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La « guerre froide » du Moyen-Orient

Abir Taleb avec agences, Mardi, 17 septembre 2013

La Syrie est devenue le nouveau terrain d’affrontements entre les deux grandes puissances régionales : l’Arabie saoudite et l’Iran. Une rivalité qui ne date pas d’hier mais qui prend aujourd’hui de nouvelles proportions. Analyse.

Syrie
La Syrie, terre de convoitises.

Du côté des pays arabes, on parle de « Golfe arabique » pour désigner la mer qui sépare la péninsule arabique de l’Iran. Du côté de l’Iran, on parle de « Golfe persique ». A chacun son appellation. A chacun aussi ses zones d’influence. Justement, ces appellations différentes en disent long sur la lutte d’influence et de pouvoir entre les deux principales entités de cette région, à savoir l’ancienne Perse et l’Arabie saoudite, qui domine quasiment l’ensemble de la péninsule.

Cette rivalité remonte à loin et est partiellement expliquée par l’antagonisme opposant les deux branches de l’islam : le sunnisme, principalement représenté par l’Arabie saoudite, et le chiisme, incarné par l’Iran. Elle a pris de l’ampleur suite à la Révolution islamique iranienne de 1979 et aux velléités expansionnistes iraniennes qui s’ensuivirent. Les camps se sont formés, tout comme les jeux d’équilibre qui en découlent habituellement. Mais la chute du régime de Saddam Hussein en 2003 et la montée en puissance des chiites en Iraq ont changé la donne, donnant un avantage à l’Iran. Une donne qui a encore évolué avec l’avènement des « Printemps arabes ».

Un conflit par procuration

Depuis son déclenchement, la crise syrienne est devenue l’incarnation de la guerre froide entre l’axe saoudien et l’axe iranien, atteignant aujourd’hui son paroxysme : les uns soutenant tacitement une intervention armée contre le régime de Bachar Al-Assad, les autres menaçant d’étendre le conflit, en cas de frappe.

Au début de la révolution syrienne, en mars 2011, les responsables saoudiens ont fait preuve de retenue en raison de leur hostilité de principe aux soulèvements populaires et à l’instabilité politique. Mais au fur et à mesure, l’Arabie saoudite s’est clairement positionnée sur le champ de bataille syrien, justement dans le cadre de sa guerre froide contre l’Iran. Ainsi, plus l’Iran et ses alliés du Hezbollah se sont investis aux côtés du régime alaouite de Bachar Al-Assad, plus l’Arabie saoudite, en retour, a accentué son soutien à l’Armée Syrienne Libre (ASL) et aux autres rebelles.

Sur le plan politique, Riyad pèse déjà lourd et a réussi, en juillet dernier, à faire élire à la tête de la Coalition Nationale Syrienne (CNS) l’un de ses protégés, Ahmed Jarba, membre des Chammar, une grande tribu présente en Syrie comme en Arabie saoudite, qui est aussi celle de la mère du roi Abdallah. L’élection de Jarba est la conséquence de l’arrivée en mai 2013 de 51 nouveaux membres dans la CNS, dont beaucoup sont parrainés par Riyad.

Riyad aurait même tenté d’aller plus loin. Mi-août, lors d’une rencontre entre Bandar bin Sultan, chef des renseignements saoudien, et Vladimir Poutine, le prince aurait proposé (selon Reuters) au président russe de lui acheter des armes, contre un assouplissement de la position de Moscou sur la Syrie. Mais l’information, prestement démentie par le Kremlin, reste incertaine, tout comme celle confirmant que l’Arabie saoudite arme les rebelles syriens.

En revanche, la présence de gardiens de la révolution iraniens (pasdaran) sur le front syrien, d’abord niée avec véhémence, a été revendiquée de plus en plus ouvertement. En effet, côté iranien, l’enjeu est également de taille. Depuis la Révolution islamique de 1979, la Syrie est le seul Etat arabe à avoir entretenu des relations très étroites avec l’Iran, alors que la plupart des pays arabes se sont montrés très réservés face aux potentiels de déstabilisation de la République islamique.

De même, lors de la guerre Iraq-Iran, la Syrie a pris parti pour le régime iranien. Et si, dans un premier temps, la Syrie a fait en sorte de ne pas être perçue comme le vassal de l’Iran, les soupçons croissants de son implication dans l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais, Rafik Hariri, l’ont isolée des autres Etats arabes de la région et l’ont obligée de se jeter officiellement, et peut-être même durablement, dans les bras de Téhéran.

Cette union s’est formalisée au travers notamment d’un pacte de défense mutuelle signé en 2006 et renouvelé en 2008, pacte qui consacre que toute agression contre l’une des deux parties est considérée comme une agression contre l’autre et devrait donc entraîner une assistance militaire automatique. D’où la crainte d’une implication iranienne directe.

Téhéran conforté

Pour le moment, avec l’éloignement de l’éventualité d’une frappe militaire imminente, Téhéran est quelque peu soulagé. Pour l’analyste conservateur Amir Mohebian, basé à Téhéran et cité par l’AFP, la décision d’écarter pour l’instant l’option militaire « renforce naturellement » Téhéran, fidèle allié d’Assad avec la Russie. Dans cette « alliance », Moscou reste l’allié le plus important.

Syrie
Manifestation anti-saoudienne à Téhéran.

Téhéran tente aussi de tirer profit de la situation actuelle pour résoudre la crise autour de son programme nucléaire. Ainsi, vendredi 13 septembre, au cours d’une rencontre en marge d’un sommet régional à Bichkek, la capitale du Kirghizstan, entre les présidents russe, Vladimir Poutine, et iranien, Hassan Rohani, ce dernier a déclaré attendre de la Russie de « nouvelles mesures ».

En effet, dans ce contexte de crise syrienne, Moscou est tenté de se rapprocher de Téhéran. Avant la rencontre de Bishkek, une source russe citée par le quotidien Kommersant avait indiqué que la Russie allait proposer à l’Iran de lui fournir de nouveaux systèmes de missiles perfectionnés (S-300 modifiés) et de construire un deuxième réacteur pour la centrale nucléaire de Bouchehr. Mais rien de plus n’a été dévoilé depuis.

Voilà qui complique davantage la donne. Tout comme une information publiée en juillet dernier par le cabinet britannique IHS Jane’s Intelligence review, spécialisé dans le domaine militaire qui, photos satellites à l’appui, a divulgué l’existence en Arabie saoudite d’une « base de missiles balistiques jusqu’alors inconnue ». Le site, situé à 200 kilomètres au sud-ouest de Riyad, comprend deux pas de tir de forme circulaire. Le premier est orienté en direction du territoire israélien tandis que le deuxième, rapporte le cabinet de recherches, est braqué vers l’Iran.

En 2011, le prince Turki Al-Fayçal, ancien chef des services des renseignements saoudien, avait insinué que si l’Iran se dotait d’une arme nucléaire, dans le cadre de son programme controversé, l’Arabie saoudite pourrait être contrainte d’en faire autant.

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