« Toute marche vers l’avenir dépend de la manière dont les crises du passé ont été gérées… Il est temps pour nous d’unir nos efforts pour mettre fin à tous les conflits de longue durée », c’est avec ces mots que le président Abdel-Fattah Al-Sissi a commencé son allocution lors de la séance inaugurale du Sommet de Djeddah sur la sécurité et le développement. Accueilli par l’Arabie saoudite, le sommet a réuni le président des Etats-Unis, Joe Biden, les dirigeants des pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), l’Egypte et la Jordanie, ainsi que le premier ministre iraqien. Ce sommet arabo-américain faisait partie de la première visite du président américain Joe Biden au Moyen-Orient depuis son investiture en janvier 2021. Le 13 juillet, le président américain a entamé une tournée de plusieurs jours dans la région qui a commencé par une visite en Israël. La tournée l’a mené ensuite en Cisjordanie pour rencontrer le président palestinien Mahmoud Abbas (voir page 4). Mais l’Arabie saoudite, la dernière étape, était la plus importante de son voyage.
Le retour des Etats-Unis, pourquoi maintenant ?
« Il ne fait aucun doute pour moi que les intérêts de l’Amérique sont étroitement liés au succès du Moyen-Orient », a déclaré le président américain, avant d’ajouter que son pays « ne se détournerait pas » du Moyen-Orient en laissant « un vide que pourraient remplir la Chine, la Russie ou l’Iran ». Une nouvelle page s’ouvre-t-elle donc dans les relations arabo-américaines? Selon Ahmed Sayed Ahmed, expert des affaires américaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, la visite de Biden a inauguré une nouvelle phase dans les relations arabo-américaines. Cette visite avait pour objectif de réajuster la trajectoire de la politique étrangère américaine dans la région arabe et de rectifier les erreurs stratégiques commises par l’Administration américaine au cours de l’année et demie écoulée. « Biden, dans les pas de ses prédécesseurs, a progressivement réduit les engagements américains dans la région. Ce qui a laissé la place libre aux puissances concurrentes comme la Chine et la Russie pour la remplir. En outre, l’instrumentalisation de la question des droits de l’homme a provoqué un froid dans les relations entre l’Administration Biden et certains pays arabes comme l’Egypte, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis », explique-t-il. Mais pourquoi maintenant? Les développements de la guerre en Ukraine, la crise énergétique et les négociations sur le nucléaire iranien au point mort, tous ces dossiers et d’autres encore ont poussé l’Administration Biden à changer de stratégie. Selon Sayed Ahmed, la tournée de Biden a été également motivée par une crise politique interne aux Etats-Unis. En juin dernier, le prix de l’essence à la pompe a grimpé pour la première fois au-dessus du seuil des 5 dollars en moyenne pour un gallon aux Etats-Unis. Ce niveau record a alimenté l’inflation qui pourrait avoir un impact négatif sur la position politique de Biden avant les élections américaines de mi-mandat prévues en novembre prochain. Ainsi, Biden s’est rendu en Arabie saoudite, afin de persuader le royaume de pomper plus de pétrole pour compenser les pertes russes et contrôler la hausse des prix mondiaux.
Priorités arabes
Renforcement de la sécurité énergétique, dissuasion de l’Iran de s’ingérer dans la région, processus de paix, présence de l’axe Russie-Chine au Moyen-Orient, conflits régionaux, tous ces dossiers étaient sur la table du Sommet de Djeddah. « ce sommet s’inscrit dans la continuité d’une série de sommets bilatéraux préparatoires, notamment ceux qui ont eu lieu le mois dernier, que ce soit lors de la tournée du prince héritier saoudien en Egypte, en Jordanie ou en Turquie. Il y a eu notamment le Sommet égypto-jordano-bahreïni organisé à Charm Al-Cheikh, la visite de l’émir du Qatar au Caire, ou encore la rencontre qui a réuni le président égyptien et le sultan d’Oman, Haitham bin Tariq, ou celle qui a réuni le roi Abdallah II de Jordanie et le président des Emirats, le cheikh Mohamad bin Zayed Al Nahyan », explique Mohamed Mansour, politologue. Et d’ajouter: « C’est pourquoi la coordination des positions était claire dans les discours des dirigeants arabes à tous les niveaux ». Quels sont les points de convergences et de divergences entre les deux côtés arabe et américain? Selon Mansour, la production pétrolière actuelle n’a pas été spécifiquement discutée lors de la réunion de Djeddah, afin d’éviter d’exacerber la disparité entre les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite et Washington. Mansour pense que « Washington a bien compris le point de vue saoudien concernant son incapacité à augmenter la production actuellement, vu que l’accord de réduction de la production signé par les pays de l’OPEP+ en 2020 reste valable jusqu’en décembre prochain ».
Non à l’Otan arabe
Par ailleurs, contrairement à ce que les médias américains et israéliens ont mentionné avant la visite, l’idée de la création d’un « Otan arabe » n’a pas été évoquée lors du sommet. Les pays arabes ont refusé de s’engager dans une coopération militaire qui contredit les intérêts arabes. Selon Sayed Ahmed, l’Egypte prône plutôt la création d’une force arabe conjointe pour faire face aux menaces régionales, sans entrer dans des alliances militaires qui pourraient aggraver l’instabilité dans la région. Les pays du Golfe n’aiment pas non plus l’idée d’entrer dans une alliance militaire dirigée contre l’Iran, car beaucoup de ces pays entretiennent des relations avec ce pays, comme le Qatar, les Emirats et l’Arabie saoudite. « Aucun projet de coopération militaire ou technologique avec Israël n’a été évoqué lors de la réunion. L’Arabie saoudite veut établir des relations normales avec l’Iran », a déclaré le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal bin Farhan, à l’issue de la réunion. Concernant le processus de paix, il est bien évident que les paroles de Washington ne s’accordent pas avec ses actes. « Les discussions se focalisent actuellement sur la paix économique et l’amélioration des conditions de vie du peuple palestinien. Pourtant, nul ne parle de la mise en oeuvre des résolutions des Nations-Unies, de la solution des deux Etats, ou de l’arrêt des colonies », explique l’ambassadeur Hussein Haridi (voir entretien). La résolution définitive et globale de la cause palestinienne est le premier axe dans le plan égyptien de 5 points présenté par le président Sissi dans son discours au Sommet de Djeddah, « pour parvenir à une plus grande stabilité régionale dans un avenir proche ».
Faire face à l’influence russe et chinoise dans la région figure parmi les objectifs de la tournée de Biden. Sur ce point, les pays arabes ne partagent pas les mêmes positions que Washington. Le désengagement américain dans la région a poussé les pays du Golfe à approfondir leurs relations avec d’autres pays du monde, comme la Russie, la Chine et l’Inde afin de diversifier les sources d’armements. «Bien que le sommet de Djeddah n’ait pas donné lieu à un consensus clair sur les questions fondamentales, il a permis un nouveau départ des relations arabo-américaines, basé sur le concept de la parité et les intérêts mutuels. La balle est aujourd’hui dans le camp des Etats-Unis », conclut Mansour.
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