Le Qatar est le seul pays arabe du Golfe à entretenir des relations tendues avec l’Arabie saoudite, qui a tendance à considérer les petits émirats voisins comme étant des pays « satellites » entrant dans sa zone d’influence. Le désaccord entre l’Arabie saoudite et le Qatar tient pour beaucoup à la vision de la « politique islamique » de chacun d’eux : l’Arabie saoudite c’est l’option salafiste, anti-Frères musulmans, obsédée par le fait de pouvoir casser le croissant chiite mis en place par Téhéran.
Les Saoudiens sont aussi obsédés par le fait de minimiser le rôle diplomatique du Qatar, qui est monté en flèche cette dernière décennie. En effet, l’Arabie saoudite supporte mal l’émergence de son petit voisin, lequel, de son côté, tente de jouer sur tous les fronts pour contester l’hégémonie saoudienne.
Dans le conflit syrien, la rivalité politique et stratégique entre Saoudiens et Qatari est bel et bien présente, tout comme elle est présente vis-à-vis de l’Egypte (les premiers soutenant l’armée, les seconds les Frères musulmans). Dès le départ, le Qatar finançait les Frères en Syrie (3 milliards de dollars auraient été dépensés pour armer les forces rebelles en Syrie, selon le Financial Times en juin 2013). Mais quand le Qatar s’est mis à fournir des armes, y compris à certains groupes salafistes, l’Arabie saoudite l’a très mal pris, comme si une concurrence lui était faite.
Le Qatar et l’Arabie saoudite ont tous deux pris parti pour l’opposition, mais se livrent à une véritable guerre dans la guerre. Politiquement, c’est un véritable jeu d’échecs auquel les deux monarchies se livrent, chacun tentant de placer ses pions respectifs au sein de l’opposition. Sur ce plan, l’Arabie a gagné un point : Ghassan Hitto, ancien premier ministre de la Coalition Nationale Syrienne (CNS) et protégé des Qatari, a démissionné de son poste deux jours après l’élection, le 6 juillet dernier, du champion des Saoudiens, Ahmed Assi Jarba, à la présidence du gouvernement rebelle.
Outre les velléités d’hégémonie politique, il existe aussi un enjeu économique de taille pour Doha, notamment pour mettre en application le projet de pipeline traversant la Syrie. Ce projet remonte à 2009 et avait été alors discuté avec la Turquie. En outre, les Printemps arabes ont été l’occasion pour le Qatar de tester sa capacité d’influence qui, si elle a bien fonctionné un temps, semble aujourd’hui battre de l’aile. Le soutien du Qatar à l’insurrection syrienne est certainement la continuation de cette vaste campagne d’influence, avec l’enjeu d’un marché du gaz.
A cela s’ajoute une nouvelle donne qatari : l’arrivée au pouvoir en juin dernier du nouvel émir, Tamin bin Hamad bin Khalifa Al Thani, après l’abdication de son père. Le nouveau pouvoir cherche à se mettre en retrait par rapport à la politique de son prédécesseur, dont l’activisme avait fini par agacer ses partenaires arabes et occidentaux. Ce changement marque peut-être la fin de la diplomatie agressive de Doha, notamment dans le dossier syrien. Un changement en faveur de l’Arabie saoudite. Du moins pour le moment.
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