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Au Tigré, un conflit qui s’étend et se complique

Sabah Sabet , (avec Agences) , Mercredi, 07 septembre 2022

Gouvernement et rebelles s’accusent mutuellement d’ouvrir de nouveaux fronts dans le nord de l’Ethiopie, alors que des informations évoquent l’entrée en jeu de l’Erythrée.

Au Tigré, un conflit qui s’étend et se complique
Depuis la reprise des hostilités, on compte 18 000 déplacés.

Le conflit reprend de plus belle au Tigré près de deux ans après le déclenchement des hostilités entre l’armée fédérale éthiopienne et les insurgés du Front Populaire de Libération du Tigré (FPLT), menaçant de plonger l’Ethiopie dans une guerre civile. L’escalade militaire en cours dans le nord de l’Ethiopie a un pénible air de déjà-vu. Le même scénario de 2021 se répète : des affrontements opposant les rebelles du Tigré à l’armée fédérale éthiopienne soutenue par les milices alliées érythréennes, sur les mêmes champs de bataille que constituent les montagnes du nord de la région Amhara, frontalière du Tigré et de l’Erythrée. « Nous condamnons le retour de l’Erythrée dans le conflit, l’offensive continue du FPLT autour du Tigré et les frappes aériennes du gouvernement éthiopien ». C’est ce qu’a déclaré, vendredi dernier, la porte-parole de la Maison Blanche, Karine Jean- Pierre, en appelant toutes les parties à cesser les opérations militaires et engager des négociations de paix.

Mais les deux parties s’accusent mutuellement d’ouvrir de nouveaux fronts dans le nord de l’Ethiopie. Jeudi 1er septembre, les forces éthiopiennes et érythréennes ont lancé une offensive « conjointe » massive contre des zones du Tigré, frontalières de l’Erythrée, ont affirmé les autorités de cette région rebelle du nord de l’Ethiopie. « L’ennemi, ayant repoussé toutes les offres de paix, déployé d’importantes forces régulières et irrégulières et s’étant allié avec une force étrangère (...), a entamé une guerre totale », a accusé le commandement des forces rebelles tigréennes dans un communiqué. Les rebelles ont affirmé par ailleurs que l’armée fédérale éthiopienne a mené des « tentatives de percée répétées » au sud du Tigré, dans la région voisine de l’Amhara. Or, les forces tigréennes et des milices locales ont pu, selon eux, épauler les soldats éthiopiens et progressé rapidement dans la région d’Amhara, tandis que l’armée fédérale a massé des dizaines de milliers de soldats pour protéger l’axe Addis-Abeba-Djibouti.

De l’autre côté, le gouvernement éthiopien a accusé les rebelles d’avoir « étendu leur offensive à d’autres zones » du nord de l’Ethiopie, dans la zone administrative de Wag (nord-est de l’Amhara), dans le Wolkait, un district de l’ouest du Tigré, et dans des zones de l’ouest de l’Amhara frontalières du Soudan. Or, la réalité du terrain est d’autant plus difficile à vérifier que les télécommunications sont aléatoires et que le gouvernement interdit d’informer sur les questions militaires. Les combats ont repris le 24 août. Le front principal est situé à 500 kilomètres au nord de la capitale, Addis-Abeba, et oppose les soldats tigréens aux forces spéciales de la région d’Amhara. Comme en 2021, les forces tigréennes ont progressé rapidement au sein de la région d’Amhara, s’emparant de plusieurs localités en quelques jours. Manifestement dépassée, l’armée fédérale se replie vers le sud, suivie par des dizaines de milliers de civils qui fuient la guerre.

Ennemis d’hier, alliés d’aujourd’hui

L’intervention de l’Erythrée, si elle est prouvée, risque de compliquer davantage le conflit, d’autant plus que, comme l’explique l’expert sécuritaire et spécialiste de l’Afrique, Mohamad Abdel-Wahed, « certains acteurs régionaux ont un intérêt à ce que ce conflit se prolonge, même s’il a lieu près de leurs frontières ».

L’Ethiopie et l’Erythrée ont pourtant longtemps entretenu des relations tendues. Et ce n’est que suite à l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed que les relations se sont apaisées et qu’un accord de paix fut signé en juillet 2018, mettant fin à l’une des guerres les plus longues alors en Afrique : un sanglant conflit frontalier qui avait fait quelque 80 000 morts et dont les combats les plus intenses avaient eu lieu une vingtaine d’années plus tôt, pour le contrôle de collines arides à la frontière de la région éthiopienne du Tigré.

Fin 2020, l’Erythrée est de nouveau en guerre. Mais cette fois, elle est l’alliée du gouvernement éthiopien, contre le Front Populaire de Libération du Tigré (FPLT). En mars 2021, Abiy Ahmed, qui, dans un premier temps, avait nié la présence de troupes érythréennes en Ethiopie, avait promis d’ordonner leur départ. Un an plus tard, la promesse sonne creux. Avec ses dernières reprises d’hostilités fin août, le soutien des forces érythréennes au gouvernement fédéral éthiopien est annoncé partout.

Face à cette escalade inquiétante, la Maison Blanche a envoyé sur place son émissaire spécial pour la Corne de l’Afrique, Mike Hammer, afin d’appeler « toutes les parties » à cesser les combats et engager des négociations de paix. Cette escalade a sonné le glas de la trêve de cinq mois, observée par les belligérants. Avec en filigrane, le risque d’un nouveau drame humanitaire dans une région qui compte déjà environ 18 000 déplacés depuis la reprise des hostilités selon l’APDA, une ONG active en Afar. En effet, conclut Abdel-Wahed, « la communauté internationale doit agir rapidement pour éviter une crise humanitaire d’une plus grande ampleur dans les régions du nord, dépourvues depuis des mois des besoins essentiels ».

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