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Sécurité alimentaire: Un impact mondial

Nada Al-Hagrassy , Mercredi, 31 août 2022

Comment la guerre en Ukraine menace-t-elle la sécurité alimentaire du monde entier ? Et quelles sont les solutions proposées ? Eléments de réponse.

Sécurité alimentaire: Un impact mondial

« De 8 à 13 millions de personnes sont menacées de faim en raison des conséquences de la guerre en Ukraine, particulièrement en Asie Pacifique, en Afrique subsaharienne, au Proche-Orient et en Afrique du Nord », estime un rapport récemment publié par l’Organisation des Nations-Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). En fait, la Russie et l’Ukraine font partie des principaux exportateurs mondiaux de denrées alimentaires et représentent plus d’un tiers des exportations mondiales de céréales dont dépendent presque la plupart des pays arabes et africains. La Russie et l’Ukraine sont responsables ensemble de 14% de l’approvisionnement mondial en blé, 10 % de l’approvisionnement mondial en orge et 4% de l’approvisionnement en maïs, et environ 50 pays dépendent d’elles pour garantir 30% ou plus de l’offre de blé. Le développement des opérations militaires a affecté les ports ukrainiens sur la mer Noire, ce qui a perturbé à son tour les exportations, tandis que les ports russes ne sont pas affectés par la guerre, mais plutôt par les sanctions internationales, estime le rapport de la FAO.

La guerre en Ukraine a également poussé d’autres pays producteurs de produits alimentaires à poser des mesures de contrôle des exportations. De plus en plus de pays réduisent leurs exportations de produits alimentaires. Une trentaine de pays ont ainsi imposé de nouvelles mesures limitant les échanges de denrées. Comme l’Inde, qui vient d’arrêter son exportation de blé pour assurer la sécurité alimentaire de ses 1,4 milliard d’habitants, d’autant plus que sa production a baissé en raison d’une hausse exceptionnelle des températures. Ces restrictions aggravent encore plus une situation alimentaire précaire due aux perturbations des chaînes d’approvisionnement à cause de la crise de Covid-19.

Cette situation alarmante a poussé l’Onu et la Turquie à parrainer un accord entre la Russie et l’Ukraine, le 22 juillet dernier. Celui-ci prévoit des corridors maritimes sécurisés à partir de trois grands ports: celui d’Odessa, de Chornomorsk et de Youjne. Depuis, 14 bateaux ont déjà quitté les ports ukrainiens.

Pourtant, malgré la reprise des exportations, certains experts restent sceptiques et estiment que cette reprise n’est pas à même de réduire les effets de la crise alimentaire. Tout d’abord, parce que la reprise des exportations demeure inférieure au taux enregistré il y a juste une décennie. Ces exportations et importations, de blé particulièrement, atteignent actuellement quelque 21 % des échanges mondiaux contre 74 % enregistrés pendant la crise de 2008-2011. Et ce, parce que la Russie a limité ses exportations de blé en dehors de l’Union économique eurasiatique. En plus, les restrictions sur les exportations provoquent une flambée des prix qui dépassent la capacité d’achats des pays les plus pauvres. « Ces mesures couvrent à elles seules 16% du commerce mondial et sont responsables d’une hausse de 7% des prix mondiaux du blé. Ce qui représente environ un sixième de la flambée globale des prix », estime une étude effectuée par la Banque Mondiale (BM).

Les céréales, mais aussi les engrais

Autre défi. Les prix de l’énergie et des produits agrochimiques restent élevés. Le spectre d’une pénurie mondiale d’engrais se profile à l’horizon, selon les estimations de la BM. La Fédération de Russie est la première exportatrice des engrais azotés, la deuxième exportatrice des engrais potassiques et la troisième exportatrice des engrais phosphatés. Après six mois de conflit, « les prix des engrais ont augmenté les coûts de production alimentaire d’une manière sans précédent. C’est un produit indispensable, car réduire les engrais signifie une baisse des taux de production, et donc exacerber à nouveau la crise alimentaire », dit Juergen Voegele, vice-directeur de la BM pour le développement durable. D’ailleurs, l’indice des prix des engrais, selon les études de la BM, est supérieur de 15% à ce qu’il était au début de l’année. Ainsi, les prix des produits alimentaires ont plus que triplé par rapport à il y a deux ans. « La hausse des coûts des intrants, les perturbations des chaînes d’approvisionnement et les restrictions commerciales sont à l’origine de la récente flambée des prix », estime toujours M. Voegele. Et d’ajouter que les prix du gaz naturel ont commencé à augmenter l’automne dernier, alors que les tensions commençaient entre la Russie et l’Ukraine, ce qui a entraîné des réductions importantes de la production d’ammoniac, un composant important de la production d’engrais à base d’azote. Egalement, « la hausse des prix des engrais pourrait s’étendre à un plus large éventail de cultures, y compris le riz, l’une des nourritures de base dans plusieurs pays », estime le vice-président de la BM.

En dépit de la gravité de la situation, la BM propose quelques solutions. Il s’agit essentiellement de « rendre les engrais accessibles et abordables, et il existe plusieurs façons d’y parvenir, notamment la levée des restrictions commerciales et d’embargo sur les exportations d’engrais », dit Juergen Voegele.

Les démarches de l’Egypte

Mais qu’en est-il de l’Egypte, l’un des pays les plus affectés par le conflit russo-ukrainien, puisque plus de 80 % de ses besoins en blé et en engrais viennent de ces deux pays? En fait, le pays multiplie les démarches pour éviter une crise alimentaire causée par ce conflit, alors qu’il affronte déjà une pénurie d’eau et les conséquences du réchauffement climatique. L’Egypte dispose de réserves de blé suffisantes jusqu’à l’année prochaine, souligne Mohamed Shadi, expert économique, expliquant que « l’Egypte a adopté une stratégie de trois axes pour éviter une pénurie alimentaire ». Il s’agit premièrement de garantir l’existence d’une réserve suffisante de blé et d’autres denrées de base. En ce qui concerne le blé, l’Egypte essaie de varier ses sources d’exportations comme la France, les Etats-Unis, le Canada et l’Australie. Sur un autre volet, l’Egypte s’efforce d’accroître sa production locale de blé. Elle vise à acquérir au total un stock de 6 millions de tonnes. « Moderniser et agrandir les silos afin d’augmenter la capacité de stockage est une autre mesure adoptée par l’Etat », explique Shadi. L’Egypte a établi 480 points de distribution pour fournir du blé, afin d’alléger le fardeau des fermes qui s’approvisionnent à des endroits très éloignés. Quant au troisième axe, il repose sur l’efficacité des moyens de transport. « Pour réduire la circulation des marchandises et réduire ainsi le coût des produits alimentaires, l’Egypte a lancé de nombreuses initiatives, afin de fournir les marchandises disponibles dans les complexes de consommation du ministère de l’Approvisionnement, qui représentent 1600 points de vente au niveau de la République », souligne toujours Mohamed Shadi.

Quant à la crise des engrais, « l’Egypte ne sera pas beaucoup affectée puisqu’elle fait partie des pays producteurs d’engrais, et elle a la capacité de subvenir à ses besoins à partir de la prochaine production locale », conclut Abdelhakim El-Waer, sous-directeur général de la FAO et représentant régional pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord.

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