.

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