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Guerre en Ukraine : L’enlisement

Maha Salem , (avec Agences) , Mercredi, 12 octobre 2022

Des bombardements massifs, les plus importants depuis des mois, ont frappé plusieurs villes d’Ukraine cette semaine, après l’attaque du pont de Crimée. Kiev et Moscou s’accusent mutuellement de « terrorisme ».

Guerre en Ukraine : L’enlisement
(Photo : AFP)

 Attaques et contre-attaques. Accusations et contre-accusations. La guerre en Ukraine n’est pas près de prendre fin. Cette semaine, les combats ont repris de plus belle. Lundi 10 octobre, l’armée russe a bombardé massivement Kiev, en riposte à l’attaque qui a visé le pont de Crimée, deux jours auparavant. Des frappes ont aussi été rapportées à Lviv (ouest), très loin de la ligne de front, ainsi qu’à Dnipro (centre) et Zaporijia (sud). Dans un bilan provisoire, Kiev a fait état lundi de 14 morts et plus de 90 blessés à travers le pays. Selon la Défense ukrainienne, l’armée russe a lancé 83 missiles, dont 43 de croisière, et 52 de ces missiles ont été interceptés par la défense aérienne. Ces raids ont causé d’importants dégâts dans plusieurs institutions ukrainiennes. « L’objectif des frappes a été atteint. Toutes les cibles ont été touchées », a annoncé le ministère russe de la Défense. Quant au président russe, Vladimir Poutine, qui a reconnu une campagne « massive », il a justifié ces bombardements par l’attaque « terroriste » de Kiev contre le pont reliant le territoire russe à la Crimée (sud), péninsule ukrainienne annexée par Moscou en 2014. Poutine a aussi promis des répliques « sévères » en cas de nouvelles attaques ukrainiennes contre la Russie.

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a de son côté menacé de répondre à ce bombardement le plus vite possible et fortement. Répondant à son appel d’aides, les Etats-Unis, l’Allemagne et la France ont évoqué l’envoi d’équipements militaires dans les jours à venir. Le président américain, Joe Biden, qui a « fermement condamné » les bombardements de lundi et s’est insurgé contre la « brutalité absolue », a promis à Zelensky de « continuer à fournir à l’Ukraine ce dont elle a besoin pour se défendre, y compris des systèmes perfectionnés » de défense antiaérienne, selon un communiqué de la Maison Blanche.

Parallèlement, les alliés occidentaux de Kiev ont tenu, mardi 11 octobre, une réunion virtuelle d’urgence du G7, à laquelle a participé Volodymyr Zelensky. Et tout au long de la journée de lundi, les réactions n’ont cessé de fuser chez les Occidentaux pour dénoncer les frappes russes. Dénonçant des « attaques barbares », l’Union européenne, tout comme Paris, ont parlé de « crimes de guerre ». L’Otan a condamné des « attaques horribles et aveugles », alors que le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, a dénoncé, selon son porte-parole, « une escalade inacceptable de la guerre » en Ukraine dont les civils « paient le prix le plus élevé ». Et à l’Onu, l’Ukraine a accusé lundi la Russie d’être un « Etat terroriste ».

Réunion de l’Assemblée générale de l’Onu

En effet, les pays membres de l’Onu étaient réunis lundi après-midi dans l’amphithéâtre historique de l’Assemblée générale, à New York, pour débattre en urgence d’une résolution de condamnation de l’annexion de régions ukrainiennes par Moscou. Avec ce texte co-rédigé par l’Union européenne, présenté par l’Ukraine et qui pourrait être mis au vote ce mercredi, les Occidentaux espèrent démontrer que la Russie du président Vladimir Poutine est isolée sur la scène internationale. Mais ce sont les frappes meurtrières de lundi matin qui ont monopolisé la séance où les deux pays en guerre ont croisé le fer dans une ambiance électrique. Après que l’ambassadeur ukrainien à l’Onu, Sergiy Kyslytsya, a qualifié la Russie d’« Etat terroriste que l’on doit dissuader de la plus forte des manières », son homologue russe, Vassili Nebenzia, lui a répondu en comparant le régime de Kiev à la « plus scandaleuse des organisations terroristes ».

Plusieurs jours avant ces bombardements, l’Onu avait décidé de porter le dossier des annexions de régions ukrainiennes devant son Assemblée générale — où chacun des 193 membres a une voix, sans veto — après que la Russie eut bloqué un texte similaire au Conseil de sécurité le 30 septembre. Le projet de texte condamne les annexions « illégales » des régions ukrainiennes de Donetsk, Lougansk, Zaporijia et Kherson après des « prétendus référendums » et souligne que ces actions n’ont « aucune validité » au regard du droit international. Il appelle également à ce que personne ne reconnaisse ces annexions et réclame le retrait immédiat des troupes russes d’Ukraine. Mais la Russie avait riposté dès le weekend dans une lettre acerbe à tous les Etats membres, en attaquant « les délégations occidentales » dont les actions « n’ont rien à voir avec la défense du droit international ».

Le vote permettra d’évaluer le degré d’isolement de la Russie. Les efforts des défenseurs du texte pour convaincre les potentiels abstentionnistes vont ainsi bon train. En visite en Afrique, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba, a dit « exhorter l’Afrique à ne pas rester neutre » lors du vote, selon un communiqué de l’ambassade d’Ukraine à Dakar. Les deux premières résolutions de l’Assemblée générale contre l’invasion russe en mars avaient recueilli 141 et 140 voix pour, 5 contre (Russie, Biélorussie, Syrie, Corée du Nord et Erythrée) et entre 35 et 38 abstentions. La troisième, fin avril, qui suspendait la Russie du Conseil des droits de l’homme, s’était traduite par un effritement de l’unité internationale face à Moscou, avec beaucoup plus d’abstentions (58) et de voix contre (24) face à 93 voix pour.

Rien ne garantit pour autant qu’un éventuel vote de l’Assemblée générale de l’Onu puisse mettre fin au conflit. « On pensait qu’avec l’hiver, on entrerait dans une nouvelle phase, avec peut-être une trêve et le début de négociations, mais ce qui s’est passé ces dernières semaines laisse perplexe », estime Dr Moataz Salama, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Les calculs ont, semble-t-il, changé, on a l’impression d’être revenu en arrière, comme au début de la guerre. Sur le plan diplomatique, la Turquie a arrêté ses tentatives de médiation », explique l’expert.

Le plus inquiétant, à l’heure qu’il est, est donc que ni l’Ukraine ni la Russie n’entendent céder. Kiev veut aller plus loin dans sa contre-offensive, Moscou s’accroche bec et ongles aux territoires annexés que Kiev promet de libérer. Washington continue d’armer l’Ukraine, et l’Union européenne d’imposer des sanctions à la Russie. Or, jusqu’à présent, l’arme des sanctions semble inefficace, puisqu’elle ne dissuade pas Moscou. Quant au soutien militaire occidental à Kiev, il ne fait que prolonger le conflit sans le trancher. « La communauté internationale doit chercher d’autres solutions pour mettre fin à cette guerre », conclut Salama.

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