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Abdel-Rahim Kamal : Ma prochaine série télé traite de la secte islamiste des Assassins

Rania Hassanein , Mercredi, 28 septembre 2022

L’écrivain et scénariste Abdel-Rahim Kamal ne cesse de conquérir les coeurs avec des oeuvres dramatiques non linéaires, mêlant réel et imaginaire. Son dernier feuilleton, Guézirat Ghamam (l’île Ghamam), vient de remporter plusieurs prix au premier Festival du drame télévisé, dont celui du meilleur auteur.

Abdel-Rahim Kamal

Al-Ahram Hebdo : Vos oeuvres abondent d’anecdotes, de légendes, de métaphysique, d’événements historiques et d’autres, fantasmagoriques. A quel point les années d’enfance, passées en Haute-Egypte, vous ont-elles marqué ?

Abdel-Rahim Kamal: Mes séjours en Haute-Egypte, précisément Sohag, ma ville d’origine, le dialecte du sud, le Nil, les anecdotes que racontait ma mère, la montagne de nuit et la peur des djinns, ont subjugué mon imagination. J’étais très lié à mon père, qui était un homme mystique, j’assistais avec lui aux soirées de zikr, où l’on psalmodiait les noms de Dieu, entourés des derviches de Sohag. A cette époque, j’avais commencé à lire des ouvrages sur le soufisme et l’histoire. Je venais de découvrir Le Livre des jours de Taha Hussein, qui m’a vraiment touché, c’était le premier roman que j’ai lu.

Personnellement, souvent je n’arrive pas à faire la différence entre la réalité et l’imagination. Je perçois les êtres humains comme des êtres fabuleux et imaginaires. A chaque fois que j’approche la réalité, j’ai l’impression de me rapprocher davantage de l’imaginaire et vice versa.

—  Votre dernier roman en date, Abnä Houra (les enfants de Houra), paru en 2021 aux éditions Al-Karma, est assez symbolique, comme la plupart de vos fictions. Pourquoi tenir à revisiter le roman, à l’heure où vos scénarios ont beaucoup de succès ?

— J’ai écrit ce roman durant la première période de confinement. J’étais terrifié par l’idée de m’en aller et de ne laisser aux lecteurs que des scénarios de feuilletons et peu de romans. Je voulais confirmer mon talent d’écrivain littéraire et retourner à mon premier amour. En travaillant dessus, j’avais le sentiment que c’était mon dernier ouvrage et donc j’avais intérêt à montrer ce dont j’étais capable. J’avais en tête d’écrire un livre pour la gloire, pour la postérité, alors j’ai laissé libre cours à mon imagination, et je suis ravi du résultat. Ce roman n’appartient pas à la science-fiction, bien qu’imaginant l’ère post-covid, mais il y est question plutôt de contes fantastiques à votre manière. Les événements se déroulent en 2030 et racontent l’histoire de Houra et ses enfants disséminés un peu partout, en Egypte, au Maroc, en Algérie, en Tunisie, etc. Bref, plein de réfugiés expulsés de chez eux, un peu à l’image de plusieurs familles arabes à l’heure actuelle.

Je suis convaincu que la vie des gens est un récit qui survivra après leur disparition, il dépasse leurs âges. Nous devons tenter d’éterniser ces récits, comme l’ont fait les Anciens Egyptiens sur les murs des temples, puisque nous sommes une nation d’Histoire. C’est important afin de préserver notre identité. Je suis choqué de voir des ressortissants de pays comme l’Iraq, la Syrie ou le Yémen bloqués à la frontière de l’Europe, sans avoir de quoi manger. Alors, j’ai imaginé une ville prête à accueillir tous ces réfugiés et à faire face à l’injustice du monde.

— Vos penchants soufis se révèlent à travers vos scénarios tels les télé-feuilletons Al-Khawaga Abdel-Qader (Abdel-Qader, l’étranger), Wannous et Guézirat Ghamam (l’île Ghamam), ainsi que vos romans tels Zel Mamdoud (ombre allongée). Qu’est-ce qui vous attire en ces thématiques mystiques ?

— Depuis mon enfance, j’ai été épris de l’univers soufi, auquel j’ai été initié par mon père. Le calme de notre ville a aidé à cultiver ce penchant spirituel. Puis, au Caire, où je me suis installé pour effectuer mes études, j’ai rencontré d’autres personnes qui m’ont guidé vers une meilleure compréhension de ce monde. Mes oeuvres reflètent tout simplement ma pensée. Dans Wannous, le personnage principal, campé par Yéhia Al-Fakharani, incarnait le mal, alors que celui d’Al-Khawaga Abdel-Qader, toujours interprété par le même comédien, représentait le bien. Dans Guézirat Ghamam, le bien et le mal s’entremêlaient sur une île imaginaire. Même à la fin du feuilleton, le mal refait surface, alors qu’on pensait que c’était le bien qui l’a emporté. Et ce, pour dire que la bataille est éternelle, elle se perpétuera jusqu’à la fin des temps.


La série Guézirat Ghamam (l’île Ghamam) rappelle qu’il faut voir Dieu avec les yeux de son coeur.

— Vous faites souvent appel au renouvellement de l’esprit qui anime la religion, faisant une plus grande place à la spiritualité de la religion et non pas au renouvellement du discours religieux, comme le font d’autres sons de cloche. Pourquoi ?

— Dieu est amour, au sens large. Je pense que les gens se méfient du renouveau du discours religieux, qui peut parfois créer des malentendus ou résonner faussement chez les uns, alors que cultiver la spiritualité des coeurs peut s’avérer plus efficace. Le roman Zel Mamdoud (ombre allongée), où je m’adresse parfois à moi-même, parfois au prophète Mohamad et souvent à Dieu, est l’une de mes tentatives à cet égard.

— La philosophie du salut, qui a de tout temps préoccupé écrivains et philosophes, se limite-t-elle pour vous aux gens simples, que vous jugez proches de Dieu ?

— Les petites gens sont en bonne relation avec Dieu; ces gens n’ont pas d’ambitions politiques et leurs conflits d’intérêts sont restreints. Ce sont des gens de bonne foi qui survivent aux épidémies, qui surmontent la pauvreté et les remous du destin. Bref, ce sont des survivants et je suis de leur côté.

— Vous privilégiez dans vos oeuvres l’interférence des temps, de quoi vous permettre de survoler plusieurs époques en un clin d’oeil, de manière fascinante. Comment réconcilier les deux approches du temps cyclique et linéaire ?

— Le présent est le fils du passé et le futur est le fils de ces deux. Il n’y a jamais de lignes qui séparent les trois temps, car ceux-ci tournent de façon circulaire. Le temps est un être vivant qui bouge et qui respire. Mon jeu favori consiste à me balader entre les trois temps et à dévoiler leurs dessous, déchiffrer leurs anecdotes.

— Quelle est votre oeuvre à venir ?

— Je prépare un nouveau feuilleton qui sera diffusé durant le prochain mois du Ramadan. Il traite des Hachachine (les assassins), une secte islamiste qui a existé il y a 1000 ans environ et qui a inventé le terrorisme (ndlr : cette secte médiévale ismaélienne a fait régner la terreur dans le monde musulman et parmi les Croisés). Ses membres sont, à mon avis, les précurseurs de l’islam politique. Les événements se dérouleront en Egypte, en Iran, en présence de personnages tels le poète Omar Al-Khayyam et l’imam Mohamad Al-Ghazali.

— Quelles sont, pour vous, les frontières entre le réel et l’imagination? Quelles sont les limites que l’auteur ne doit pas dépasser, en rédigeant une oeuvre historique ?

— Il doit avant tout respecter les principes constants et les faits historiques. Il ne doit pas les toucher. En dehors de ceci, tout ce qui se rapporte aux sentiments, à la vie sociale des personnages, etc. est laissé à son libre esprit.

Bio Express

Né en 1971, au gouvernorat de Sohag, en Haute-Egypte, Abdel-Rahim Kamal est arrivé au Caire pour la première fois en 1977 et y est resté jusqu’à 1981, pour effectuer ses études scolaires. Puis, il y est revenu en 1989 afin de s’installer dans le quartier pluriel de Choubra et rejoindre la faculté de commerce extérieur à Zamalek. Il a fini par s’inscrire à l’Institut du cinéma, entre 1996 et 2000. Et a signé plusieurs romans, ainsi que des scénarios à succès, enchaînant films et séries TV.

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